Trigger warning : insultes ; racisme ; récits de batailles.
Résumé : après avoir migré en Californie depuis la Virginie, et avoir été reçu par le colonel Anderson pour se signaler dans la région, Thomas doit rencontrer le Sheriff, pour une démarche similaire. Il doit aussi se faire recenser en tant que Chasseur de Primes.
Dans son bureau, le sherif était pour une fois en pleine capacité de ses fonctions cérébrales et motrices. Pas un gramme d'alcool ne coulait dans ses veines, il faisait de son mieux pour garder une assurance en ces temps compliquées dans l'Ouest. Le médecin lui avait dit, de pas user de la bouteille comme d'un moyen de décompression, mais alors quoi ? Quelle autre possibilité s'offrait à lui ? Owen scrutait depuis sa chaise, ce placard collée au mur et fermé à clef. Il y avait autant de paperasses importantes que de centilitres de breuvage, mais il tint bon, en place. Son oeil fatigué se posa une seconde sur la silhouette de l'adjoint Allen qu'il remarqua par l'embrasure de sa porte, celui-ci vaquait à ses occupations. En le voyant affairé à ses tâches, l'aîné reporta son attention sur la jambe qu'il était occupé à masser depuis quelques minutes. Elle lui faisait mal aujourd'hui, plus qu'hier et moins que demain espérait-il. Bonjour... A nouveau, il tourna son visage vers l'ouverture donnant sur la pièce principale, les cliquetis d'étriers annonçant un nouvel arrivant dans le modeste bâtiment récemment rénové. Je suis le Gen… Le chasseur de prime Thomas Powell. Je viens voir le Sheriff. Le shérif ne reconnut pas la voix, ce n'était pas quelqu'un de la ville. Un nouveau qui posait bagage dans le coin ? Mais surtout, un chasseur de prime qui pourrait lui être bien utile étant donné la merde dans laquelle baignait Crimson.
Envoie-le moi, Jim ! annonça Owen d'une forte voix, tandis qu'il délaissa sa jambe endolorie sous son bureau. Il attendit que l'homme fasse son apparition pour lui présenter d'un geste de la main, une chaise en bois face à lui, afin qu'il prenne place. Ce monsieur Powell était barbu, aussi arrangé que lui semblait-il mais surtout, un air de déja-vu dans la prunelle de ces yeux fit frémir l'homme de loi. Il ignora cependant cette impression et poursuivit.
Sherif Cooper, se présenta-t-il d'une voix un peu rouillée. Il se redressa sur sa chaise et croisa les mains sur son bureau désordonné, pour un meilleur appui. Chasseur de prime, vous avez dit ? Vous êtes venu récupérer vos billets contre un recherché ? Il s'imagina tout naturellement que cet homme était simplement venu lui remettre un criminel en main propre contre argent comptant, ça lui arrivait plusieurs fois par mois et c'était toujours un plaisir de foutre en cellule quelques misérables. Son nom ? Il se disait qu'au moins, ceux qui étaient dans sa prison n'était pas ailleurs à causer mort et misère.
Le type n'avait pas l'air en forme, son visage s'était momentanément figé, comme s'il venait de voir un fantôme. Owen n'en tenait pas rigueur, tout le monde avait ses propres raisons de sortir du lot et de paraître étrange aux yeux des autres... bon sang, y'avait qu'à le voir lui, avec sa dégaine portant une étoile qu'il pensait ne pas mériter. Non, non, je… Ca devenait de plus en plus bizarre, c'était pourquoi le sherif finit par croiser les mains au-dessus des feuilles entassées sur son bureau. Des rapports de ses adjoints, une correspondance avec le colonel et son ami James Hood, des articles de presse et affiches plus ou moins douteuses sur les criminels qu'il recherchait... A cela se rajoutait le carnet glissé par le gars vers lui, qu'Owen scruta d'un oeil d'abord curieux. Puis il comprit ce dont il s'agissait et déjà, des tremblements lui parcouraient le corps. Il les dompta aussitôt, ces séquelles d'après guerre faisaient maintenant parties de lui. Il venait se faire enregistrer, cet homme avait autrefois été un ennemi sur le champs de bataille et en sachant cela, le visage d'Owen se durcit malgré lui. Putain, il en avait chié ces cinq longues années à tenter de survivre dans cette marée de merde. Ses amis étaient tombés comme des mouches au fil des mois et lui il avait tenu, pour revoir un jour sa famille, ça ouais il avait tenu à la vie comme jamais dans toute sa misérable existence qui avait suivi. C'était à cause des hommes comme lui.
