A notre alliance silencieuse

Seule la couverture d'étoiles pouvait les fondre dans l'ombre des arbres, qui s'étendaient vaillamment vers le ciel. Cette nuit là, Tallulah venait de sortir de sa hutte chaude pour confronter fraîcheur et obscurité. Quelques tolowas étaient encore éveillés, l'heure n'était pas si tardive que ça. Mais la discrétion était son fort, se faufiler en évitant d'être aperçue d'autant plus. Après tout, elle ne comptait pas le nombre de fois où ses sorties en catimini n'avaient jamais été su de son père. Otoahnacto le savait parfaitement, lui qui l'avait si souvent accompagnée dans ses aventures au coeur de la forêt. C'était vers cette rivière que la lune éclairait avec délicatesse, que ce soir ils se rencontraient pour une discussion qui ne pouvait plus attendre.
"Ils", qui étaient-ce donc ? Les renards et corbeaux du chasseur, qui agissaient dans l'ombre dans l'intérêt de leur inquiétude grandissante. Les jours passaient et le serpent de fer s'allongeait, le temps manquait. Ces tolowas qui partageaient la même vision que celui les ayant débauchés, ignoraient l'implication de Tallulah jusqu'à aujourd'hui. Du moins si certains s'en doutaient, elle ne s'était jamais montrée directement. Son statut de fille du Chef l'en avait jusqu'à présent empêché, mais l'heure ne pouvait plus être au refoulement. Il fallait à tout prix prendre position. Le coeur lourd, la princesse contourna l'enclos des chevaux, avec un regard pour Waban. Elle lut dans ses billes noires à quel point il voulait la rejoindre, mais ce n'était pas envisageable ; la discretion voulait que le trajet se fasse à pied.
Tous s'y rendaient séparément, c'était le meilleir plan pour ne pas être vu ou même pire, suivi. Leur secret finirait par leur exploser au visage, Tallulah en était consciente, seulement ce soir n'était pas opportun pour une telle catastrophe. Omawnakw ne devait pas encore savoir quoique ce soit de ses appartés, pas tant qu'aucun premier contact ne soit fait avec les miwoks.
Elle accéléra sa course effrenée, à travers feuillages et branches cassant sous ses chaussons. Sa longue natte n'avait pas su contenir les mèches folles qui avaient su résister aux entremêlements de la coiffure, collant bien vite à ses tempes perlées. La native ne ralentit sa cadence qu'en constatant les croassements des grenouilles et le reflet de l'astre sur la surface de l'eau.

Il n'y avait encore personne, aussi s'adossa à un arbre, ses yeux ne cessant de bouger de droite à gauche au moindre bruit. Otoahnacto, lui, saura quand et où regarder. Il était un chasseur qui reconnaissait la source d'un pas, qui pouvait dire même, de quel animal il provenait. Pour elle, tous ses bruits étaient lechant mélodieux de la nature, mais restaient indistincts.
Otto, c'est toi ? chuchota-t-elle, pas assez inconsciente pour donner clairement sa position. La tête tournée vers la gauche, Tallulah entendait qu'on marchait non loin. Déjà, sa main caressait le manche de sa lame enfoncée à sa ceinture. Par les temps qui courent... on ne savait jamais.

Tallulah n’avait pas la perception aiguisée qui constituait celle d’un chasseur, elle n’était pas capable de parfaitement déterminer la provenance d’un son ou à qui, à quoi, un bruit de pas appartenait. Elle sentait seulement ne plus être seule au milieu de la forêt et se douta qu’un des membres de l’équipe composée par Otoahnacto était présent, à moins qu’Otto lui-même ne lui joue un tour. C’était tout à fait son genre ! Mais... elle n'en était pas sûre et par les temps incertains qui courent, la fille du chef n'allait pas uniquement supposer au péril de sa sécurité. Une pensée bien trop sage pour celle qu'elle était, mais cette vie qui prenait forme dans ses entrailles ne lui laissaient pas le choix que d'être un peu plus raisonnable. Il y a encore quelques semaines, elle n'avait que de petits doutes sur sa condition, mais récemment ils furent tous balayés par des matinées vaseuses et une absence totale de saignements qui rythmaient sa vie de femme.

