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Pieds et poings liés
 ::  :: Lincoln Avenue

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Isabella Matamoros

Inscris le : 09/04/2024

Messages : 262

Feuille de personnage
Disponibilité RP: Oui
Dialogue: #ff9966
Age: 22
Métier: Cavalière au Ranch Beauchamp
Caractéristiques:
Isabella Matamoros
En galère mais débrouillarde
https://crimsontown.forumactif.com/t855-isabella-matamoros-la-chica-cojahttps://crimsontown.forumactif.com/t863-les-chevauchees-de-la-chica-coja#9842
Lun 1 Juil - 1:08

   
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  • Type de RP: normal
       
  • Date du RP : 14 mai 1866
       
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  • Trigger warning : Injures.
       
  • Résumé : Le sergent et la boiteuse se retrouvent chez un prêteur sur gage, des années après la guerre.
       

   


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Isabella Matamoros

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Lun 1 Juil - 1:15



Pieds et poings liés


Diego n’était pas serein. Le palefrenier de chez les Beauchamps avait sympathisé rapidement avec Isabella parce qu’elle était des rares à parfaitement maîtriser l’anglais et la seule langue qu’il connaissait. S’il arrivait à se débrouiller pour communiquer avec la famille de français qui l’avait embauché dans des termes très simples, à grand renforts de mimes ou grâce aux traductions approximatives de ses collègues, une chose l’angoissait particulièrement : l’administration. Dès qu’il devait se rendre à Crimson Town, il ne comprenait pas tout ce qu’on lui disait.

Vaillant, il avait essayé, il y a quelques mois, de se rendre à la banque de la ville. Le problème, c’était qu’il avait la franche intuition qu’on lui avait profondément mis à l’envers : contre de l’argent durement gagné à la sueur de son front, il avait obtenu un certificat auprès du banquier. Mais quand il avait demandé à récupérer ses fonds, la semaine passée, afin de s’offrir une nouvelle paire d’éperons, un nouveau chapeau, et quelques remèdes pour l’arthrose qui commençait à grignoter ses doigts, il n’avait pas tout compris le charabia qu’on lui avait servi. Le seul truc qu’il avait compris, c’était qu’il ne reverrait pas la couleur de son argent. Pieds et poings liés, il avait très vite laissé tomber pour chercher une autre solution, pressé par les douleurs qui lui bouffait les mains et, plus largement, les articulations.

Il avait demandé à Isabella de l’accompagner à un prêteur à gage indépendant qui officiait non loin de la banque. Au moins, là-bas, c’était rapide, clair et sans chichis : il avait bien quelques bagues en or et l’alliance de feu son épouse qu’il pouvait déposer en échange de quelques liquidités. Juste de quoi encaisser un ou deux salaires avant de récupérer ses précieux biens. Avec l’aide de la traductrice improvisée, il s’assurait de ne pas se faire couillonner deux fois d’affiler.

Le prêteur à gage officiait chez lui, au rez-de-chaussée où, partout, des coffres s’empilaient. La cavalière avait des doutes sur la mise en scène voulue par le maître des lieux. Le sieur Goldstein était un petit monsieur sec, aux airs pincés. Fort dégarni sur le dessus, il était de ceux qui choisissait de rabattre quelques mèches sur le sommet de leur crâne pour cacher les béances pileuses. On le sentait soigné et propre sur lui mais Isabella gardait en tête un adage de son oncle Sebastian en tête dès qu’elle tombait sur pareil individu : ceux qui n’ont pas de crasse sur les mains sont forcément crasseux de l’intérieur. Et, de fait, sa nièce avait aussi trouvé, au cours de ses voyages, que les vraies gens honnêtes avaient de la terre sous les ongles. Pour les cols blancs, elle n’avait que méfiance.

En s’asseyant derrière la grande table finement ciselée, en face du prêteur, Diego avait attrapé l’enveloppe qu’il portait dans la poche intérieure de son gilet et l’arme qu’il portait à sa ceinture pour les poser avec lassitude sur la table.

Hola. ¿Cuánto me adelantaría por este anillo, este camafeo y este colt? demanda-t-il en se laissant tomber sur le fauteuil qui faisait face à l’homme d’affaire.
‘Jour m’sieur Goldstein, salua à son tour Isabella, un peu mal à l'aise. Merci de nous recevoir. Il vous demande combien vous lui donnerez pour ce camé, cette alliance et le Colt. Il a besoin de fond rapidement.
Des fonds, j’en ai, répondit froidement Goldstein en fronçant le nez avec une pointe de mépris.

Il prit tour à tour le colt, vérifia le barillet, l’état du canon.

De quand ça date ? s’interrogea le prêteur en réajustant ses lunettes et en allumant une lampe à huile pour mieux y voir alors qu’on était en plein jour.
¿Desde cuándo tiene el arma? ¿La compró nueva? demanda Isabella en comprenant que l’homme cherchait à déterminer l’ancienneté de l’objet.
Es la última que compró mi padre. Tiene menos de quince años.
Elle date de moins de quinze ans.

Golstein lança un petit regard condescendant par-dessus ses lunettes. Avec des gestes dédaigneux, il reposa l’arme et passa aux bijoux. Pour cette partie, il sortit une touchstone et un petit flacon. Il se saisit le plus naturellement du monde des deux bijoux pour les frotter vigoureusement sur le bout de pierre noire.

De peur qu’il abîme ses effets personnels, Diego bondit pour s’interposer.

No se preocupe. Tiene que comprobar que es oro, le rassura Isabella en lui faisant signe de se rasseoir.
(Ne t’inquiète pas. Il doit juste vérifier).

L’homme d’affaire s’arrêta et vit le mexicain ravaler sa colère et se rasseoir à côté de celle qui trainait la patte quand elle était entrée. Sans faire de remarque, il continua de procéder à des tests d’usage en ajoutant une goutte translucide de son flacon. Ensemble, ils attendirent un peu avant de constater que leux dépôts de métal laissé sur la pierre noire brillaient toujours du même éclat, même après l’ajout du liquide. Cela prouvait l’origine d’excellence des bijoux.

Avec une balance, il estima enfin le poids de l’or. A la louche, il devait en avoir pour plus d’une once troy. La boiteuse ne connaissait pas bien le cours de l’or mais elle s’imaginait qu’il y en avait pour largement plus de vingt dollars.

Un avis que ne partageait certainement pas le prêteur. Celui-ci avait pris un air pensif. Il avait ouvert quelques registres pour les consulter et avait lâcher un gravement un prix :

Je lui propose dix-sept dollars.
Diecisiete dólares, traduit Isabella en essayant de ne pas paraître déçu.

Peine perdue. Diego eut un gros mouvement de recul qui le fit bondir de sa chaise.

¡Es absolutamente ridículo! grogna le palefrenier. ¿Qué vas a hacer con diecisiete dólares? ¡Sólo los revólveres de bolsillo Colt deberían valer más de once dólares!
Il dit que rien que le colt devrait vous rembourser pour plus de onze dollars.
Au maximum, je le revendrais huit dollars, énonça froidement Goldstein, à peine étonné de la réaction du palefrenier.

Des hommes comme lui, il en avait vu défiler des centaines. Il ne s’émouvait plus des effets suscités par les prix qu’il pratiquait.

Les bijoux appartenaient à son épouse, insista Isabella même si on ne lui avait pas demandé, profondément désolée par la tournure que prenaient les négociations.
Allez, je peux monter à dix-neuf dollars parce que le camé est joli, lâcha Goldstein en reprenant le bijou en main en gardant son air terriblement détaché de ce qu’il manipulait.
Diecinueve, traduit l’estropiée.

Mais l’affront était trop grand pour Diego. Il se leva, récupéra le colt et les bijoux qu’il s’empressa de ranger. Son énervement parlait pour lui et il quitta la pièce à grandes enjambées en claquant la porte derrière lui.

