Raconte nous ton histoire...
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"Quand était-ce exactement, je ne me souviens plus... mais je suis sûr que les yeux clairs firent leur apparition après que de nombreuses étoiles furent tombées du ciel. Leur extermination est la raison de vivre des Miwoks...""Au commencement, le monde était recouvert par les ténèbres. Cette nuit sans fin ne connaissait ni lune ni étoiles. O-let'-te, créateur de la vie, conçut deux tribus de créature : les oiseaux... et les bêtes. Les oiseaux vivaient sous l'autorité de leur chef : l'aigle. Les bêtes sous celle d'un autre chef : le puma. Les oiseaux demandèrent que la lumière soit admise. Ce que les bêtes refusèrent. A la fin, les oiseaux menèrent la guerre contre les bêtes... et cette guerre se poursuit à ce jour. Loya mon fils, la sagesse t'habite déjà. Tu dois protéger la tribu. Je ne sais quelle fin nous est réservée... mais ma puissance dit que tu la verras de ton vivant et qu'elle sera dure."
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Loya est né aux environs de 1829, en territoire Miwok, dans une zone mitoyenne aux terres Tolowa, ce qui expliqua par la suite pourquoi le jeune homme fut régulièrement en contact avec l'autre tribu. Etant enfant, il se baignait dans les sources chaudes qui faisaient du canyon de Miwok Pass un lieu de campement propre à séduire son peuple. Des sycomores et des peupliers immenses bordaient le lit de la rivière, dont les eaux coulaient, douces et claires, tout au long de l'année.
Comme tous les natifs de sa tribu, Loya attachait une importance particulière à son lieu de naissance. Chaque fois que ses errances le ramenaient au bord de la Miwok Pass, il se roulait sur le sol, vers les quatre horizons. Sa mère lui avait conté les légendes de sa tribu, tandis que son père lui narrait les hauts faits d'armes de son peuple. Il était le quatrième de huit enfants. Aujourd'hui, lorsqu'il repense à ces temps d'insouciances, l'amérindien les décrits en ces termes :
"Parfois nous jouions à cache-cache au milieu des rochers et des pins ; ou bien nous flânions à l'ombre des peupliers, nous ramassions des shudocks tandis que nos parents travaillaient aux champs. D'autres fois nous jouions à la petite guerre. Nous nous exercions à voler, aux dépens d'un ennemi imaginaire... d'autres fois encore, nous nous cachions pour voir si notre mère serait capable de nous trouver et, une fois cachés, il nous arrivait de nous endormir et de demeurer dans notre cachette pendant des heures."Dès son enfance Loya pratiqua l'art de la guerre et celui de la survie, et même lorsqu'il se cachait de sa mère le jeu faisait partie de sa formation de guerrier. Son enfance se réduisait à un rigoureux apprentissage de la chasse, de la cueillette et du combat. Pour perfectionner son adresse, le jeune garçon coupait une branche de saule, collait une boulette de boue à son extrêmité la plus frêle et, se servant de la branche comme d'un fouet et de la boulette comme d'un projectile, il s'efforçait d'atteindre un oiseau posé sur une branche. Il fabriquait également une fronde avec des lanières et une poche en peau, ainsi qu'une sorte de sarbacane en évidant une branche de frêne ou de sureau.
Très tôt, il posséda un arc à sa taille, avec lequel il tirait pendant des heures pour perfectionner son adresse et sa puissance. Il fabriquait de petites cibles faites d'herbe tressée qu'il lançait en l'air et s'efforçait de les transpercer avant qu'elles n'atteignent le sol. Ou alors, un de ses camarades de jeu décochait une flèche contre un monticule de terre et Loya tentait de planter sa propre flèche de façon qu'elle touche la première.
Le jeu avec l'arc se transformait rapidement en véritable chasse. Dès l'âge de cinq ou six ans, Loya était capable d'abattre des écureuils, des oiseaux, des lièvres, des souris ou des blaireaux. L'essentiel de son entraînement consistait à apprendre comment s'approcher de sa proie jusqu'à portée de flèche sans éveiller la méfiance. Lorsqu'il tua son premier gibier, il dut lui manger le coeur, cru et entier, pour assurer le succès de ses futures chasses. Le soir, le jeune garçon allumait des feux pour attirer les chauve-souris, les faire tomber à terre en lançant adroitement ses mocassins, et les tuer.