Alors que retentissait ce feulement, la forêt sembla ne plus faire aucun bruit, plongeant Tallulah dans un silence qui ne la paralysa pas pour autant. La peur était une émotion forte mais elle poussait la tolowa à avancer plus que l'arrêter. C'était là qu'une ombre bondit vers elle, Tallulah se saisit une fraction de secondes les yeux écarquillés mais ne trébucha pas ni ne cria comme sa soeur Sora pouvait le faire. Après la surprise, son expression effrayée se changea petit à petit en un rire nerveux, puis un sourire apaisé.
Je savais très bien que c'était toi ! dit-elle en sachant pertinemment qu'il ne la croira jamais, mais la princesse n'admettait pas toujours ne pas être parfaite en toutes les matières. Contente de tomber sur lui et non un autre membre de la bande, elle se mit debout afin de s'approcher. Son front contre le sien, collés l'un à l'autre pour une courte proximité qui en disait cependant long sur ses sentiments.
Ceux-ci étaient d'ailleurs, comme une tempête de sable à l'heure actuelle. Voir le visage du chasseur, se retrouver dans l'intimité la plus totale de la nature était une occasion unique de lui parler de l'imprévu au creux de ses entrailles. Leur dernière discussion sérieuse, dans le tipi d'Otoahnacto, lui scella cependant la bouche. Parler d'enfant à naître ne ferait qu'oppresser le tolowa, ne ferait que le contraindre à peut-être accepter un destin dont il ne voulait pas. Alors, elle ne dit rien, éternisant simplement son sourire qui reflétait sa joie de le voir.
Peut-être que plus tard, il y aurait un moment plus opportun.

Les autres vont bientôt arriver ? Tu leur as bien dit de venir à la rivière ? Tandis qu'elle posa la question, son regard quitta les yeux rassurant du chasseur pour observer les alentours de la forêt. Elle avait d'emblée supposer qu'il était arrivé seul mais il se pourrait que les autres se terrent encore entre les feuillages.
Tout son corps tremblait d'un excitation nouvelle, cette rencontre au clair de lune était un pas en plus vers la désobéissance mais en accord avec ce que lui dictait son coeur. Omawnakw serait furieux, ou pas, d'apprendre qu'une telle entreprise se soit jouée dans son dos et elle était prête à subir les rarissimes foudres de son père.

L'éclat de rire d'Otoahnacto était aussi surprenant que contagieux, elle aussi se mit à rire à sa suite, la peur qui l'avait saisie s'estompant à petit feu.
Il répondit à sa question par l'affirmative, ce pour quoi Tallulah s'était mise à observer les environs, à la recherche des autres membres de leur petit groupe. Quelques animaux manifestèrent leur présence, mais aucun autre bruit excepté la présence apaisante de la faune.
Ils sont là. La conviction d'Otto de leur présence était si sûre qu'elle le crut sur parole, même si rien ne l'indiquait à ses yeux à elle - à ses oreilles. Il se détacha d'elle pour se mettre à découvert et elle le suivit ; à ses côtés elle se sentait intouchable, à l'abri. Une sécurité sans pareille qu'avec nul autre, elle n'avait pu ressentir, si ce n'était son défunt mentor. Des fourrées, sept tolowas surgirent avec des pas milimétrés, qu'elle salua tour à tour. Ils n'étaient plusseuls mais Tallulah l'avait su en arrivant ici, que ce n'était pas un rendez-vous romantique au clair de lune. Du travail les attendait.
A la façon dont les corbeaux et renards regardaient Otoahnacto, chasseur et fils de chasseur avant lui, Tallulah ressentit une montée de fierté. Il s'imposait et faisait découvrir, à elle, à lui et sans doute aux autres, une nouvelle facette de l'homme qu'il était. Un tolowa respectable et respecté. L'heure n'était certes pas à cela mais, en le voyant ainsi, elle vit une nouvelle fois un bon chef en devenir.