Avec sa jambe tronquée, Isabella n’avait le loisir de se carapater à cette vitesse. Laissée seule en face sur vieux bonhomme dégarni, elle se trouva gênée et se dépêcha de de s’excuser et de se lever pour, à son tour, débarrasser le plancher.

Désolée, je crois que c’est bien en dessous de ce qu’il en espérait. Il reviendra peut-être s’il change d’avis. Mes excuses qu’il soit parti ainsi.

Elle s’apprêtait à se carapater quand l’homme d’affaire lui bloqua la fuite avec sa canne. Intriguée, Isabella s’arrêta nette, sans comprendre ce qu’il lui voulait.

Et vous ? lâcha le prêteur.
Et … Et moi quoi ? bégaya Isabella.
Vous ne respirez pas la santé financière. Vous n’auriez pas besoin de quelques fonds ?
Non, non, ça va, ne vous en faites pas, rit Isabella en essayant de reprendre son chemin.

Mais le vieillard insista. Du bout de la canne au pommeau argenté en tête de chouette, il écarta le col boutonné de la chemise de la jeune femme pour, dans un geste précis, en extirper la petite croix en argent qu’elle portait.

Pour une chaîne comme celle-là, je propose vingt-deux dollars, annonça Goldstein.

Isabella déglutit. Elle se dépêcha de ranger le bijou où il était : sous ses vêtements.

Merci mais, non, ça ira, ne vous en faîtes pas, déclina Isabella.

Pourtant, vingt-deux dollars, ça lui semblait une somme suffisamment énorme pour être tentante… Tout ce qu’elle pourrait régler avec une somme comme celle-là. Quelques nuits au chaud, du cuir pour rapiécer des chaps, une ceinture pour tenir le pantalon qui ne tenait plus à ses hanches tellement elle avait maigri ou alors suffisamment de confiture pour devenir grosse comme une barrique ! Elle pourrait aussi acheter des nouveaux fers pour Tehuano et de quoi oublier un peu les galères des derniers mois. La tentation de prendre l’argent était forte. Mais cette croix était tout ce qu’il lui restait de sa mère. Elle ne la troquerait pas. Surtout quand elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait pas rembourser une somme comme celle-là.

Le doute qui l’habitait ressortait parce que, si elle avait exprimé clairement son refus, ses pieds ne l’avaient pas encore guidée jusqu’à l’entrée de l’habitation.

Une porte sur laquelle on venait de frapper. Un homme d’une grande stature venait de rentrer.

Et, quand Isabella vit un feutre gris tout cabossé découvrir la trogne de l'inconnu, elle crut qu’il s’agissait d’un fieffé revenant. En reconnaissant le sergent Tyree, elle fut presque pétrifiée : instinctivement, elle se mit à reculer.

Pinche cabrón, jura-t-elle quand elle se cogna à la table de transaction.


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Xander Tyree

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Dim 7 Juil - 0:58
Il souffle bruyamment, s'ébroue en secouant vivement la tête, laisse s'égoutter lentement les dernières perles humides dans la bassine de faïence, à coté du broc.

Il met fin à ses ablutions. Un large morceau manque au miroir fendillé dans lequel il s'examine quelques secondes, sous la douce lumière d’une lampe à pétrole suspendue à un clou.
Il se frotte plusieurs fois les joues, une barbe piquante et dense lui mange le visage, peigne en arrière sa chevelure humide et rebelle de ses doigts écartés. Songe qu'il lui faudra se décider à aller faire un tour du côté du barbier.

Pendant qu'il enfile sa chemise, il contemple d’une attention toute particulière la femme endormie. Dell dort.
La jeune femme, inconsciente, sous la chaleur de serre qui tombe des vitres a rejeté le drap sur ses reins. Sa chair dorée, sa peau d'une finesse de soie, sont baignées de lumière. Elle dort, allongée sur le ventre, assommée par l'alanguissement qui suit une nuit sans sommeil ou si peu. Elle a passé ses bras sous l'oreiller, sa tête ensommeillée renversée, dans un entier abandon de soi-même, tandis que sa chevelure d'une couleur blond-fauve, claire et chaude aux reflets roux, dénouée, la vêt encore d’un manteau chatoyant.

Xander s'avance, dépose un baiser dans le creux des reins de la fille assoupie.
Il ramasse son chapeau et le plante sur sa crinière blonde, tape d'un léger coup sur la couronne et tire d'un coup sec sur le bord pour l'abattre sur ses yeux. Il happe la sacoche de selle en cuir élimé et la jette sur son épaule, puis referme doucement la porte pour ne pas éveiller l'endormie.
Il retrouvera Dell ce soir.

Dell, c'est une veuve de guerre. Une très jeune veuve. Son mari, volontaire de l'Union, a eu l'idée saugrenue d'aller se faire tirer quelque part en Virginie. Pour survivre, elle travaille comme lavandière parmi d'autres, à la rivière contre quelques pièces, battant, lavant et ravaudant linges et vêtements pour les notables, les vachers ou les ouvriers.
Cela ne suffit pas toujours et il lui arrive parfois d'aller racoler en occasionnelle, en soirée, pour pouvoir finir ses mois...

Dell.

L'escalier est vite dévalé sous les chaleurs déjà accablantes.
Le soleil distribue son bleu pâle sur les maisons.

Xander regarde la ville. Elle doit compter une centaine de maisons, un groupe coupé par une rue principale, au centre.
Une douzaine de constructions, la plupart en très mauvais état, gardent les traces et les plaies noires d’incendies qui ne sont pas très éloignés dans le temps. Il le sait, derrière c'est encore pire...

Puis il quitte la rue, prend le chemin zigzaguant entre les jardins privatifs, les cabanes et les terrains vagues qui mènent par des ruelles étroites, poussiéreuses et encombrées, vers le centre de la ville.
Il coupe par les venelles entre les maisons et poursuit à travers la grande zone s'étalant derrière les baraques bordant les rues principales.
Il foule du pied la cendre brunâtre du quartier brûlé. On y voit la carcasse noire de logis calcinés. La toiture n’est plus qu’un entrelacs branlant de poutres noircies. Des cheminées de pierres, branlantes et noircies, marquent comme des bornes l'emplacement de bicoques disparues.

Droit devant, deux bâtiments de bois en assez vilain état se dressent encore, un peu sur la droite, un troisième, construit en briques rouges, a échappé à l'incendie. À gauche de ces bâtisses croule un fossé sage qui s’en va tout droit. C'est lui qui a stoppé les flammes. Il est, à trois ou quatre endroits, enjambé par des ponts de poutres équarries.
Des familles vivent là sous des tentes et des cabanes construites de bric-et de broc, surveillant la cuisson de quelque ragoût à base de haricots. Là vit, survit plutôt, la foule de réfugiés. Ce sont ceux qui ont tout perdu à Crimson.
La foule, elle est faite d’une grande profusion de loques, d'hommes efflanqués vêtus de salopettes molles et usées, de chemises déchirées ou d’habits de gros draps, de pantalons aux cuisses rapiécées, de robes grises et de tabliers froissés là où par habitude les mains s’essuient. Quelques enfants aux visages de fouine sont plantés çà et là.  

Xander gagne Main Street, foulant la poussière de la rue.  De l’immense masse du Wild West Saloon, à l’autre bout de la ville, montent de solides rumeurs. Il voit l’église-temple puis rejoint les premières maisons de Lincoln Avenue.

Il pénètre dans l'avenue, au pas. Sur les trottoirs de bois surélevés, sous les vérandas, des hommes peu nombreux s'affairent, dans l’ombre fraîche ou au soleil, suivant le côté.
Les perrons ne grincent pas trop sous les bottes impatientes.

Au hasard de sa balade, il voit, pour la première fois, les petites maisons de briques roses, rouges ou blanchies à la chaux ou les habitations de planches, les vérandas toutes pareilles, celles des résidences de notables.
Il regarde renaître la vie dans la rue, passe un peu de temps tout en marchant à essayer de deviner dans quel ordre les stores et les volets des maisons vont délivrer les yeux glacés des fenêtres.