J’ai… Je suis le Full General Thomas William Powell, de l’armée des états-confédérés. Le sherif le dévisagea, trop morne pour faire l'effort de cacher la froideur avec laquelle il reluquait son interlocuteur. Vous voulez dire plutôt, que vous étiez le Général Powell ? Parce qu'aujourd'hui, ce grade ne lui servait plus à rien, si ce n'était le trainer comme un lourd fardeau d'anciennes prouesses qui ne valaient que le néant. Lui-même ne se sentait plus rien, qu'une carcasse errante, et pourtant il avait été du bon côté ; celui des vainqueurs. Plus Owen le regardait, plus ce regard lui rappelait un souvenir brouillé par les cendres, le brouillard, le sang sur son visage masquant sa vue, une douleur lancinante... Mais les Yankees me connaissaient sous le surnom de « Spearhead ». C'était lui, sur cette colline lors du dernier assaut ; ce pseudonyme ne lui échappa pas. C'était certainement un des souvenirs le plus palpable qu'Owen gardait en mémoire, puisqu'aujourd'hui encore il souffrait de cette rencontre. Après les tirs qui lui valurent une jambe qui ne retrouvera jamais sa pleine capacité, un obus avait éloigné ce confédéré sur plusieurs mètres. Cooper, alors simple soldat du bas de l'échelle, s'était trainé pour l'achever. Mais arrivé au-dessus de son corps inerte, à moitié mort, il s'était ravisé ; la fin de la guerre avait sonné, tuer cet homme maintenant ferait de lui un meurtrier et non plus un citoyen loyal qui prenait les armes pour combattre pour son pays. Vous... mumura Owen sans répondre rien d'autre, pour l'instant. Le monde était petit, et le monde se fichait un peu de lui. Il ne savait pas même quoi ressentir. De la colère de le voir en vie ? Non, ça pouvait pas, tous les soldats avaient accompli leur travail, ce qui leur semblait juste. Alors pourquoi s'il ne devait pas y avoir de ressentiment, cette tension dans chaque parcelle de son corps ? C'était vous, n'est-ce pas ? rajouta le sherif qui s'écarta de son bureau en faisant bruyamment glisser sa chaise en bois contre le sol. Il se dirigeait vers la commode où était stocké ses bouteilles, sa gorge devenait soudainement brûlante, il fallait qu'il boive. Sans lui demander s'il désirait boire, l'ancien soldat ramena deux verres et une bouteille puis se rassit. Comment vous avez survécu ? Vous étiez... quasiment mort.
Il avait raison, le gouvernement en place ne reconnaissait plus le devoir d'un soldat, lieutenant ou général confédéré mais leur titre demeurait. Les mains d'Owen tremblaient légèrement à la vue de cet homme qui lui faisait face, qui lui faisait ressentir autant de colère que la nostalgie d'un ami noir mort dans les mines en esclave. Thomas était de ceux qui n'avaient eu aucune considération pour ce défunt ami dont le dernier regard bienveillant avait été adressé à Owen, qui l'avait regardé mourir sans même bouger le petit doigt, paralysé par la peur à l'époque. Comment devait-il rester courtois, poli, amical ? Ouais. Si vous l'dites, répondit le shérif. Même si tout était fini sur le papier, les mentalités elles, persistaient et il ne douta pas qu'elles persistent encore très longtemps.