En chassant ses pensées de son esprit, tout comme les autres, elle se pencha au-dessus de la carte que Tekoa déplia pour eux. Son amant pointa les points centraux qui seraient leur objectif ce soir, en accord avec tous. Wakiza donna sa bénédiction avec une sage condition à leur manoeuvre, celle de faire le guet pour être celui qui surprend et non pas celui qui serait surpris. Leur dernière descente avec Otoahnacto avait fait mouche, les visages pâles ne se laisseront pas faire deux fois de la même manière. "A moins qu'ils soient stupides" avait-il renchéri, faisant rire ses frères. Elle, avait souri, bien qu'une pensée lui traversa l'esprit. Même s'ils étaient stupides, ils pouvaient facilement pallier à cela par leur nombre et c'était là le désavantage  des natifs le plus évident... d'où l'intérêt actuel d'agir dans l'ombre.

Il faut partir maintenant si on ne veut pas éveiller de soupçons au village. La fille du chef hocha la tête, il avait raison. Plus longtemps leur absence serait, plus vite les curieux et observateurs s'immisceraient. Tu es prête ? Sans une once d'hésitation, la princesse attrapa cette main tendue vers elle. Allons-y, lui murmura-t-elle en le suivant vers Mimiteh. A la vue du cheval d'Otto, elle se figea. Je n'ai pas ramené Waban avec moi, il y avait encore quelques uns de nos frères et soeurs éveillés non loin de l'enclos ! Elle s'en mordit la lèvre de culpabilité mais avait du faire un choix devant l'obstacle. Le dos de Mimiteh était puissant, tout comme ses pattes, elle était une jument capable de les porter tous les deux à moins qu'un autre tolowa ne possède un mustang plus fort de ses capacités-là.
Près de la rivière où la monture broutait, elle posa cependant une question qu'aucun n'avait soulevé.
Va-t-on attaquer simultanément ou pas ? Nous avons trois lieux à visiter, ça pourrait prendre toute la nuit. Quelle est la meilleure marche à suivre ? Son regard se posa autant sur Otoahnacto que Wakiza.

Ce n'était pas étrange d'être la seule femme parmi un groupe d'hommes, les tolowa ne faisaient pas ce genre de distinction. Et pourtant, Tallulah n'avait pas apprécié ce dédain affiché sur le visage de Tekoa. Elle avait froncé des sourcils, l'observant de ses yeux revolvers en gardant néanmoins la bouche scellée. Ce n'était pas le moment opportun pour tout ce qui n'avait pas attrait à la mission. Vous serez trop lourds. On ne doit pas être vus et encore moins pris. La princesse leva les yeux au ciel, c'était un discours si pessimiste ! Et ils n'iraient pas loin, à ne penser qu'à des possibilités de ce qui pourrait arriver. Elle croisa les bras, dans un léger déhanché pour soutenir son corps sur une seule jambe. C'était un signe de son agacement, entre autre signe bien visible comme en témoignait ses soupirs et ses doigts s'agitant sur son bras. Tallulah regarda Otoahnacto, pas dans le but de chercher de l'aide dans son regard car elle était et se voulait indépendante quoiqu'il arrive. Elle voulait simplement voir dans s'il était d'accord ou non avec les dangers mis en avant par Tekoa.

Je la déposerais avant de passer à l'attaque. Elle fera le guet et couvrira nos arrières. Elle cacha son sourire satisfait, entendre Oto qui essayait malgré tout de ne pas l'écarter lui remplit son coeur de joie et c'était bien suffisant pour Tallulah qui avait déjà pris sa décision.
Et si elle se fait prendre ? Le silence qui s'imposa après cette fausse question, car elle n'attendait en fait aucune réponse se disait-elle, conforta la princesse dans son départ précipitée. Elle s'était préparée pour une longue nuit mais allait se voir rentrer bredouille au camps tolowa, frustrée de ne pas avoir fait parti de l'aventure mais aussi, inquiétée de ne pas pouvoir couvrir le chasseur. Il n'était pas question de se dire s'il avait besoin d'aide ou non, Tallulah le savait plus que capable mais on ne perdait jamais rien à avoir un oeil protecteur en plus posé sur soi.