Tout en remontant la rue en direction de celle de l'usurier, cent yards plus bas, située derrière les bicoques du Sheriff's Office et le dispensaire, sur Lincoln Avenue, il prend le temps de suivre des yeux quelques secondes en se retournant, la silhouette gracile d'une brunette qui ondoie devant lui.

Un soleil très blanc rôtit les rares nuages assez fous pour passer à sa portée.

Sous le préau, Bummer se balance sur un rocking-chair.
Il s'étonne de la voir en jupe longue, c'est bien la première fois qu'il la voit vêtue ainsi depuis qu'il la connaît...
Une musette traîne au sol au coté de Pattes-Molles ventrouillé à ses pieds, le museau sur les pattes.
Les petits doigts potelés, courts et malhabiles du bébé dans les bras tentent d'attraper la longue natte. La loupiote suit des yeux le déplacement du bout de chevelure qu'agite Leo pour l'amuser.

Irritée d'avoir du attendre, « Femme-qui-foudroie» lui décoche un regard noir qui dit beaucoup plus que toutes les paroles qu'il s’apprêtait à entendre. Elle ne va pas lui faire d'esclandre dans la rue, mais gare.
Il ne peut résister à l’envie de lui décocher un sourire en retour. La situation l’amuse. Lui qui n’éprouve pas plus de sympathie particulière à l’égard des métis qu'à d'autres spécimens de l'espèce humaine ne peut s’empêcher de trouver celle-ci hors du commun.
Ils se sont mutuellement sauvé la vie.

Ils échangent quelques mots. Xander s'empare du sac. Le second regard noir qu'elle lui dédie est beaucoup plus soucieux.

Bichihlisto, son large sombrero de feutre voilant l’œil, est accroupi à l'ombre du balcon en surplomb de l'autre côté de la rue. Le tomahawk bien visible est passé dans le ceinturon. La crosse du Manhattan dépasse du holster.
Ses cheveux sont relativement longs, nattés, très noirs et luisants comme un plumage de corbeau.
Du coin de l’œil, Xander voit aussi les bustes de deux gamins qui se penchent au coin d'une baraque, deux petits curieux hilares qui observent l'indien, leurs yeux ronds exorbités de curiosité.

Adossé à un poteau, un autre individu patiente à proximité. Il se tient jambes écartées, mains aux poches et mâchonnant une sorte de cigare. Le visage est dur, taillé nerveusement, très brun. Une barbe de plusieurs jours lui couvre les joues. Lui aussi a besoin de passer au barbier.
Plusieurs fois de suite, il promène son cigarillo d’un coin de sa bouche à l’autre, sous le rideau de poils des moustaches noires.

Xander examine soigneusement la façade, clappe de la langue.

Un chicano furieux surgit en trombe de la bicoque. La porte claque bruyamment. Le vieux mexicain faillit l'emboutir, Xander n'eut que le temps de s'écarter, poursuivant sa route sans même l'avoir vu, vouant à haute voix en espagnol tous les saints aux enfers et les gringos voleurs avec eux.

Les fenêtres restaient opaques.

Sur la façade, au-dessous de la véranda, à coté de la porte, une enseigne blanche crache le soleil, voilant par trop de clarté l’inscription gravée en lettre dorée.
Xander suit lentement du bout d'un doigt pensif le W,  première lettre gravée dans le bois de la plaque murale,


Wouter Goldstein

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Sa main caresse le bois verni, patiné, usé par le temps, du chambranle de la porte, sans la moindre dégradation, tout comme le reste de la façade. Curieux.
Il échange avec Llano un regard entendu, hoche légèrement la tête, récupère les fontes que celui-ci lui tend.

Il songe que le secret des grandes fortunes sans cause apparente provient souvent de crimes oubliés ou ignorés, parce qu’ils ont été proprement réalisé.

A côté de la porte, Chaves se laisse aller contre le mur, s’y appuie, laissant tomber ses mains le long de son corps., les pouces dans le ceinturon.
Il craque une allumette sur le pouce et allume le cigarillo.

Les trois sacoches sur l'épaule, Xander frappe aux carreaux, pousse la porte vitrée voilée par les plis d'un rideau de tulle d’un geste décidé.

Les trois lampes murales font palpiter des ombres au mur.
Il fait quelques pas qui le font entrer dans le rond de lumière illuminant la scène.


« - Pinche cabrón ! »
Le juron résonne dans la pièce tandis que l’écho du choc sourd contre le meuble s'étale.

Un silence de plomb tombe aussitôt sur les trois personnes présentes.
Les hommes la regardent, chacun se demandant lequel des deux a été la cible de l'injure.


Les grands yeux sombres le frappent en plein visage.

Xander ressent  une décharge courir au creux de ses reins quand il identifie la voix et le visage. Une voix oubliée surgie du passé. Un visage émergeant d'une passé révolu.

Elle se tient debout devant le bureau et le toise à la manière d’un animal aux abois qui s’apprête à s'enfuir.

C'est bien la gamine aux chevaux qui se trouve devant lui. Elle a peu changé. Un peu plus âgée, c'est logique, plus mûre aussi. Toujours vêtue en homme, le sombrero sur les épaules, mais les fringues sont des loques élimées. Les cheveux de jais toujours bien tirés en arrière sur un chignon bien serré. Elle lui parait toutefois plus maigrichonne que dans son souvenir, le corps frêle semble flotter dans les fripes usées.
Elle semble se trouver dans une mauvaise passe.

Il n'a plus pensé à elle depuis des années. Quatre longues années.


« - Isabella Matamoros ! » souffle-t-il.

« - Vous avez survécu ! »
Ce n'était pas une question, juste une constatation. C'était l'évidence même : elle se tenait devant lui.

Elle a toujours le même regard de défi et de fierté au fond des yeux. Un regard méfiant et hostile, avec une nuance de peur, qui l'attriste.

Pendant des secondes interminables, il reste là indécis, bras ballants, le poids des sacoches lui sciant l'épaule.

D'un seul coup, face au silence de la gamine, il se sent de mauvaise humeur, sans trop savoir pourquoi, l'attitude apeurée de la fille sans doute.
Il respire du fiel, et c’est très amer. Les fontes de selle prennent du poids de seconde en seconde.


« - J'espère que cette insulte ne s'adresse pas à moi, Isabella ? »

« - A moi non plus ? » ajoute l'homme d'affaire en la fixant d'une regard sévère.

L'usurier, impassible, les observe tous deux, ses yeux observateurs se posent alternativement sur l'un puis sur l'autre. Il doit se demander se qui lie ces deux là.

Xander hésite une seconde. Il choisit la sagesse, et se tourne vers l'homme d'affaire.


« - Vous êtes Wouter Goldstein, le prêteur sur gages ? »
« - Je m'appelle Tyree, Alexander Tyree, j'ai une affaire à vous proposer, mais je patienterai le temps que vous terminiez avec la señorita... »

Les cheveux de l'usurier sont plats, soigneusement peignés sur les côtés et d'un gris cendré qui a dû être roux autrefois, il a un front très dégarni, que l’on aperçoit blanc sur le dessus, masqué par quelques touffes de cheveux plus longues soigneusement disposées. D'un petit gabarit, mais de celui dont il faut se méfier, capable de montrer bien plus de vigueur que l'aspect frêle qu'il essaie d'affecter. Un comédien né.
L’homme sanglé dans sa redingote et son gilet tendu, le ventre barré d'une chaîne de montre coûteuse, se laisse complaisamment examiner avant de répondre, il est visible que lui aussi en a profité pour détailler son nouvel interlocuteur. La main s'est légèrement crispée sur le pommeau de l'épée-canne. Kearny en avait une à peu près semblable.