Quand l'alias Spearhead survint dans la conversation et qu'Owen avait instantanément compris et réagis, il remarqua sans mal le regard de Thomas, cet air affiché sur son visage sur lequel il ne parvenait pas à mettre de mot. Peut-être qu'il se disait que son heure était arrivée, que le destin s'était ri de lui à lui faire croiser la route d'un ancien ennemi déjà confronté sur le champs de bataille ? Et le sherif mentirait s'il disait que la pensée ne lui avait pas traverser l'esprit. Oui, dégainer et tirer avaient été la première éventualité juste avant d'aller se servir. Même pendant qu'il s'était rassis et qu'il avait rempli les breuvages, tuer Thomas Powell restait une possibilité. Il en avait les moyens et il savait que ses adjoints le couvriraient, l'aideraient à se débarasser du traître.
Pourtant, les deux hommes buvèrent déjà une première gorgée. Je vous ai reconnu, dès que je suis entré dans votre bureau. Etait-ce à cause de son regard expressif ? Margaret lui avait toujours dit que son regard était unique, mais il avait toujours pensé qu'elle parlait ainsi à cause de l'amour qu'elle lui portait. C'était peut-être juste un simple fait, une constatation comme une autre. Je ne me souviens pas de tout… Je me souviens de vous, sur cette colline… Le lieu qui avait lui avait pris une partie de ce qu'il était. Sans la pleine capacité de sa jambe, il s'était longtemps senti réduit à moins qu'un homme. Puis la rééducation conseillée par les médecins l'avaient beaucoup aidé, même s'il avait rechigné pendant un temps à s'y mettre. "Plus vous attendrez, moins vous récupérerez" lui avait-on dit. Et ils n'avaient pas menti. Puis, un obus… Du sang, des douleurs… Je vous vois préparer votre crosse de fusil droit vers moi… L'obus l'avait sonné quelques secondes, mais il avait été assez loin pour n'avoir que les oreilles qui sifflent. Ouais. J'pensais que vous alliez mourir de vos blessures. Mais vous semblez avoir, p't-être malgré vous, une putain d'volonté de vivre. L'espoir, le désir de retrouver les siens, ses enfants ou celle qu'on aime... Ca permettait de rester en vie, du moins de tout faire pour. Lui aussi avait renvoyé la faucheuse dans son trou.
Voyant leur verre vide, Owen les resservit. Et vous ? Comment avez-vous survécu ? Le rire du shérif lui fit haussa les épaules, une unique fois tandis que son rictus retrouva vite l'air las qu'on lui connaissait bien. J'en sais trop rien, avoua-t-il. J'ai gagné à la lotterie de la vie, quand d'autres se sont vus crever les tripes à l'air. C'était on n'avait de la chance, ou on l'avait pas. On était bien tombé, ou on l'était pas... Seul Dieu était décisionnaire mais avec lui, Owen était un peu en froid. Tout c'que j'voulais, c'était rentrer et oublier. Ca s'est pas vraiment passé comme ça. Il but son second verre, observant la bouteille qui se viderait certainement au cours de la journée. Puis, très sérieusement, il posa une question à Thomas Powell. Une question dont la réponse allait déterminer si la mort aurait été, finalement, une délivrance pour le Général.
Vous auriez préféré que j'vous tue, sur cette colline ? Parce que vraiment, qu'est-ce qu'un sécessionniste foutait en Californie ?