Il se chargeait également de certaines activités de cueillette afin que les adultes puissent se consacrer à des tâches plus importantes. Il cueillait les fruits de certains cactus, des bourgeons de saule et de peuplier (qui servaient de gomme à mâcher), les fruits de l'alkékenge. Il apprit aussi à attraper certaines abeilles, à les ouvrir en deux et à sucer, sans se faire piquer, le miel qu'elles contenaient.
A l'âge de huit ans, son entrainement physique commença véritablement. On l'obligeait à se lever avant l'aube, à grimper jusqu'au sommet d'un roc et à en redescendre avant le lever du soleil. Il devait courir pendant six ou sept kilomètres avec dans la bouche une gorgée d'eau qu'il lui était interdit d'avaler ; ou encore la bouche pleine de cailloux. Son père lui répétait
"Tes jambes sont tes amies." Après chaque repas, il devait les enduire de graisse afin de les "nourrir". Pour améliorer sa pointe de vitesse, il poursuivait des papillons et des oiseaux, s'efforçant de les attraper à mains nues. En hiver, il devait façonner une boule de neige et la faire rouler sur le sol jusqu'à ce qu'elle devienne très grosse et que ses aînés lui disent d'arrêter ; ou bien briser la glace recouvrant une rivière ou un étang pour y plonger.
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"Tes jambes sont tes amies, fils. Jadis, tous les hommes sauf un engraissaient leurs jambes, disant : "Je te nourrirai. Aide-moi à être bon coureur". L'autre homme, il ne nourrissait que son ventre."
"Comme Sahale ! Il a toujours à manger dans sa poche !"
"Eh oui ! Tout comme Sahale. Quand le puma surgit, tous les autres s'enfuirent mais lui en fut incapable. Alors ses jambes lui dirent : "Jamais tu ne nous a nourries quand tu disposais de viande riche et grasse... à présent, cours avec ton ventre."_________
Encore adolescent, il s'éprit d'une "svelte et délicate" Tolowa nommée Oneida rencontrée au cours d'un des nombreux trocs auxquels s'adonnaient sa tribu. Au lendemain de son admission par le conseil des guerriers, il s'en alla trouver le père de l'élue de son coeur pour lui demander la main de cette dernière. Peut-être voulait-il garder Oneida près de lui, car c'était une fille obéissante et pleine d'égards ; en tout cas, il exigea en échange un grand nombre de chevaux. Le jeune guerrier de dix-sept ans s'en alla sans dire un mot. Il revient quelques jours plus tard, conduisant un troupeau de chevaux qu'il offrit à son beau-père, et prit celle-ci pour épouse.
"Oneida et moi avions été amants très longtemps avant que le conseil ne m'accorde le privilège d'être son mari. Son père demanda trente chevaux. Il espérait ainsi m'éloigner d'elle. Presque tous pensaient que cette demande était impossible à honorer. Il n'avait aucun intérêt dans notre amour. Quelques jours s'étaient écoulés lorsque je lâchai les trente montures devant son wigwam... et repartis avec Oneida."Après cet évènement, Loya construisit une nouvelle wickiup, à côté de celle de sa mère, et la recouvrit de peaux de bisons. A l'intérieur, il pendit ses trophées de chasse : des peaux de pumas ; Oneida accrocha les broderies de perles qu'elle avait confectionnées de ses mains, et fit des dessins sur les peaux de bisons.
"C'était une bonne épouse, mais elle resta fragile. Nous suivions les traditions de nos pères et nous étions heureux. Trois enfants sont nés, des enfants qui jouaient, flânaient et travaillaient comme je l'avais fait avant eux."Du fait de ce mariage, Loya passa de plus en plus de temps en territoire Tolowa. En effet, ce mariage n'était pas seulement une union entre deux individus, mais aussi entre deux familles, entre deux tribus. Il fut basé sur des liens spirituels et émotionnels très puissants. La relation entre Loya et Oneida était empreinte de respect mutuel, de soutien et de confiance. Dans une culture où la survie dépendait de la solidarité au sein de la tribu, Loya partagea avec Oneida un lien profondément enraciné dans leur engagement mutuel envers leur peuple et leur mode de vie traditionnel. Bien que l'on puisse aujourd'hui douter qu'il eut un coeur, Loya aima sincèrement sa femme, et aucun de ceux ou celles qui côtoyèrent le Miwok avant les tristes évènements que je m'apprête à relater ne put refuter cela.