Que comptes-tu faire ? Peut-être qu'il vaut mieux que tu rentres. La fille du chef le vit, il n'avait pas facile à prononcer ces mots. Elle décida de lui rendre la tâche facile, Otoahnacto avait déjà beaucoup à porter sur ses épaules. Il devait rester concentré. Pour toutes réponses, Tallulah plongea d'abord ses doigts dans le creux de la main du chasseur. Elle marqua le doux visage de son amant par des marquages et symboles de protection. Sa pulpe glissait délicatement sur la peau du tolowa, dessinant ses lignes et arabesques.

Reviens moi vite, souffla la princesse. Avant de s'en aller, cependant, elle lui saisit le poignet afin de poser lentement la main de l'homme contre sa joue, se marquant également des protections des esprits... Cela voulant dire, ce que ce ça voulait dire. Puis, Tallulah partit, sa silhouette disparaissant derrière les feuillages de la nature. A peine n'eut-elle plus été dans le champs de vision du groupe de tolowas qu'elle courut jusqu'au camps. Il faisait noir et même si elle connaissait les lieux, la faune et la flore pouvaient être embêtées d'être dérangées alors que la lune brillait. Sa course était rythmée par les coupures des branchages qui faisaient office de fouet contre sa chair, par les failles qu'offraient la terre creusée par les animaux, par les racines d'arbre surélevée manquant de la faire tomber. Mais elle arriva à bon port, près de l'enclos des chevaux. Entre temps, les alentours avaient été déserté par les membres de la tribu et elle put s'enquir de Waban sans attirer l'attention.

Tallulah avait vu la carte, connaissait le plan ; rien ne l'empêcherait de rejoindre Otoahnacto si ce n'était un léger contre-temps...

Les cheveux au vent, tandis que Waban faisait la merveilleuse démonstration de toute la puissance de ses jambes, Tallulah chevauchait jusqu'au second point de rendez-vous. Le temps qu'Otto et les autres rejoignent le premier site et en finissent, ils arriveraient peut-être en même temps pour la suite du travail. Si elle devait être là en avance, elle aviserait ; attendre ou entreprendre.

Des myriades d'étoiles illuminaient les vastes plaines mais leur beauté ne réussit pas à être contempler à leur juste valeur. La princesse aux épais cheveux noirs avait ses pensées rivées sur le plan secret des tolowas. Elle avait accepté de participer à tout ça et, alors même qu'elle s'approchait du chantier, cette sensation de boule au ventre ne la quittait pas. Pourtant, elle avait fait la paix avec ses doutes et ses incertitudes quant à suivre le chasseur dans les projets qui visaient à protéger la tribu. Alors, ces maux n'avaient pas lieu d'être mais existaient bel et bien. Le mustang ralentissait à l'orée d'un faible coin de végétation qui pouvait néanmoins les cacher malgré leur alliée ; la nuit. Tallulah descendit, ses mocassins laissant les premières traces de son passage ici. Accroupie sur le sol, elle s'avança près du bord pour observer en contrebas le nombre de torches allumées qui éclairant les endroits clés du chantier.

Le chantier (en plein jour):

Accroupie contre la façade externe d'une des cabanes grossièrement construite pour le temps du chantier, la princesse tolowa attendait, silencieuse. Elle ne voulait pas agir sans la présence des hommes de sa tribu ; sans celle d'Otoahnacto, qui avait été désigné en commun accord pour être celui qui prenait la tête des raids. Tallulah lui confierait sa vie, il le savait. Elle ne ressentait nul besoin de contrer son propre allié alors même qu'elle lui avait laissé le champs libre. Son statut de fille du chef ne lui permettait pas de prendre les rênes et en vérité, en avait-elle réellement envie ? Ca lui semblait être une excuse parfaite pour pouvoir se défaire de cette tâche trop compliquée pour ce qui faisait sa moralité, dernièrement.