Désignant la canne, Xander s'enquiert : « - Belle arme ! Combien la longueur de la lame ? »
« - Suffisante ! » Pour la première fois, l'homme manifeste une émotion. Un sourcil s'est levé au dessus des yeux devenus fixes par-dessus les lorgnons.

« - La demoiselle allait se retirer, je suis certain de la revoir plus tard... »

« - La señorita va rester ici ! » Il tend le doigt vers une chaise dans un coin entre une pile de coffres et une armoire encombrée. « - Assise là-bas! » ordonne t-il, sans un regard pour la jeune femme.
« - Nous sommes entre gentlemen, si elle désire sortir...»

« - Mes hommes qui attendent dehors ne sont pas des gentlemen, il ne la laisseront pas passer tant que notre transaction sera en cours et que moi-même ne sera pas sorti... »

La salle est tellement encombrée de coffres savamment disposés, d’armoires et d’étagères et des bureaux de l'usurier qu'elle en paraissait petite.
Masquée d'un voilage, une porte vitrée s'ouvre dans l’angle gauche entre la grosse cheminée vide et des étagères pliant sous une cinquantaine d’énormes livres de compte reliés de cuir craquelé.


Goldstein fait le tour de son bureau, pose ses mains bien à plat sur le plateau marqueté. « -  Soit ! »
Cet homme est un joueur averti. Aucune émotion dans sa voix, aucun tremblement dans ses mains. Pas de nerfs. A peine une goutte de sueur qui perle sur la nuque. Mais c'était sans doute la chaleur...

La jeune fille a reculé jusqu'à la chaise.

Xander dépose les trois sacoches sur le grand bureau. Les ouvrent et entreprend de déballer leur contenu.
De plusieurs bourses, il extirpe et dispose soigneusement plusieurs piles de monnaies diverses. Toutes sont d'or. Pièces d'or mexicaines de vingt pesos, républicaines ou impériales marquées du Maximiliano Emperador, Napoléon d'or français de différentes valeurs.

Il aligne trois magnifiques turquoises, une poignée de pierres précieuses desserties de leurs parures d'origine...

Puis il déverse d'une sacoche sur la table ciselée, une profusion ruisselante de métal doré et argenté, broches et garnitures de costume charro en argent, boucles de ceintures, bijoux d'or et d'argent, jeu de boutons en métal précieux, botonaduras prélevés sur les vêtements de bandits platéados avec leur chaînes argentées, bagues et pendentifs, chaps d'or ou d'argent, breloques, maillons de chaînes isolées ou complètes, aux anneaux de tailles différentes, petits lingots, pépites, décoration de selle de platéado, pichet et gobelets d'argent, peigne en argent, colliers de pièces suspendues, figurines de verre et d'argent en filigrane, incrustations arrachées à leur support, colliers et boucles d'oreilles en argent lisse ou griffé, d'autres boucles d'oreilles, colliers et bracelets en or aux motifs complexes, chapelets en filigrane ou en plaqué incrusté de corail rouge, grandes et petites croix...


A travers les lunettes, le petit homme imperturbable le dévisage d’un œil glauque, parfaitement vide.
« - J'espère que ces objets ont été acquis légalement ?... »

Un mince sourire blasé :
« - Tout à fait légalement. Autant qu'une guerre puisse être légitime. Vous et moi sommes suffisamment avisé pour savoir que c'est un concept fumeux qui masque bien d'autres intérêts... Il s'agit de nos soldes, à moi et mes associés, et les objets sont les résidus de nos parts de prises, obtenues 'légalement' au Mexique... J'ai tous les reçus... »

Légèrement méprisant, ironique, il assène :
« - Je suis passé à la banque, mais ces sales rats me proposent un prix dérisoire rien que pour effectuer le change. Je n'ai même pas essayé avec les bijoux. Je pense qu'on peut faire affaire... J'aurai aussi besoin d'un prêt...»

Goldstein hoche la tête. Boit une gorgée et reposa son verre sur le bureau. Ses doigts nerveux commence à exécuter les tests qui vont lui permettre d'estimer facilement la valeur des métaux précieux répandus devant lui en fonction de leur nature et de leur poids. Paupières plissées, il dit :

« - Les objets, vous souhaitez les mettre à l'encan, les déposer en gages ou les céder ?... »
Il émet un petit bruit salivaire sonore de la bouche, comme un claquement de langue. « - Pour le prêt, j'aurai besoin d'une garantie, et d'un garant... »

Un sourire distrait flotte rapidement sur les lèvres de Tyree.
« - Les vendre ! Les garanties, je les ai, ne vous inquiétez pas ! »

Il se penche :
« - Cet objet ne fait pas partie du lot... » dit Xander en saisissant un chapelet de perles où se balance en oscillant une petite croix en or ciselé, sertie de minuscules émeraudes.

Les rides étonnées bougèrent sur le front de l'usurier.
« - Curieux qu'il n'en fasse pas partie ?  Il vaut une fortune à lui seul. »

Pour toute réponse, Tyree lui jette un pesant coup d’œil, en enroulant le chapelet autour de son poignet, à coté du bracelet natif d'os, de perles et de turquoises.

Une belle cafetière antique en métal argenté patiente dans un coin sur un plateau ouvragé.
Xander se verse deux tasses, en tend une à Isabella :


« - Désolé, jeune fille, mais vous tombez à pic. Je vais vraiment avoir besoin de vous ! »

Xander trouve le coin d’une malle pour y poser une fesse.
Il boit deux ou trois gorgées de café fort, chaud et sans sucre. Le café est bon.

Il prélève sur une étagère une petite statuette de bronze. Examine et fait tourner entre ses doigts nerveux, l'objet qui représente un danseur-cerf yaqui, un masque et des cornes sur la tête.


L'homme d'affaire regarde ses mains croisées sur le ventre, les pouces tournent lentement l'un autour de l'autre au gré de sa réflexion.
Un sourire acerbe se dessine sur les lèvres serrées du vieil homme.
Ses yeux, comme deux boules d’acier au fond des orbites, derrière les binocles, sont braqués sur Xander.

« - A combien estimez-vous la somme dont vous avez besoin, change compris ? »

Xander regarde paisiblement la jeune femme qui sirote son café, l’œil fixé sur le monceau doré. Boit une nouvelle gorgée de café. Puis fixe le trader, la face fendue par un large sourire.

« - Trois mille deux cent dollars ! »


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Isabella Matamoros

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Dialogue: #ff9966
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Métier: Cavalière au Ranch Beauchamp
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Isabella Matamoros
En galère mais débrouillarde
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Lun 8 Juil - 11:49
Sans son uniforme gris et son galure blanc, Alexander Tyree n’avait pas la même dégaine. Les années avaient amoché ses traits, mais Isabella devait admettre qu’il avait une meilleure trogne que la dernière fois qu’ils s’étaient quittés.

Il la reconnut directement sans même écorcher son nom. Trop sidérée pour répondre, la boiteuse chercha le regard de Goldstein pour s’assurer qu’elle n’était pas la seule à voir et entendre le fantôme qui venait d’écraser le talon de ses bottes sur le plancher de la pièce surchargée. Mais le prêteur garda son expression inflexible. A peine si un sourcil poivre et sel se décolla pour se hausser au milieu de son front plissé par une expression de perplexité marquée.

Alors Isabella prit le temps de le détailler. Le feutre gris enfoncé sur son crâne faisait ressortir l’éclat métallique de ses yeux clairs. Leur bleu allait de paire avec sa blondeur. Il paraissait plutôt propre sur lui, et portait sur l’épaule des énormes sacoches ventrues qui le forçaient à fléchir les genoux pour correctement répartir le poids sur ses appuis. Ce devait être lourd, ce qu’il transportait-là. Bien plus que les petits bijoux qu’elle et le palefrenier avaient bien pu présenter.

A gauche, un holster portait un colt dont la crosse saillait sans honte. A droite, un couteau complétait la panoplie de l’ancien confédéré.