- Spoiler:
C'est en 1845 que Loya vit pour la première fois des Yeux Clairs. Il s'agissait des membres d'une commission fédérale d'arpentage chargée de relever un tracé pour la compagnie qui les employaient. Loya entendit parler de ces intrus et décida de leur rendre visite en compagnie de plusieurs autres guerriers. La barrière linguistique se révéla insurmontable, mais les Miwoks échangèrent des poignées de main avec les géomètres-arpenteurs et campèrent tout près d'eux. Ils troquèrent des peaux et des chevaux contre des chemises et de la nourriture, et chassèrent pour les Yeux Clairs qui les payèrent en dollars.
"Nous ignorions tout de cette monnaie, mais nous l'avons gardée. Nous avons appris par la suite qu'elle avait une grande valeur."
Ce premier contact avec les Yeux Clairs semblait innocent à la lumière de ce qui allait se passer par la suite ! Fascinés par l'étrange comportement des géomètres-arpenteurs, les Miwoks les regardaient faire pendant des heures. "Chaque jour, ils mesuraient la terre avec des instruments bizarres, et plantaient des piquets dont nous ne comprenions pas la raison d'être."
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"Ton chagrin est le mien Loya. Mais il n'y a rien que nous puissions faire pour ta famille, à présent." Powaqa.
L'évènement qui allait décider du cours de l'existence courroucée de Loya se produisit en Octobre 1850. En compagnie de sa mère (son père étant décédé de maladie 2 hivers plus tôt), d'Oneida et de leurs trois enfants, Loya s'était joint à une bande commandée par Powaqa en vue de chasser le bison pour les provisions d'hiver. Pendant plusieurs jours, les hommes s'étaient absenter ne laissant que quelques guerriers pour garder le village.
Treize ans plus tard, Loya se souviendra de cette tragédie :
"Une fin d'après-midi, à notre retour, nous avons vu venir à notre rencontre des femmes et des enfants qui nous ont dit que des hommes blancs avaient attaqué notre campement, tué les guerriers qui le gardaient, capturé nos chevaux, pris nos armes, détruit nos réserves de vivres et tué un grand nombre de femmes et d'enfants. Nous nous sommes rapidement éparpillés, nous cachant de notre mieux jusqu'à la tombée de la nuit. Après nous être retrouvés dans un lieu de rendez-vous décidé à l'avance, un fourré au bord de la rivière, nous nous sommes approchés de notre campement en silence, avant d'y pénétrer un par un, de placer des sentinelles et de faire le compte de nos morts, lesquels jonchaient le sol comme des feuilles en automne. C'est alors que j'ai découvert que ma vieille mère, ma jeune épouse et mes trois enfants étaient au nombre des victimes. Leurs visages affichaient un rictus de peur que la mort elle-même n'avait pu effacer."Les responsables du massacre étaient une bande de près de 130 yeux clairs. Sous le prétexte de poursuivre des indiens qui avaient volé sept mulets à Madera, une petite-ville située plus au nord-est, ils avaient marchés en direction du territoire Miwok où ils savaient trouver des campements natifs importants.
L'attaque-surprise avait fait trente et un morts parmi les Miwoks : seize hommes, cinq femmes et dix enfants. Loya était muet de chagrin.
"Il n'y avait pas une seule lumière dans le campement, aussi j'ai pu m'éloigner sans être remarqué et gagner le bord de la rivière. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là."Au milieu de la nuit Powaqa réunit le conseil des guerriers. Loya ne s'associa ni ne s'opposa à aucune des diverses décisions prises. Même s'ils brûlaient de se venger, les Miwoks étaient conscients de leur infériorité. Ils ne pouvaient aligner que quarante guerriers contre les yeux clairs de Madera et ils n'avaient plus ni montures, ni armes, ni vivres. Finalement, Powaqa décida que les survivants devaient se mettre en marche vers le sud sans attendre, à la faveur de la nuit, avec l'espoir de se remobiliser avant que les yeux clairs ne repassent à l'attaque. Ils ne pouvaient même pas prendre le temps de retrouver leurs morts, ni de les enterrer, et Loya dut abandonner sa mère, sa femme et leurs trois enfants aux vautours et aux coyotes.