Le cri d'une bête retentit.
Avant même que le son ne se fonde dans la nuit, elle s'était redressée, prête à partir rejoindre les tolowas. Peut-être qu'ils ne seraient pas contents de la voir ici, son initiative de les rejoindre pouvait être vu de mille et une façon, dont la négligeance, la prise de risque, la désobéissance.
Otto savait comment la fougue de Tallulah guidait ses pas et au fond, toute la tribu en avait été maintes fois témoin. Qui ça pouvait encore étonner à ce jour ?
Si le premier chant indiquait leur présence, le second indiqua leur position. La native filait entre les petits cabanons en bois vers la source, espérant ne croiser personne d'indésirable sur son court trajet. La lune veillait certainement sur elle, cette nuit, car elle éclairait pour Tallulah le meilleur chemin à prendre en toute sécurité (réussite critique omg). Les silhouettes tapies dans l'ombre de ses frères tolowas se détachaient lentement des sombres gouffres que l'obscurité créait à partir de rien.

L'agitation des alentours et les aboiements des chiens étaient, du point de vue de l'amérindienne, de bon augure. Si les hommes Blancs étaient occupés ailleurs, ils auraient le champs libre pour leur mission. Elle se doutait que tous n'allaient pas quitter le site de construction, mais ça réduisait déjà amplement le niveau de danger.

Tallulah arrivait par derrière, posant délicatement sa main sur l'épaule du chasseur accompli.
Comment ça s'est passé sur le premier lieu ? Vous avez pu agir sans problème ? Elle s'adressait  d'abord à lui, affichant son rôle de chef de la troupe. C'était aussi une opportunité pour elle de prouver à Otoahnacto qu'il ne devait pas avoir peur, si tel était le cas, d'envisager un jour la Coiffe. Ils en avaient parlé, et Tallulah avait promis de ne pas renchérir, alors elle usa de subtilité pour contourner un peu sa promesse. J'en ai vu un qui faisait le guet et un qui dormait. Combien en as-tu croisé ? rajoutait la fille du chef qui sentait l'adrénaline la couvrir de ses bienfaits en la tenant éveillée et aux aguets. Si on se sépare ça irait plus vite, mais je n'ai pas pu déterminer leur nombre exact, ça pourrait être dangereux...
Plusieurs lampes à huile était disposées par endroit afin d'éclairer les guetteurs. Ca facilitait leur travail. Faire du feu n'était pas compliqué pour un tolowa mais le faire tenir tout en étant en mouvement prenait du temps. Les colons avaient réussi à dompter cet élément de façon prodigieuse avec une invention en verre qui dépassait la compréhension de Tallulah.