J’avais une… Putain de volonté de vivre. Oh ouais… Je vivais pour mon pays, mes hommes, mon armée et mon épouse. Mes enfants, aussi… Le shérif écoutait le soldat, car soldat on le restait au fond toute sa vie, lui expliquer à quel point mourir sur le champs de bataille n'était pas une option. Pour sa femme, pour ses enfants, pour quelqu'un. C'était toujours pour une seule personne qu'on s'interdisait d'expirer notre dernier souffle. Comme lui, Owen avait tenu bon pour celle qu'il aime, mais à en croire le regard empli de tristesse du sécessionniste lui aussi avait trouvé mauvaise nouvelle à son retour. Jusqu’à-ce que les vôtres me retirent tout. Vos diables bleus à la peau noire, auront mis le feu à ma plantation, libérés mes esclaves, détruits mes champs et poussés ma femme au suicide… J’avais de quoi me battre, jadis. Aujourd’hui, je ne fais qu’errer, en attendant que dieu me retire la vie. Son histoire tragique ne le réconfortait pas plus dans sa propre perte. Owen ne se délectait pas du malheur et de la souffrance d'autrui, quand bien même cet autre avait été un adversaire de taille pendant la guerre. Il poussa un soupir de circonstance, peiné de toutes ses vies arrachées, quelque choit le camps choisi. Lui avait la chance de savoir Margaret en vie, c'était une chance au milieu de tous ses désespoirs. Je ne dis pas qu'ils ont eu raison. Mais ce peuple a souffert aussi, m'sieur Powell. Si vous aviez été soumis à l'esclavage toute votre vie, forcés à travailler, forcés à voir votre épouse salie, vos enfants vendus, je pense que vous les auriez vengé au centuple. Owen ne cilla pas tandis qu'il observait les rides parcourant le visage de son interlocuteur. La conversation était fragile, par des années de tumultes derrière une arme chargée, par une vision de la vie fort différente.
Le sherif lui avait demandé s'il aurait préféré être tué sur place, quand il pouvait encore mettre fin à ses souffrances. Il avait posé la question tout en connaissant au fond la réponse. A un moment, Owen avait été si bas que lui aussi aurait choisi de mourir s'il avait pu apercevoir des bribes de son médiocre futur. Vous m’auriez sans doute fait la plus grande faveur de ma vie, soldat, si vous m’aviez tué ce jour-là. Je n’aurais alors pas eu à dépendre ma femme des décombres de notre ferme, ni voir mes fils, enterrés dans ce… Cimetière, que votre hiérarchie aura cru bon de nous offrir dans une pitié mal placée. Je serais mort aux champs d’honneur… Et n’aurait point vécu pour voir la décrépitude de mon pays. Owen secoua lentement la tête de gauche à droite en signe de négation. Il n'était pas d'accord avec tout cette soit-disante décrépitude, pour lui la Nation allait vers un meilleur avenir, vers la prospérité. Buvant un verre de plus, l'homme de loi répondit sur le ton du sarcasme. Ma hiérarchie vous offre un cimetière, par pitié ou non, vous en trouvez à redire. Si elle n'avait rien offert du tout, vous en aurez aussi trouvé à redire. Il haussa les épaules, c'était là toute l'ironie et il pouvait un petit peu comprendre cette opposition. Je crois que rien n'aurait pu vous satisfaire excepté la victoire. Il s'alluma une cigarette et tandis qu'elle reposait entre ses lèvres, il attrapa ce livret et jaugea les informations relatives à Thomas Powell. Il venait de Virginie, ils avaient donc été voisin quelques années. Si proches, et pourtant si différents. Un écart de quelques kilomètres et ils auraient pu combattre côte à côte pour les mêmes idéaux.
Une fois que je l'aurai signé, vous ferez quoi de votre vie ? Vous restez à Crimson ?
Le discours du général le débectait, lui rappelant assez facilement ce pour quoi il s'était battu. Avec le sang sur les mains, la mort tout autour de soi et le poids des pertes personnelles subies, Owen avait tendance à oublier. C'était les hommes comme lui qui auraient dû tous périr pendant la guerre. Cette pensée était violente, mais il n'en était pas conscient, seule la colère le faisait tenir encore debout. Sans toutes ces merdes, Theodore serait encore en vie et ils auraient pu se contruire une ferme côte à côte. Dans les mines, les deux amis en avaient beaucoup parlé, tout en sachant que beaucoup de choses pouvaient entraver ce rêve flou et lointain. "L'homme blanc et pur"... putain, c'qu'il faut pas entendre, marmonnait le shérif en se frottant le visage par un lourd sentiment d'agacement. Mais il ne servait à rien de s'énerver, pas vrai ? On n'tuait pas un gars pour ce genre de paroles et visiblement, Thomas payait déjà en quelque sorte de sa vie pour avoir combattu du mauvais côté.
