[Sacramento] Le calme, avant la tempête.

Le marché de Sacramento.
La capitale était grande et en son centre, les quartiers commerciaux abondaient les week-end. Ferdinand Stanford était venu seul ce matin là, pour s'acheter un nouveau costume en vue de son passage imminent auprès des membres les plus influents de l'Assemblée. Son discours était mémorisé, même si comme toujours quand il prenait la parole devant un auditoire, Ferdinand aimait improviser. Il était bon, à ces jeux-là. Malgré son aisance en public, le gouverneur était conscient des enjeux qui pesaient sur sa place, et peut-être même sur sa vie. Il avait les yeux derrière la tête, en plus des deux hommes de main payés grassement pour sa protection.

Des hommes et femmes lui adressaient leur salutation à son passage, Ferdinand avait beaucoup d'adeptes dans la capitale. Son père étant aussi membre de l'Assemblée, le nom des Stanford faisait donc déjà écho depuis dès années en ces rues et ces maisons. Ce n'était pas sans raison, Ferdinand comme les autres démocrates de son parti, donnait au peuple ce qu'il fallait de pouvoir pour feindre l'illusion qu'il avait son mot à dire. Il se montrait toujours publiquement et officiellement, du côté des citoyens ; car pour lui, il l'était. Bien sûr, il n'était pas question d'offrir trop de libertés car chaque troupeau avait besoin d'un berger pour être en sécurité et arriver toujours à destination. Et comme dans chaque troupeau, le berger aimait ses brebis. Ce n'était pas différent pour Ferdinand, qui ayant grandit en Californie, voulait élever cet Etat et offrir un coin de paradis pour chaque citoyen.

Quelques heures lui furent nécessaires pour entrer dans des boutiques, faire des essayages et des choix. Il emprunta le chemin vers les ruelles des enseignes plus féminines, afin de trouver un cadeau digne pour Victoria. C'était dans la troisième boutique que Ferdinand trouva son bonheur, avec les précieux conseils de l'employée. Un ensemble était mis en boîte entourée d'un ruban en soie bleu, avec à l'intérieur une robe et ses chaussures assorties, ainsi que des boucles d'oreille et un collier plus délicat et discret que de coutume. Les tons bleus, les préférées de son épouse, étaient omniprésents.
C'est un beau cadeau que vous lui offrez là, elle en a de la chance ! sourit la magasinière en tendant le sac de course au Gouverneur. Celui-ci fit une mine qui approuvait ces paroles.
Non. C'est moi qui ai de la chance. En plus d'avoir des erreurs à me faire pardonner. Il baissa son chapeau en signe d'au revoir et sortit du chic magasin. Dehors, Ferdinand prit un raccourci pour rejoindre sa diligence. Sur le trajet, un bar rempli d'hommes déchaînés à l'entrée l'interpella. Il demanda à un de ses hommes de main d'aller au bureau de poste pour envoyer avant ce soir le colis pour Victoria, tandis que le second homme devait frayer un passage pour le gouverneur à travers la foule...

Un pas après l'autre, Ferdinand suivait son homme de main qui avait réussi à les faire entrer dans le bar. En atteignant le milieu de la salle, il comprit d'où venait l'agitation des hommes de tout rang présents. Du point central où se trouvait Ferdinand jusqu'à l'extérieur, il y avait respectivement la classe sociale la plus distinguée à celle des paysans dehors qui espérait pouvoir s'avancer.

Dans des grandes à petites cages, des bêtes de tout horizon avait débarqué en bâteau pour être vendu au plus offrant. Des chiens de chasse, de garde, de compagnie. Des oiseaux exotiques, il y avait même un signe capucin que Ferdinand observa avec un certain dégoût.
Vous avez vu ça ? lança le type bien habillé à sa droite. Le gouverneur tourna son regard émeraude vers lui, intrigué par ce qu'avait à dire le gentilhomme. Le propriétaire fait des combats de chiens dans son sous sol !
Ah oui...? murmurait Ferdinand. Il a son champion à quatre pattes ?
Il parait qu'oui, un énorme bâtard qui les réduit tous en miette, lui répondit-il avec un grand sourire. Tiens, regardez, juste là ! Son doigt pointa un gros chien au poil blanc, couché dans sa cage. Sa peau laissait deviner de nombreux combats gagnés de justesse, des cicatrices la jonchaient comme autant de douloureux trophés.
Pour Ferdinand, le contraste était intéressant, avec sa faculté à se sentir triste. Il en avait déjà vu des hommes, parfois des esclaves, souffrant terriblement sans que cela ne le chagrine plus que cela. Mais ce chien, aux premiers abords laid et dangereux, lui serra étrangement le coeur. Un animal n'était pas mauvais, l'homme oui : ce devait être la réponse à sa propre interrogation.

Deux cents pour le molosse, cria Ferdinand pour que sa voix porte jusqu'au commerçant. Celui-ci le regarda d'ailleurs d'un air ahuri, ses yeux glissant du chien à cet homme fou.
Euh, non, il.. il n'est pas à vendre, désolé !
Trois cent dollars.
Face à la somme conséquence, le vacarme s'atténua et commença une bataille visuelle entre les deux hommes. Le vendeur sembla gêné de refuser une bête pour autant d'argent, mais le chien lui rapportait pas mal grâce aux combats.
Vraiment désolé, monsieur, mais comme je vous l'ai dit il n'est pas à vendre en plus d'être très agressif.
Cinq cent dollars. Parfait, j'ai besoin d'un bon chien de garde.
Vous savez il est encore jeune malgré sa taille, et...
Le regard du Gouverneur était insistant. Il avait déjà sorti une liasse de billets que tous scrutait avec envie, tandis que l'homme de main était prêt à dégainer au moindre mouvement suspect. Il était las des prises de risques de son employeur mais au vu de son salaire, il se la fermait avec grand plaisir.
Bon, écoutez... passez me voir ce soir pour le combat, nous en rediscuterons.
Parfait ! s'enjoua Ferdinand. Un de mes hommes restera près du chien jusqu'à mon arrivée, dans ce cas. Il sourit, sournois, démontrant que ce petit jeu ne prendra pas avec lui car lui-même aurait pensé à fuir durant ce laps de temps.