Sans savoir pourquoi, Isabella se sentit étouffer. Elle songea à se précipiter dehors pour rattraper le palefrenier et faire comme s’il ne s’était rien passée mais les hommes décidèrent à sa place : quand il lui ordonna de s’asseoir sur la petite chaise du coin de la pièce, entre deux piles de coffres dans un coin, avec la menace de se voir accaparée par des hommes moins galants si elle sortait, cela activa quelque chose de reptilien chez elle. Elle s’exécuta sans tergiverser. Comme si elle avait été subitement renvoyée des années en arrière, dans ce coin du désert de Gila, où chaque mot articulé par le sergent confédéré avait été une porte de sorti du piège tendu par des sauvages effarouchés.

En tentant de se faire oublier, la mexicaine vit l’ancien sergent vider le contenu des sacoches devant Goldstein. A leur contenu, elle comprend de quoi les dernières années du soldat ont été peuplées : les bijoux, les pierres précieuses et la monnaie frappée des presses impériales ou républicaines sont autant de témoins des pillages que lui et ses hommes ont dû perpétrer. De la quincaillerie de tous les niveaux de préciosité qui a dû être arrachés à des pauvres gens ou prélevé sur des cadavres.

Isabella se pinça les lèvres. Le pire, c’était que Tyree ne cherchait même pas à occulter la provenance de son magot. Le contenu de leur solde, annonça-t-il. Le respect des dépouillés ne l’étouffait pas.

L’ancienne dresseuse de chevaux voulut partir en courant. Mais elle ne pouvait pas courir et il ne lui restait que la possibilité de fulminer dans son coin en ressassant les évènements qui s’étaient enchaînés depuis que sa route avait croisée celle du confédéré. Elle se souvenait encore du cuisant de la gifle qu’il lui avait collée avant qu’elle ne soit obligée de galoper comme une dératée à travers le désert et les plaines jusqu’à Fort Yuma. Le séjour qu’elle avait passé là-bas était probablement l’expérience qui s’apparentait le plus à de la geôle. Heureusement, le glas de la guerre avait été sonné et elle avait pu rentrer en se faufilant entre les interrogatoires, plus ou moins amicaux, des unionistes galvanisés par la victoire. Au bout de la route, elle avait, certes, retrouvé Sebastian. Mais, sans avoir touché le moindre sou pour ses bêtes, les provisions de l’hiver n’avaient pas pu être renouvelé. En plus, une brouille entre les Matamoros et leurs voisins vachers avaient éclaté : la gamine était partie avec le fils aîné de la ferme et la boiteuse avait dû annoncer que Jack n’avait pas survécu à l’attaque des apaches. On l’avait alors traitée de menteuse. Elle avait beau avoir réexpliqué la même histoire, encore et encore, les yeux rouges et les traits marqués de toute la pénitence qu’elle portait, rien n’avait fait. Les voisins n’avaient plus jamais voulu faire affaire avec les mexicains. Ils avaient retiré leur protection. Et, probablement, ils avaient ouvert une brèche dans laquelle des pillards et des hors la loi s’étaient engouffrés. Et le relais avait brûlé. Tous les chevaux s’étaient échappés. Sébastian et Isabella ne devaient la vie qu’à leur capacité à détaler comme des souris. Sans honneur et sans la moindre idée d’où aller ensuite.

Plus elle ressassait, plus Isabella fulminait.

Quand Tyree lui mit un café dans les mains, sa seule envie était de le lui jeter à la figure. Elle n’aimait pas le tenir les rênes de la situation avec l’aisance d’arriver comme sur un terrain conquis. La sensation d’être, à nouveau, otage de ce type ne présageait rien de bon. Et, cette fois, elle ne serait pas la petite chose docile et effrayée qu’elle avait pu montrer dans le passé. Sous les ponts, l’eau avait coulé et, comme le fer trempé, le caractère de la jeune femme avait troqué son austénite contre de la martensite sous le poids du changement auquel elle avait dû rapidement s’adapter : elle s’était endurcie malgré elle comme de l’acier.

Impassible et fermée, elle cherchait à comprendre ce que, cette fois, Tyree chercherait à tirer d’elle avec une certaine ironie. L’avantage des gens qui n’ont plus rien à perdre, c’est qu’il n’y a plus rien à leur voler. Avec un peu de chance, il se trouverait bête quand il le comprendrait.

A l’écart, Isabella vit l’ancien confédéré récupérer un chapelet de perle avec une croix en or dans le butin qu’il déversait sur la table. Il l’enroula autour de son poignet avec un autre bijoux. Elle ne se souvenait plus s’il avait déjà ce bijou de natif en turquoise, en perle et en os qu’elle aperçut sous sa manche. C’était un détail qui ne lui revenait pas.

Si la jeune femme écarquillait un peu les yeux devant toute la panoplie, Goldstein, lui, paraissait parfaitement à son aise. Qu’on déballe un tel magot devant lui n’avait rien d’une première. Enfoncé au fond de son fauteuil, il en vint à la question que tous attendent : combien en voulait-il ?

Trois mille deux cents dollars ! répondit Tyree fermement.

Isabella essayait d’être discrète mais la somme était telle qu’elle en cracha la gorgée de café qu’elle tentait d’avaler.

Mes excuses ! fit-elle étonnée de sa propre réaction.

Elle colla son coude osseux sur sa bouche pour se cacher.

Ça avait été plus fort qu’elle. Voilà bien des mois - voire des années, peut-être – qu’elle n’avait pas, ne serait-ce qu’imaginer, une somme pareille.

Goldstein se pencha sur son bureau et les regarda tour à tour sans contester le prix qu’on venait de lui annoncer. Sa curiosité était ailleurs. Il voulait comprendre qui étaient ses interlocuteurs.

Vous êtes en ville depuis longtemps monsieur Tyree ? D’où vous vous connaissez vous deux ? demanda-t-il.

Comme les binocles perçant du vieillard la fixait, Isabella ne chercha pas à dérober. Elle répondit franchement et avec toute l’amertume qu’elle avait pour la situation :

On ne se connait pas. Il a volé mes chevaux, il y a longtemps. Et maintenant, je suis là, c’est tout.

Elle serra les doigts sur sa tasse de café jusqu’à en faire blanchir ses phalanges. Elle but nerveusement une gorgée avant d’ajouter en fixant l’ancien sergent dans les yeux :

Je ne ferais pas affaires avec lui, si j’étais vous. Si vous ne faites pas ce qu’il veut, il finira probablement par vous balancer dans de la flotte glacée ou vous en coller une bien placée. Mais ne le prenez pas pour un simple bourrin. Je crois qu’il est malin.

Au moins autant qu'un joli diable, en tout cas.

Ce n’était pas difficile de la croire au vu de l’œil avisé dont le ranger avait déjà fait preuve dès qu’il avait mis un pied dans le commerce en reconnaissant l’arme dissimulée sans la canne.

Rancunière, elle n’avait pas envie de lui être agréable et encore moins de le soutenir dans son entreprise. Pourtant, elle oubliait un peu vite que, si elle était encore vivante, c’était en partie grâce à lui. A la réflexion, elle aurait pu montrer un rien plus de reconnaissance.

Goldstein retourna la tête vers son nouveau client avec un sourire satisfait aux lèvres.

Un portait des plus flatteurs, monsieur Tyree, commenta-t-il ironiquement amusé.

Le prêteur se délectait du spectacle que ces deux là donnaient.

Il se redressa du fond de son siège pour venir poser ses coudes sur la table de transaction et rejoindre ses mains en croisant ses mains. Les doigts élancés et crochus ressemblaient à des griffes de rapaces quand elles cueillent au vol petit rat-kangourou affolé.

Trois mille deux cents dollars, c’est une somme difficile à fournir à moins d’être une banque. Si la banque a refusé, je ne vois pas bien comment je pourrais vous aider…

L’œil de serpent du trader fixa le ranger.