Non, en effet. Et nous l’aurions gagné, cette guerre, si vous n’aviez pas l’avantage du nombre. Après tout… Nous vous avons mis en échec plus souvent qu’à votre tour. Owen sourit tristement. Il se souvenait de tout ça comme si c'était hier, ses frères d'arme perdant la vie au fil des jours. Les confédérés avaient gagné beaucoup de bataille, c'était vrai. A chaque fois qu'une pause s'imposait après dès heures de lutte, il s'endormait en se questionnant sur la légitimité à être toujours en vie alors que le massacre était conséquent. Désastreux. L'ami qui avait dessiné son portrait, envoyé aussitôt à Maggie, était mort peu après ce service offert.
Et vous vous êtes jamais interrogé sur le fait qu'on soit bien plus nombreux à penser que vous avez tort ? Qu'une majorité se prononce en faveur d'un avis ne voulait pas forcément dire qu'elle avait raison. Mais certain sujet était non négociable pour Owen. Ecoutez... le shérif se racla la gorge avant de tirer une nouvelle bouffée sur sa clope mal roulée. Il n'avait pas été ému par le mal être dont était victime Thomas, comment aurait-il pu ? Le général n'exprimait aucun remord, si c'était à refaire, c'était certain qu'il prendrait à nouveau les armes. Essayez d'vous faire petit. y'en a pas des tas des comme vous, ici. C'était le seul "conseil" qu'il put donner à son invité surprise, si réellement conseil il avait besoin. Les gens sont encore en deuil. Beaucoup pleure père et fils, sans compter c'qu'il s'est passé y a pas si longtemps. Ne les énervez pas, j'pourrais rien faire contre une horde de citoyens en quête de vengeance, hm ?
Le shérif fit glisser le livret vers lui, avant de le cacheter dans un bruit sec.
Ah ça oui ça l'démangeait de lui en coller une. Mais le prétexte était purement personnel. Le cogner lui aurait fait du bien, mais pour combien de temps ? Etait-ce vraiment utile de s'acharner sur un pauvre type qui avait aussi tout perdu ? La punition de Dieu était déjà assez sévère comme ça ; et Owen avait déjà trop de sang sur les mains. J'suis pas d'accord. Vous êtes pas d'accord. J'crois qu'la conversation sera sans fin, hm ? Impossible pour Owen de se demander, pourquoi l'univers avait gardé en vie cet homme ? C'était les ordres de cet ancien général, aussi doué soit-il pour la guerre, qui avait conduit à autant de pertes humaines dans ses rangs. C'était les lois de la guerre, bien sûr, Owen n'allait pas chipoter avec ça. "Ce qui se passait sur le champs de bataille, devait y rester", son père lui avait inlassablement répété ces mots dans l'espoir de retrouver un fils sain et sauf après plusieurs années sur le front. Mais ce n'était que chimère que de penser qu'un homme resterait tel qu'il était, après une guerre, pas vrai ? Thomas Powell lui-même avait dû beaucoup changer après tout ça. Comment était-il, avant ?
Je ne compte énerver personne Sheriff. Je ne suis d’ailleurs pas ici pour ça. J’ai obtenu du tribunal Californien, l’autorisation de chasser la prime humaine sur ordre des juridictions locales. Owen souffla du nez, ce qu'il allait dire semblait surréaliste. Pour être honnête, les autorités locales sont dans une merde sans nom, alors un peu d'aide... Il l'avisa d'un regard agacé, est bienvenue... peu m'importera d'où elle vient. Thomas l'avait informé avoir rendu visite également au Colonel. Il serait bon pour lui de savoir ce qui avait été dit, non seulement pour ne pas se répéter et faire perdre du temps tant à lui qu'à son interlocuteur, mais aussi pour jauger le degré d'implication que cet homme désirait offrir. Il voulut poser la question quand Thomas le précéda. Dites… D’ancien soldat, à ancien soldat… Vous y croyez-vous, à cette… Réunification dont tous nos chefs parlent ? Owen ne sut pas tout de suite quoi répondre. Il connaissait sa position, évidemment, mais pourquoi Powell mettait ça sur le tapis ? C'était peut-être pas plus mal, ça permettait à la conversation - et donc la tension - de dévier un petit peu. Bien sûr qu'j'y crois. Et le chemin de fer va permettre à la Californie d'se rattacher aux états de l'Est. Il hochait pensivement de la tête, tout songeur. Ca n'peut qu'être mieux comme ça. Pas vous ? Il ne savait même pas pourquoi il lui retournait la question. Tout les différenciait, les séparait, c'était évident qu'ils ne seront pas même d'accord sur ça. Owen poussa un soupir, lâchant le cacheton et laissant tout le loisir à Thomas de récupérer son livret. Le Colonel vous a parlé de quoi exactement ?