"Je suis resté planté jusqu'à ce que tous soient éloignés, ne sachant pas trop ce que j'allais faire... je n'avais pas d'arme, et guère envie de combattre ; je ne pouvais même pas songer à retrouver les corps des êtres qui m'étaient chers puisque cela m'était interdit. Je n'ai pas prié, je n'ai rien fait de particulier, car toute volonté m'avait abandonné. J'ai finalement suivi la tribu, silencieusement, me contentant de rester à portée du faible bruit des pas des Miwoks qui battaient en retraite."Pendant que la malheureuse bande faisait route vers le sud, Loya garda le silence, et fut incapable de manger plusieurs jours. Les autres Miwoks respectaient sa tristesse car aucun autre guerrier n'avait perdu autant des proches. Lorsqu'il arriva à son village, Miwok Pass, son chagrin ne fit que croître à la vue des jouets de ses enfants, des décorations qu'Oneida avait accrochées à l'intérieur de la hutte, et des dessins qu'elle avait faits. Loya décida de tout incendier : son propre wigwam et celui de sa mère.
Pendant tout le trajet jusqu'à son village, il avait ruminé sa vengeance avec toute la violence dont un Miwok était capable.
"Pour le reste de mes jours, mon coeur allait brûler du désir de me venger des Yeux Clairs."_________
De retour dans le sud, les guerriers Miwoks de Powaqa se mirent en devoir de trouver des armes. Puis Powaqa réunit un conseil, à l'occasion duquel chaque guerrier exprima son désir de se venger des yeux clairs. Loya fut envoyé comme émissaire pour glaner les autres membres de la tribu éparpillé. Son discours devant l'une des familles Miwoks fut particulièrement énergique :
"Nous sommes des hommes tout autant que les Yeux Clairs. Nous pouvons leur rendre ce qu'ils nous ont fait. Suivons leur piste, je vous conduirai jusqu'à leur ville et nous les attaquerons dans leurs maisons. Je combattrait en première ligne, je vous demande seulement de me suivre afin que nous puissions nous venger du mal qu'ils nous ont fait... si je suis tué, personne ne devra me pleurer. Les miens ont tous été tués dans ce pays, et j'y mourrai aussi, s'il le faut."L'appel de Loya fut entendu. Moins d'une année après le massacre de Miwok Pass, Powaqa, Loya et d'autres guerriers se retrouvèrent à la frontière du pays Miwok, à la tête d'une importante parti de guerre jamais réunis par les ces derniers. Les guerriers se peignirent le visage puis prirent à pied la direction du nord, abandonnant leurs chevaux pour passer plus facilement inaperçus.
Guidés par Loya, ils parcoururent soixante à soixante-dix kilomètres chaque jour, et parvinrent à proximité de Madera. Huit yeux clairs vinrent à leur rencontre pour parlementer ; les Miwoks s'en saisirent et les tuèrent sur le champ.
"C'était pour attirer les soldats en dehors de la ville" expliquera plus tard Loya. La journée se passa en escarmouches indécises, mais les Miwoks réussirent à s'emparer du convoi de ravitaillement des Yeux Clairs, augmentant grandement leur stock d'armes et de munitions.
La bataille rangée eut lieu le lendemain : deux centaines de Miwoks contre une centaine d'Yeux Clairs. Etant donné la gravité des pertes qu'il avait subies, Loya se vit confier l'organisation de la bataille. Il disposa les guerriers en demi-cercle dans un sous-bois proche d'une rivière. Les yeux clairs s'avançèrent jusqu'à quatre cents mètres, l'infanterie venant en tête. Confiant quant aux fait que ses ancêtres lui garantirait sa vengeance, Loya conduisit une première charge.
"Durant toute la bataille je n'ai cessé de penser à ma mère, mes enfants assassinés et Oneida. Je me suis répété que j'avais fait le serment de me venger. J'ai combattu furisuement, et j'en ai tué plusieurs de mes mains."L'affrontement dura deux heures. Au plus fort du combat, Loya se retrouva isolé dans une clairière avec trois autres guerriers seulement. Ils n'avaient pas d'armes à feu, avaient tiré toutes leurs flèches et utilisé toutes leurs lances. "Il ne nous restait plus que nos mains et nos couteaux." Soudain, un nouveau contingent d'yeux clairs survint et ouvrit le feu. Deux des natifs tombèrent mort ; Loya se replia en courant vers les lignes Miwoks, suivi de son compagnon d'armes survivant. Rattrapé par un des blancs, ce dernier fut abattu d'un coup de couteau.