L'échange de regards entre les hommes tolowas interpellaient Tallulah, mais elle ne se posa pas plus de questions ; Otoahnacto l'avait assurée que le chantier brûlait, ainsi leur provision serait réduite en cendre et leur rythme de construction limitée et amoindrie. C'était tout ce qu'ils pouvaient faire présentement, après tout, quel autre moyen à disposition pouvait-il mettre en oeuvre excepté ces visites nocturnes dans le plus grand des secrets ?
La princesse avait hoché la tête, elle avait des interrogations mais ne les poseraient pas tout de suite, ce n'était pas le moment. S'ils voulaient que ces échappées restent secrètes, alors il ne fallait pas être vu. Tallulah n'imaginait même pas ce qu'elle pourrait bien faire si une telle situation venait à se produire.
Soyons vigilants... Elle fixa Otto alors qu'il parla. Son sérieux actuel n'était pas bien différent du sérieux que le chasseur pouvait afficher en temps normal. Ils ne vont pas laisser ce chantier sans surveillance et seront certainement plus virulents ici. Laissons tomber le 3eme chantier pour ce soir. Un incendie peut passer pour un incident, mais deux c'est du sabotage, trois une déclaration de guerre. Ces derniers mots avaient été poignants, la native le ressentit dans son coeur qui se mit à battre plus fort. Le tam tam de la guerre ne résonnait pas encore mais à ce moment précis, elle l'entendait rugir sous sa poitrine, comme un avertissement.
Avec étonnement, Tallulah ne vit aucun des tolowas contredire Otoahnacto. Elle s'attendait pourtant à ce qu'il rencontre une résistance sur le fait de ne pas suivre le plan comme il avait été pensé jusqu'à la fin. C'était étrange, avant qu'elle ne les quitte, les Fox et les Crow semblaient plus déterminés que jamais...
Pour l'instant on n'a croisé personne, on s'est faufilé jusqu'ici. On va se séparer en deux groupes seulement. Chacun allumera un ou deux feux maximums, avant de repartir aux chevaux. Où est Waban ?
L'amérindienne aux mèches noirs, se faufilant sur les côtés d'un visage aux traits tirés,
pinça sa lèvre avant de répondre d'un chuchotement.
Je suis arrivée de l'autre côté car j'ai contourné l'endroit pour pouvoir cacher Waban en lieu sûr, il est à l'opposé de notre position, indiqua-t-elle en jetant un regard par-dessus son épaule. De là elle ne le vit pas, la nuit était trop noire, les ombres trop trompeuses. En reportant son attention sur le chasseur et le reste de l'équipe, la détermination dans ses yeux sombres signifiaient qu'elle était prête.
N'oubliez pas que nous ne pouvons êtres vu, il en va de la sécurité de nos familles.
A propos de ça, ils étaient tous d'accord. Néanmoins ils n'avaient pas parlé de la marche à suivre s'ils venaient à être découvert. L'envie ne manquait pas à Tallulah d'aborder le sujet, alors que les groupes se formaient naturellement. L'idée d'être la seule à se poser la question la fit se sentir à l'écart, un peu déconnectée de ses alliés. Les choses avançaient face à elle, et la princesse se sentait observatrice d'une pièce dont elle ne connaissait pas le scénario.
Les petits groupes se mirent alors en route, dans un silence presque solennel. Les frissons de Tallulah n'étaient pas dûs à ce vent frais qui lui caressaient la chair, non, c'était ce qu'ils faisaient là et qui comptaient pour elle. La fascination qu'elle ressentait pour l'homme blanc était peut-être inexplicable avec des mots mais tout à fait démonstrative par des actes. Seulement, elle ne pouvait pas nier la dangerosité de ce peuple, du moins plus depuis que de la ferraille menaçait de remplacer la terre. Depuis cette découverte, il n'était plus questions de les observer de loin, de chercher à les rencontrer, de troquer dans leur ville. C'était un aspect de sa vie qui lui manquait et ça, elle se l'avouait bien en silence.

Otoahnacto lança cette pierre et dès que la trajectoire ne suivit pas celle que tous s'était imaginée, la native déglutit. Elle déglutit avec force, ses yeux ronds prostrés ainsi durant de longues secondes quand elle crut qu'il allait attérir sur la tête du guetteur. Son sang n'avait fait qu'un tour mais se glaça lorsque la lumière émanant de la lanterne se mit à tourner dans un sens circulaire qui allait irrémédiablement finir sur leurs silhouettes tapies dans l'ombre. Ce qui la hantait précédemment semblait être sur le point d'arriver s'ils ne faisaient rien, là maintenant, dans quelques instants. Il verrait leur visage et ils allaient se retrouver avec un étranger qui pourrait se mettre à hurler, avertir, appeler à l'aide, voire tuer l'un d'eux. Tournant la tête vers Otto, la princesse chercha son regard.
Il faut reculer ! Reculer et non pas abandonner. Contourner le cabanon pour les uns, pour le plus agile grimper sur son toit et surprendre l'adversaire par le haut. Les bons chasseurs savaient endormir une bête par la pression autour du cou, ça ne devait pas être bien différent avec un être humain. Tallulah le proposa à Otoahnacto ; les renards et les corbeaux l'avaient entendue mais ne s'étaient pas prononcés. Elle, était incapable de faire cela, ses bras trop frêles pour maintenir une telle force avec un homme corpulent se débattant.