Toutefois, vous et moi partageons plus qu’aucune autre personne en ce monde… Le shérif haussa un sourcil, curieux d'entendre de quoi parlait son interlocuteur. Et plus Thomas parlait, plus le fin sourire d'Owen s'étirait sur sa face, malgré lui. Il était lui-même surpris par ce sourire qui n'avait rien de sarcastique aux premiers abords. Ils avaient tous les deux échoués à prendre la vie de l'autre, qu'est-ce que cela signifiait dans les plans de Dieu, si plan il y avait ? Etaient-ils des laissés pour compte oubliés des grandes lignes du Seigneur ? Pourtant omniprésent et omnipotent, rien ne lui échappait. Nous étions des adversaires… Aujourd’hui, que nous le voulions ou non… Nous sommes des frères d’armes.
L'ancien soldat dévisageait Thomas. Ou plutôt, il repassait ses mots dans sa tête, essayant de chercher s'il se sentait insulté de pareilles aberrations ou si au contraire, ça lui permettrait de tourner la page. On lui avait tant de fois rabâché de passer à autre chose et là, Thomas lui donnait une occasion en or. C'était comme si les armes étaient déposées, vraiment, depuis cet instant. Quelle triste vie qu'il avait d'avoir pour plus proche compagnon de route, un ennemi ? Pas de femme à serrer dans ses bras, pas d'enfants à qui apprendre à tirer ; juste un type aussi paumé que lui, avec qui boire un verre. Vous avez... assez bien résumé les quelques minutes de notre première rencontre, répondit Owen qui finit son verre. La gorgée de trop peut-être, il sentait l'engourdissement le prendre petit à petit, annonçant certainement un somme à venir dans les bras de Morphée.
La suite de la discussion était intéressante, en dehors des champs de bataille et de la suie couvrant les visages de ses hommes, Owen découvrait l'être humain derrière l'adversaire. Il aurait pu donner une réponse plus personnelle à la question de Thomas mais l'envie n'était pas là. Pas maintenant. Peut-être que dans quelques semaines, il arriverait à faire la part des choses, en ne mettant pas sur le dos du général toutes les pertes qu'il avait subies. Après tout cette guerre n'était pas la faute de Thomas Powell en personne. M'sieur Powell, je pense que les femmes n'auront jamais le droit de vote, mais pour ce qui est de vous... ça risque sûrement de changer. Vous savez comment j'le sais ? Il sourit avec amusement, parce que l'homme fait que des conneries. Prends que des mauvaises décisions. Puis allez savoir c'que vous ferez de votre vote si vous l'aviez encore, hm ? une tentative de renversement du pouvoir... ? Il ne se moquait pas, loin de là. Owen Cooper était simplement un défaitiste né de ses sombres années, persuadé que l'être humain en général était un idiot et que les siècles ne changeront pas cela.
Le Colonel m’a confié avoir besoin d’aide. S’il m’est impossible de reprendre un rôle dans l’armée, il m’a confié avoir besoin de toute l’aide possible dans la recherche des criminels et des groupes de bandits. Un rôle de combattant et de stratégie, sans doute, que j’ai accepté. Et que je peux vous offrir également, au besoin. Le Colonel, quel fougueux soldat ! Le sherif levait les yeux au ciel, cet Anderson avait la motivation d'une tempête à vouloir balayé les crasses de l'Ouest pour un territoire civilisé, le plus vite possible. Ce qui était bien, n'est-ce pas ? Il a pas perdu d'temps... grommela Owen, pour ma part j'accepte votre aide. J'peux pas refuser. Comme vous l'avez sûrement remarqué, je n'ai que peu d'adjoints et ils sont très jeunes. Inexpérimentés. Ils n'ont pas participé à la guerre civile, ou peut-être depuis les jupons de leur mère. Il avait parlé bas afin que Jimmy ne l'entende pas. Ce p'tit était orphelin, pas la peine d'enfoncer le couteau dans la plaie.