Rejoignant d'autres Miwoks, Loya se saisit d'une lance et, se retournant vivement, embrocha le Yeux Clairs qui le poursuivait, au moment où celui-ci tirait sur lui et le manquait. S'emparant du sabre du mort, Loya réussit à tenir à distance celui qui avait tué son compagnon. Puis ils en vinrent au corps à corps et roulèrent à terre. Loya leva son couteau et porta un coup mortel. Brandissant le sabre de son adversaire, il se dressa brusquement, cherchant à tuer d'autres Yeux Clairs, mais tous avaient fui.
Ce fut une éclatante victoire. Le décompte des Yeux Clairs fit état d'une cinquntaine de tués et près de quarante six blessés. Les survivants, en loques, se replièrent tant bien que mal sur la ville de Madera. Des troupes fraîches envoyées pour enterrer les morts et poursuivre les Miwoks furent si horrifiées à la vue du champ de bataille qu'elles refusèrent d'aller plus loin.
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"J'étais certain que Loya retrouverait la paix après la bataille imminente. Mais j'avais tort. Il n'y aurait pas de paix. Nos yeux se portaient sur un futur nouveau. La forme qu'auraient ces temps nouveaux, je ne la voyais pas encore. Il suffisait de regarder mon ami pour en voir le vrai visage. En lui, nulle pitié. Aucune pitié. Pas de pleurs, ni regret, ni joie. Pas de larmes de sang versées pour ce qu'il avait à faire. Je finis par comprendre que Loya était mort là-bas, à Miwok Pass. Mon ami avait brûlé en même temps que sa famille. J'allais bientôt savoir qui était cet homme qui me faisait face." Powaqa à propos de Loya.
Pendant près de quinze ans après cette bataille, Loya continua à participer à des raids en territoire homme blanc, des coups de mains dont il était très souvent l'instigateur, car son désir de vengeance était insatiable. Il eut l'occasion de conduire des partis de guerre comptant de deux à vingt guerriers, et faillit perdre la vie lords du premier de ces raids.
Avec seulement deux compagnons d'armes, Loya décida d'attaquer un village d'Yeux Clairs. Alors qu'ils étaient en train de voler cinq chevaux attachés à proximité d'une maison, les occupants de la maison ouvrirent le feu. Les deux compagnons de Loya furent tués sur le coup et un groupe de blanc, à pied et à cheval, survint.
"Trois fois ce jour-là, je me suis retrouvé cerné, mais j'ai continué à me battre et j'ai pu m'échapper et me cacher.". N'ayant que son arc et ses flèches à opposer aux fusils des Yeux Clairs, il réussit à tuer plusieurs de ses poursuivants, et, à la fin de la journée, il parvint à fuir vers le sud. Des hommes blancs lui donnèrent la chasse pendant deux jours, tirant sur lui de nombreuses fois.
"J'avais épuisé toutes mes flèches, et il ne me restait plus qu'à courir et à me cacher. J'étais très fatigué. Je n'avais pas mangé depuis le début de la poursuite, et je n'osais pas m'arrêter pour me reposer."Au cours de la seconde nuit, il finit par semer ses poursuivants. Il s'agissait là d'un extraordinaire exploit, mais qui ne lui valut que mépris de la part des autres Miwoks.
Enhardi jusqu'à l'imprudence par sa fureur vengeresse, Loya vit la mort de près à plusieurs reprises. Lors d'un combat, il chargea un Yeux Clairs, lance contre fusil. Comme il se ruait à l'attaque, il glissa dans une "mare de sang" et tomba au pied de l'homme blanc qui l'assoma d'un coup de crosse. L'homme s'apprêtait à l'achever lorsqu'un autre Miwok le transperça avec sa lance. Il fallut plusieurs mois à Loya pour se remettre, et il garda une cicatrice pour le restant de ses jours.