(jets CC et CH ratés)
Mais le temps entre le caillou qui tomba, le guetteur qui scruta et Tallulah qui prit conscience de la situation et l'exposition de son plan... il fut trop tard. Leurs visages furent éclairés par la lumière chaude, découvrant leur identité. Des natifs tolowa ou miwok, ça, le colon s'en fichait ! Pour lui ils étaient tous pareils. Profitant de la surprise qui ne durerait qu'une fraction de seconde, Tallulah lui sauta à la gorge dans le seul but qu'il ne crie pas. Heureusement, il n'était pas armé et son intervention donnerait le temps à ses alliés d'appréhender l'homme. Mais celui-ci qui était déjà sur le qui-vive, réussit à contrer l'attaque et cogna la native qui s'écrasa contre le cabanon.

Accusant le coup, Tallulah s'acouda au sol péniblement, une grimace trahissant la douleur qui lancinait une partie de son crâne et de sa hanche. Instinctivement, sa main s'était portée sur le creux de son ventre, comme pour s'assurer que tout allait bien pour cette minuscule vie qui poussait en elle. Mais tout allait bien, il était si petit que rien ne pouvait encore l'atteindre,  ou du moins rien de tout ce qui se passait cette nuit. Son coeur d'abord affolé se calmait et se faisant, la princesse porta son regard sur le reste des tolowas et vit cette lame pénétrer le dos de l'étranger. Ca n'avait duré qu'un instant, un court instant où Tallulah fixa de ses yeux écarquillés, Wakiza qui retirait sa dague.
Que venait-il de se passer ? Venaient-ils réellement de prendre une vie ? C'est ma faute, pensait-elle déjà, pleine de culpabilité.
Inerte devant cette état de fait, le choc de cette odieuse réalité la paralysa. Otoahnacto l'avait rejoint, barrant sa route, masquant la scène des renards et des corbeaux qui cachaient le corps dans le cabanon. Elle ne put suivre le mort gisant du regard mais entendait sa masse trainée sur le sol et les efforts suffoqués par les tolowas.
Ses doigts tremblants quittaient lentement ses entrailles pour se poser sur l'avant-bras du chasseur. Tallulah ne chercha pas son regard, elle ne désirait pas croiser les pupilles d'Otoahnacto car elle savait ce qu'elle y verrait. Dans le pire des cas, il serait déçu et c'était pour Tallulaj, bien pire qu'une colère explosive.

Les flammes nées de l'huile commençaient leur danse embrasée, se délectant du bois du cabanon pour grandir davantage.

Cours, retrouve Waban et retrouvons-nous au village. Il faut partir et vite.
Il la voulait ailleurs, loin d'ici. Ce fut à cette seconde où ces mots sonnèrent comme un ordre que la native, qui s'était relevée, reprenaient petit à petit ses esprits. Elle avait hoché la tête ; il n'y avait rien à redire. Otto avait raison, et bientôt, le chantier allait grouiller de blancs en quête de vengeance. Ils devaient partir.
Deux chantiers qui prenaient feu en une nuit, un mort... tout ça n'allait pas passer inaperçu chez leur voisin au visage pâle. La mine fermée avec ses sourcils froncés, le regard assombrit par le funeste évènement, la princesse fit demi-tour. Pour l'instant, elle n'était capable de sortir aucun son de sa gorge, qu'il fusse un cri ou une réclamation. Rebroussant chemin, Tallulah rasait les cabanons. Elle se sentit vide et submergée par la vision du sang qui s'était écoulé du poignard, la renvoyant dès années en arrière. Elle repensait souvent à Kwatoko lorsque les doutes l'assaillaient, pour se dire qu'il n'y avait pas de coupable dans une guerre, qu'elle n'avait rien à se reprocher.

Waban était là, patientant sagement. Il ne réagit pas plus que ça au retour de sa maîtresse, qui le monta sans tarder. Avant de reprendre la route de la tribu elle observa les braises devenues feu incandescant, dévorant le bois qui l'entourait. Encore un peu et elle pourrait se croire en plein jour, tant la lumière des flammes brillait dans la nuit...