Deux mille cinq cents et vous partez, proposa-t-il en décroisant les mains pour agripper sa canne.

De là où elle était, Isabella n’aurait su dire s’il te tenait prêt à tendre la main pour conclure l’accord ou dégainer.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

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Sam 13 Juil - 22:15
« - Vous êtes en ville depuis longtemps monsieur Tyree ? D’où vous vous connaissez vous deux ? »

Le vieillard s'adresse à lui, mais fixe Isabella. Un regard de serpent fascinant sa proie pour la gober. En vieux roublard, il a vite localisé qui est l'élément faible du couple, celui qui va lui fournir sans barguigner ni réfléchir le maximum d'informations. Et la sotte se laisse gober.

« - On ne se connaît pas. Il a volé mes chevaux, il y a longtemps. Et maintenant, je suis là, c’est tout. »

Vu le ton de ses paroles fielleuses, il se rend à l'évidence, elle lui en veut toujours. Déçu aussi de découvrir qu'elle est comme beaucoup de gens, à la mémoire sélective, pressée d'asséner ses petites vérités tronquées, en oubliant toutes nuances et en celant nombre d'éléments concrets permettant d'appréhender ce qui s'était réellement passé.

La réquisition des confédérés. La décharge qu'il lui avait remise... Pfft. Fini. Envolée. Disparue... En quatre bouts de phrases, elle l'a transformé en un pitoyable voleur de chevaux...
Volontairement ou pas ? A-t-elle oublié qu'ici les voleurs de chevaux, on les pend !

Ou alors, elle besogne peut-être pour le vieillard. A t-elle des liens avec l'usurier pour essayer de livrer pieds et poings liés entre ses serres ? Après tout, il ignore ce qu'elle trafiquait ici quand il est arrivé.


«  - Je ne ferais pas affaires avec lui, si j’étais vous. Si vous ne faites pas ce qu’il veut, il finira probablement par vous balancer dans de la flotte glacée ou vous en coller une bien placée. Mais ne le prenez pas pour un simple bourrin. Je crois qu’il est malin. »

Il secoue la tête. Il a depuis longtemps l’habitude de prendre des coups : cette fois c’est surtout la surprise qui le sonne.
La petite dame a vite oublié les sacrifices consentis par ceux qui lui ont permis de survivre.
La garce a la tête plus dure qu’une pierre. Et en plus, elle tente de saboter sa transaction.

Elle avait déjà le don de l'agacer autrefois. Rien n'a changé, elle a conservé ce foutu don.
Elle a repris le même visage fermé, maussade, au front buté qu'elle avait dans le désert de Gila. Aucun sourire sur les lèvres. Il n'aura jamais droit à un sourire, même pas une grimace de sa part de toute façon.

Il y a juste une grosse différence : naguère elle évitait de le regarder, maintenant elle a pris de l'assurance, s'est endurcie et n'hésite plus à le fixer droit dans les yeux avec des flammes malignes dans les prunelles. Du défi, du mépris et... de la haine. Elle pourrait avoir le même regard que « Femme-qui-foudroie » quand elle est en pétard mais là c'est pire, un beau mélange de dégoût et de colère à son égard.

Soit !


« - Un portrait des plus flatteurs, monsieur Tyree, »

Le ton est moqueur. Aucune importance. Il se tape bien de ce que peut penser ce vieux fumier. De toute façon, il est visible que celui-ci le sous-estime déjà.
Quand à la salope, elle ne perd rien pour attendre.  Il sent monter une colère froide en lui.
Il lance un regard mauvais à la jeune femme.


« - Trois mille deux cents dollars, c’est une somme difficile à fournir à moins d’être une banque. Si la banque a refusé, je ne vois pas bien comment je pourrais vous aider… »

Xander retire son chapeau et le dépose soigneusement sur le coffre.

« - Deux mille cinq cents et vous partez. »

Le trader a posé les doigts sur sa canne et la tient comme le bâton au théâtre. Comme s'il allait frapper les trois coups avec un brigadier sur le plancher de la scène pour marquer la conclusion de leur affaire.
Le magouilleur a la voix sèche des hommes habitués à commander, de ceux qui trouvent naturel que l’on fiche genou en terre à leur passage ou qu'on cède à leurs ordres sans barguigner. Et les employés, commis ou solliciteurs, quels qu'ils soient, plient toute fierté oubliée, disent oui avec leurs yeux, leurs nez, leurs lèvres pincées et respectueuses.

Il y eu un long silence très épais autour d’eux, chacun à sa place, Isabella sur sa chaise, Goldstein dans son fauteuil et Xander sur son coin de coffre, immobiles.

Avec lenteur, il s’humecte les lèvres, clos les paupières. Xander souffle lentement. Reprend sa respiration avec application.
Il rejette d’un mouvement de tête sa chevelure sur la nuque. La lisse entre ses doigts écartés et la noue prestement en catogan. Un regard glacial vers la señorita. Redevenir l'aventurier froid et déterminé qu’il était il y a peu quand il est arrivé, et qu'elle a troublé par son attitude hostile.
Une chiquenaude pour remettre en place une mèche rebelle… Parfait.


Xander scrute pensivement du coin de l’œil la porte vitrée dans le coin, voilée par un rideau de colonnade froissée. La cheminée à coté est d’un style abâtardi, mêlant à la fois le baroque et l’inspiration douteuse d’un obscur sculpteur.

« - Je vous offre cent dollars de plus, si vous rajoutez le chapelet. » complète le prêteur d'une voix impersonnelle, mécanique.

Xander se lève, fait tourner un instant la statuette entre ses doigts, la pose délicatement sur le plateau du bureau. Un instant, les crayons et les plumes, sur le bureau encombré de métal précieux, plantés en bouquet dans le verre taillé et ouvragé devant Goldstein, jettent quelques reflets.

La partie suivante va être difficile. Il a le temps de reprendre son calme.
Face à Goldstein, il doit rester totalement maître de lui-même. Il ne peut pas espérer d'aide de la petite garce.
Allons, ce n’est rien de plus qu’un bastion bien armé à subjuguer par une manœuvre tactique sans lui laisser l’occasion de tirer ses volées. Afin de le contraindre à hisser sans risque un drapeau blanc. Ça ne sera pas la première fois...

Xander fait quelques pas. S'empare sur une étagère d'un colt Dragoon au canon et à la carcasse en bronze jaspé, à la crosse en noyer, richement gravé de motifs d’enroulements incrusté d’or. D'un doigt, il fait jouer le barillet. Puis il examine un second six coups à la finition bleuie. Se sert un nouveau quart de café...

« - Monsieur Tyree ? » interroge Wouter Goldstein avec un mouvement d'impatience.

« - Trois mille deux cent dollars, Monsieur Goldstein, pas un cent de moins. Et, comme je vous l'ai dit, je n'ai sollicité la banque que pour solliciter du change. Ni cession d'objets, ni demande de prêts... »

« - Monsieur Tyree, je vous ai dit... »

Debout près de la fenêtre, il regarde au-dehors, rigide, le front contre la vitre, avec une main qui tire un peu sur le rideau, juste pour un regard.
Là, devant, Lincoln Avenue s’éloigne tout droite, raclée par le soleil qui monte, juste en face , même les chiens qui traversent la rue ont l’air épuisé, traînant leur ombre ensommeillée.
Xander avale une nouvelle gorgée de café. Un café généreux et élaboré au demeurant, un café de Olla, un café mexicain aux arômes forts, particulièrement goûteux et raffiné. Il fait claquer sa langue contre son palais, en signe d’appréciation.