A l'occasion d'un autre affrontement qui eut lieu l'année suivante, une balle perdue vint le frapper près de l'oeil gauche, et il tomba évanoui. Le croyant mort, les Yeux Clairs l'enjambèrent pour attaquer d'autres Miwoks. Reprenant conscience, il se leva et courut vers un bois. Les balles sifflaient autour de lui et l'une d'elles l'atteignit au côté.
Puis plus tard, il décrivit une autre de ces stupéfiantes échapées belles :
"J'ai continué à courir, à esquiver et à me battre, jusqu'à ce que j'aie distancé mes poursuivants. J'ai escaladé la paroi escarpé du canyon où les cavaliers ne pouvaient pas me suivre. Les soldats me voyaient, mais ils ne sont pas descendus de leurs chevaux, ils n'ont pas essayé de me suivre. Je pense qu'ils ont bien fait de ne pas insister."Cette décennie de raids lancés contre les Yeux Clairs fit de Loya un guerrier redoutable et un meneur d'hommes. Les premiers fascos furent suivis de glorieux triomphes. L'un des partis de guerre les plus importants qu'il conduisit, vingt guerriers à cheval, revint en territoire Miwok avec, selon les termes de Loya
"Autant de chevaux, de mulets et de têtes de bétail que nous le désirions... Au cours de ce raid, nous avions tué une quarantaine de Yeux Clairs". Lors d'une autre expédition, avec trois compagnons d'armes seulement, il attaqua un petit village proche de la frontière. Ils réussirent à tuer un des villageois et à chasser les autres. Eblouis par l'importance de la variété du butin qui s'offrait à eux, les quatre guerriers pillèrent maisons et boutiques.
Les multiples excursions lancées par Loya lui permirent également de perfectionner ses connaissances topographiques, de ne plus rien ignorer des canyons et des sommets de la région. Animé d'une soif inextinguible de vengeance, ivre de colère, il fut de tous les combats et de tous les pillages au cours des dernières années. Même si la plupart de ses frères terminaient par mourir, les auspices semblaient nourrir à son égard d'autres desseins puisqu'il survécut jusqu'à aujourd'hui malgrés les nombreuses tragédies qui frappèrent son peuple.
Si son chef, Powaqa, semble avoir refréné ses vélléitées guerrières à mesure de voir ceux de sa race décliner, Loya est d'un tout autre avis. Les années n'ont en rien atténué son désir farouche de vengeance; les flammes de la haine ne cessent de consummer son esprit tandis que le loup noir qu'il couve en son sein se repaît chaque jour un peu plus de son chagrin et de sa colère.
Légende des deux loups- Spoiler:
Un soir, un vieil indien voit son petit-fils en colère, suite à une dispute avec son ami. Il vient vers lui, et lui raconte une histoire, celle d’un combat ordinaire – celui que mène chaque être humain sur Terre.
« Parfois, » dit-il: « il m’arrive également de ressentir de la haine contre ceux qui se conduisent mal. Cette colère ne blesse pas mon ennemi, et elle m’épuise. C’est comme avaler du poison et désirer que ton adversaire en meure. Souvent, j’ai combattu ce sentiment. En fait, un constant combat a lieu, tous les jours, à l’intérieur de moi-même. Et ce entre deux loups. »
« Deux loups, grand-père ? »
« Oui, deux loups.
Le premier est bon et ne fait aucun tort. Il connaît la paix, l’empathie, l’amour, la bienveillance.. Il vit en harmonie avec tous ceux qui l’entourent et ne s’offense pas lorsqu’il n’y a pas lieu de s’offenser. Il combat uniquement lorsqu’il est juste de le faire, et il le fait de manière juste.
Mais l’autre loup… celui-là est plein de colère, de jalousie, de tristesse.. La plus petite chose le précipite dans des accès de rage. Il se bat contre n’importe qui, tout le temps et sans raison. Il est incapable de penser parce que sa colère et sa haine prennent toute la place. Il est désespérément en colère, et pourtant sa colère ne change rien.
Et je peux t’avouer, qu’il m’est encore parfois difficile de vivre avec ces deux loups à l’intérieur de moi, parce que tous les deux veulent avoir le dessus.”
Intrigué, le petit-fils réfléchit et demande:
« A la fin, grand-père, quel loup remporte ce combat ? »
Aussitôt, le vieux Cherokee se tourne vers son petit-fils, le regarde dans les yeux, et lui répond :
« Celui que tu décides de nourrir. »