Le sherif se leva, les pieds de sa chaise frottés contre le bois perpétrant un horrible son pour les oreilles. C'était une invitation à disposer des lieux ; il avait du travail à accomplir et c'était pas ses bébés adjoints qui allaient s'y cantonner. Non pas que vous m'embêtiez, mais j'ai ma patrouille à commencer. Il attrapait son arme pour l'enfouir dans son holster, puis prit son chapeau. Puisque vous êtes officiellement du service, m'sieur Powell, sachez que je m'en vais à Calico dans quelques jours. Le bruit court que le maire réunit tous les hors-la-loi de Californie, le lieu idéal pour des hommes comme nous, hm ? Il se reprit alors tout de suite et ne laissa aucun doute sur le fait que sa correction n'était en rien une plaisanterie. Enfin, après le saloon !
Monsieur Powel avait suivi le mouvement, en se levant à son tour. Il avait senti la fin de leur entretien, si Owen pouvait appeler ça ainsi. Leur rencontre, ou plutôt leur retrouvaille, était une surprise en ce jour que le shérif n'était ni prêt d'oublier, ni capable de raisonner de manière réfléchie pour l'instant. Il était partagé entre un ressentiment lié à la guerre, entre la rancoeur liée à Thomas qui lui avait pris une partie de la mobilité de sa jambe, entre l'impression désagréable d'avoir malgré tout trouvé cette entrevue... agréable. C'étit pénible, de se poser autant de question.
Ce soir il irait au saloon, une fois ivre sa tête radotait moins et Owen se sentait moins pris dans un étau où il étouffait en continu. La souffrance était une fidèle amie, dans sa vie ; loyale et omniprésente, qu'elle soit mentale ou physique, jamais elle ne manquait à l'appel. Du service ? L'homme de loi leva les yeux vers Thomas, sans comprendre tout de suite de quoi il s'agissait. Je sais que vous êtes à court d’adjoints, mais… Est-ce que ça veut dire que vous me voulez dans votre équipage ? Owen ne répondit pas tout de suite, il enfilait sa veste tandis que son ancien adversaire cherchait des clarifications justifiées. Il hocha lentement la tête pour montrer qu'il avait compris le quiproquo ; Owen savait qu'il pensait plus vite qu'il ne parlait, et le fait de mâcher parfois ses mots ou prendre de sérieux raccourcis dans ses discours n'aidaient en rien à éviter les malentendus. Comme vous dites, répondait le rouquin, je vous vois comme un atout pour la ville. Je suis assez mature pour mettre de côté mes... Quel mot pouvait bien qulifier ce qu'il ressentait vis à vis de ce soldat qui l'avait marqué à vie ? ... propres griefs. Ses bottes aussi se dirigèrent vers la porte du petit bureau, un endroit à l'image d'Owen ; peu lumineux, un peu désordonné, où ça sentait le tabac à plein nez. J'ai peu d'adjoints mais l'arrivée du Colonel et ses hommes me soulagent des affaires les plus compliquées. Mais je dois avouer que les chasseurs de prime me sont indispensables, y a trois mois d'ça y'en a un qui m'a ramené le Leprechaun par la peau du cul, ce p'tit merdeux était recherché depuis des lustres !
A se remémorer ça, il ricana un court instant avant de leur ouvrir la porte. Ah ça il aimait, de brûler une affiche de recherche parce que le salopard attendait que justice soit faite au fond de sa cellule. Après avoir refermé derrière lui, le shérif mit son chapeau sur la tête. Garde un oeil à la prison, Allen, fit-il à son adjoint alors qu'il se dirigeait vers vers la sortie.