« - Soit… J'ai entendu ce que vous avez dit... Comme vous voudrez. Vous avez l’impression de gâcher votre temps en m'écoutant, je vais vous démontrer qu’il n’en est rien. » le coupe t-il. « - Je vous laisserai le temps de rassembler l'argent. Trois mille deux cent dollars ! »

Dans la rue, sur les vérandas, des hommes regardent le soleil en somnolant, écroulés dans des chaises à bascule ou bien simplement assis sur le trottoir de planches.
Il voit l'indien, juste en face, il s'est assis sur ses talons, adossé à un pilier de la véranda, mains pendantes au bout des avant-bras, et avant-bras sur les genoux..

La main retombe, suivie par le rideau. Et l’homme se retourne. S’adosse contre le mur et croise les bras sur sa poitrine. Il y a la lumière de la rue, sur son visage, sur les objets, les choses et les angles.
Sa chemise blanche se tend sur les bras. Le bracelet et le chapelet luisent d'un éclat nacré.


« - J'ai prévu d'acquérir deux cent ou trois cent acres de terrain à l'est de Crimson. Ce que vous m'offrez va tout juste couvrir l'achat et les frais. J'ai besoin du reste de l'argent pour les aménagements... entre autres choses...»

« - Et vous pensez m'offrir vos terrains en garantie ? Vous faites erreur, je ne suis pas preneur. Dans le comté de Fresno, les terres étaient à huit dollars l'acre avant la guerre, elles n'en valent plus que la moitié maintenant. À Crimson, l'acre avoisine encore les treize dollars, si la mine s'épuise, le cours va s'effondrer ... Trop risqué... Non ! Non ! Non ! Sans façon. »

Xander passe doucement la main de chaque coté de son menton, caresse avec lenteur sa barbe…

« - Ils ne perdront pas beaucoup de valeur avec le chemin de fer qui va passer à Crimson... Mais ne vous inquiétez pas, j'ai une autre garantie...»

Sa main passe machinalement sur le dessus sa tête :

« - Je me suis bien renseigné. Le terrain principal de la propriété qui m'intéresse constitue un seul lot. Les autres terrains particuliers sont morcelés en lots de plus petites tailles, certaines concessions ont été abandonnées par leurs propriétaires et remis en vente par la ville, elles sont cédées au plus bas prix. J'ai l'intention de les acheter séparément. »

Wouter émet un son innomé, une sorte de gloussement.

« - Vous ne craignez pas que je vous coupe l'herbe sous le pied. Et que je fasse capoter vos projets ; je pourrais m'emparer de ces terres pour moi-même... Vous m'intriguez, vous n'êtes tout de même pas naïf à ce point... »

Il y a de la raillerie dans sa voix sèche. Personne n'est censé résister à la raillerie.

La pièce est chaleureusement éclairée par les trois suspensions de faïence.
De petits halos mouvants tournoient lentement autour des verres des lampes à pétrole.


Xander s’assoit dans le siège réservé à la clientèle face au bureau. Un siège très inconfortable, bien dans la manière de Goldstein. Un siège destiné à faire ressentir au quémandeur son état d'infériorité face au prêteur sur gages, à faire percevoir aux petits qu'il peut les écraser. Les sièges inconfortables, son cul les connaît, il est bien entraîné.
Puis il croise les jambes, s’abîme un instant dans la contemplation de l'usurier.

Avec son col dur, sa veste bien droite et ses manchettes lustrées, sa chaîne de montre en travers du ventre, sa face bien rasée, bien propre, bien astiquée, dans l’odeur des sels de bain, il parait impénétrable.
C'est un homme méthodique au visage sec, un peu pâle, les mains maigres avec des veines très dessinées et le regard sérieux derrière les lunettes cerclées de fer. Le cerveau doit être un véritable bureau à compartiments.
S'il l' a bien jaugé, Goldstein, c’est un politique, un homme d'affaire, un Monsieur, un de ceux qui doivent choisir des mains à salir pour leur compte à eux.
Cent, mille malédictions ont dû l'accabler et l’ont fait rire, malgré les prières de ses victimes saignées à blanc. Un parfait salopard.

Xander le fixe intensément. Hoche gravement la tête. Il se sent serein et résolu. Mais il devine que la suite n’en sera que plus palpitante. Il aime ce sentiment. Ce plaisir de l’attente… Celui qui précède de peu l’affrontement…
Xander hausse un sourcil :


« - Je vous ai bien observé, peu de temps, je vous le concède,  mais ce laps de temps m’a permis d’estimer que vous êtes un homme d’affaire avisé… Très avisé… En fait nous nous ressemblons beaucoup. Nous sommes tous deux des spéculateurs, habitués à prendre des risques au gré de nos intérêts. Vous dans les affaires, moi en tant que... comment pourrais je dire... une sorte de flibustier.»

Xander s’interrompt un court instant, fait tourner doucement le gobelet entre ses doigts…

« - Pas trop souffert suite à l'attaque des outlaws, pas de pillage, à ce que je vois. On dirait que votre maison n'a subi aucun dommage. Même pas l'éclat d'un impact de balle. Étonnant avec tous les objets de valeurs qui y traînent que pas un de ces busards n'aient songé à venir se servir...»

Crispation involontaire d'un pli dur au coin de la bouche. Les doigts blanchissent, serrent douloureusement le pommeau de la canne.

« - J'ai sans doute eu de la chance.  Monsieur Tyree, il est préférable de clore cet entretien. Vos allusions...»

Derrière ses lunettes cerclées de fer, il y a le feu de son regard. Il y a une ombre sur ses joues creuses.

« - La chance, ça s'achète parfois... »

Goldstein a un hoquet courroucé.
Par dessus ses lorgnons, le trader lance un prompt coup d’œil contrarié, vers la jeune femme.  Découpée dans la lumière d’une des lampes à pétrole. il y a comme une auréole vaporeuse sur les cheveux de jais de la fille. Il est évident qu'elle ne comprend rien à ce qui se passe. Mais le regard est attentif...


« - Monsieur Tyree, quand on veut cueillir une friandise, il faut agiter la queue, pas mordre la main qu'on vous tend gentiment.»

Xander lui adresse un sourire carnassier. Il pose le mug sur le bureau :

« - Mister Goldstein, ce n'est que lorsqu'on glisse au bord de la falaise ou qu'on se trouve au pied du gibet qu'on est content qu'on vous tende la main. Dans cette main se trouve mes garanties...»

Wouter aspire plusieurs fois, ouvre et referme la bouche sans que nul son n’en sorte, déconcerté.

« - Je crains de ne pas vous comprendre ! »

« - La conducta de plata para Guaymas en el año 1864... y los plateados.»

Le nez s'est pincé, et Goldstein respire à petits coups.
Ses yeux sont devenus comme ses cheveux, de la même couleur et tout aussi sévères. Sa bouche est un pli. Son attitude fait presque peur. Elle est une arme terrible quand on le regarde. Quand on a vu sa bouche, on comprend qu’il n'a pas besoin de porter de revolver sous son austère redingote. Par certains côtés, il lui fait penser à son ancien mentor, Kearny.
Dans un premier temps, le trader ne répond pas, semble chercher ses mots. Il respire profondément, les paupières baissées, l’œil mi-clos posé sur son adversaire, concentré sur ses pensées et la tâche à accomplir.

Le trader relève un front farouche, plein de colère pour masquer son désarroi.
Les yeux courent alternativement plusieurs fois de la jeune fille à l'homme en face de lui :


« - Il y a des oreilles innocentes ici ! Des oreilles qui entendent et peuvent bavarder... »

*** Bien ! Première victoire. Le bastion amène ses couleurs...***

Maintenant, il y a derrière les verres épais des lunettes, une lueur glacée. Les veines temporales ressortent exagérément noueuses et saillantes.
Tyree lui renvoie son regard glacé, puis il fait un pas vers Isabella :


« - Ne vous inquiétez pas, elle ne dira rien, et j'ai besoin d'un témoin. Elle n'est pas si innocente que cela, cette jolie señorita, avec ses airs faussement fragiles, et son pilon de bois. Une petite course au confessionnal. Deux grands yeux sombres embués de regret pour le padre. Trois pater et deux avé pour se faire absoudre... Mais elle est bien capable de tuer si le besoin s'en fait sentir... N'est ce pas, Isabella ?

Xander se penche les mains sur les genoux, le visage au niveau de celui d'Isabella. Il fixe les flammes furieuses qui dansent dans les yeux noirs.

« - Vous l'avez déjà fait ! »


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Isabella Matamoros

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Mar 16 Juil - 13:59
Trop souvent, les héritiers du sang mexicain sont accusé d’être de vraies têtes de mule. Tyree faisait mentir les clichés : plus borné, ici, c’était difficile à trouver.

L’ancien sergent confédéré choisit de rester d’abord silencieux. Il ignora simplement l’offre faire par le prêteur en continuant d’explorer la pièce en tripotant tous les objets qui n’avaient pas encore été rangé dans des coffres. Une statuette en bronze par ici, un colt par là… Il observa aussi la rue, ce qui fait un instant craindre Isabelle qu’il attendait du renfort.

Depuis la nuit de l’attaque de Hudson, l’idée d’encore se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, prise dans une mêlée violente ou entre deux coups de feu, lui était insupportable. En essayant de ne pas trop gigoter sur sa chaise, elle multipliait les petits gestes nerveux en tirant sur les mèches de cheveux échappées de son sombrero, en triturant encore et encore le bouton de sa manche qui ne tenait plus que par un fil ou la petite croix en argent sous son vêtement, en faisant tapotant compulsivement de l’ongle contre sa tasse de café…

Sa jambe valide tressautait sur place, comme pour évacuer la tension qui montait.

Trois mille deux cent dollars, Monsieur Goldstein, pas un cent de moins, s'accrocha impassiblement le client.

Comme un molosse accroché à son bâton, Tyree m’en démordait pas. Malgré l’offre de Goldstein de rajouter une centaine de dollars pour le chapelet de perles, à la petite croix en or ciselé, il campait sur ses positions. En vérité, Isabella se serait étonnée du contraire. Elle commençait lentement à discerner comment l’homme fonctionnait. Tout ce qu’elle ignorait, c’était pourquoi il ne la laissait pas s’en aller…

Le ranger expliqua qu’il avait pour projet d’acquérir du terrain ici, à Crimson. Deux cents ou trois cents acres. Isabella songea que c’était, au bas mot, deux fois plus que sa propriété envolée. Elle sentit un peu son cœur se serrer et, perdue dans ses pensées, elle ne s’intéressa pas beaucoup à cette histoire de lot, de terrains morcelés, des concessions dans lesquelles l’ancien confédéré voulait investir avec cet argent dérobé. Elle songeait que, ailleurs, quelques brigands avaient dû en faire de même avec ses propres bien. Avec les harnachements qu’elle n’avait pas pu emporter, avec la collection de mezcal de Sebastian, avec les armes de son père, avec les toilettes brodées de sa mère…

L’Ouest n’appartenait qu’à une catégorie d’énergumènes, se disait-elle, avec la désagréable impression de ne pas exactement avoir ce qu’il fallait pour se conformer aux règles que, visiblement, la plupart avaient sciemment choisis pour ce jeu hideux.

Les sommes évoquées lui faisaient un peu tourner la tête. Elle en avait la gorge serrée. Après pas loin d’un mois et demi à Crimson Town, elle avait grapillé quelques pièces et, tout au plus quelques billets, mais avec plus que six pauvres dollars en poche, elle avait l’impression d’être une chienne affamée tenue loin d’une table chargée de victuailles. Pourtant, elle savait bien qu’envier était pécher. Dans son coin, elle buvait doucement le café offert. Au moins, c’était toujours ça de pris : avec un peu de chance, il apaiserait sa faim.

Elle reconnecta un petit peu plus à la conversation quand les deux hommes se turent. Goldstein avait menacé de couper l’herbe sous le pied de l’ancien confédéré. Et le combat de coqs continuait dans les regards que les deux hommes échangeaient.

Avec une répartie calme mais cinglante, Tyree évoqua à son tour un autre sujet : le commerce de Goldstein semblait avoir échappé au pillage qui avait secoué à la ville. Que ce soit de la chance ou une transaction de l’ombre, le trader se vexa, et menaça de couper court à cet entretien. Par opportunisme, Isabella se tint prête à sortir de là en vitesse mais, visiblement, Tyree avait une autre idée :

La conducta de plata para Guaymas en el año 1864... y los plateados.

La phase dans sa langue natale dans la bouche de l’homme la fit frémir au moins autant que le groupe criminel qu’il évoquait. Los plateados, les silverplated… Ce n’était pas la première fois que leur nom revenait à ses oreilles. Au relais à chevaux, elle avait entendu des histoires sur cette organisation. Elle avait toujours pensé que ces récits tenaient plus de la légende que de la réalité. Cependant, elle n’aurait pas remis en question la parole de celui qui venait demander des liquidités.

Généralement, quand la discussion commence à prendre une tournure qui implique des hors-la-loi, devant un banquier aux airs de serpents et un soldat d’une armée disloquée, le tout sur fond de négociations financière, la sagesse aurait été de prendre la poudre d’escampette et filer. C’était tout ce que Isabella fuyait et tout ce dans quoi elle ne voulait pas tremper au nom du saint Padre. Alors, quand les deux hommes se retournèrent vers elle, elle sentit sa gorge de serrer.

Quel rôle exactement Tyree lui réservait ?

Celui d’un « témoin », d’après ce qu’il expliquait. Un témoin bien moins innocent que ce qu’elle laissait penser, disait-il pour prévenir Goldstein. Et Isabella ne comprenait pas où il voulait en venir et pourquoi il se sentait ainsi obligé de la salir.

Ses lèvres étaient pincées de colère. Elle le fixait droit dans ses yeux clairs avec un air perdu devant le portrait qu’il faisait d’elle. Une « jolie señorita » avec des airs « faussement fragiles » et un « pilon de bois », une pieuse et, sur tout cela, il ne se trompait pas. Qu’elle le veuille ou non, la nuit dans le désert de Gila avait largement suffi à l’œil avisé du soldat pour lire entre les lignes et à peu près la cerner. Alors elle ne comprit pas tout de suite quand il se pencha vers elle, en la traitant tout haut de meurtrière.

Isabella ne voyait pas de quoi il voulait parler et lança un regard perdu au prêteur. Comme si cet enfoiré avait daigné l’aider… Elle ne voyait absolument pas de quoi Tyree voulait parler et pourquoi il l’accusait ainsi d’un crime qu’elle n’avait pas commis. Ce n’était vraiment pas de la comédie. Elle n’avait jamais pointé une arme sur quelqu’un, elle n’avait jamais tué quelqu’un de sang-froid, elle n’était pas une meurtrière.

Vous l’avez déjà fait ! insista l’homme.

Et les pupilles noires d’Isabella finirent par retomber dans les yeux gris de celui qui la surplombait. C’était un puit vers un enfer qu’elle avait oublié. Là, d’un coup, le souvenir qu’elle avait enterré lui sauta à la figure comme un vil démon mesquin. Vivement, les images que son cerveau avait mis de côté revinrent. Elle se souvenait de la trogne abîmée du sergent après l’attaque des apaches. Elle se souvenait de la gueule du gros Weber de son estafilade qui dénudait presque l’os de son crâne. Elle se souvenait du bras percé de Augustin, le vaquero. Elle se souvenait des dépouilles de Merrill et Burroughs, de celle de Jack, égorgé dans son sommeil.

Et elle se souvint du caporal et de sa plaie béante autour de la flèche qui lui avait ouvert le ventre. Et de la fiole de laudanum. Et du moment où sa ventraille avait cessé de se soulever. Qu'il avait rendu son dernier souffle, la tête posée sur un rocher entouré de ses coéquipiers.

Elle eut l’impression d’entendre à nouveau la horde de charognards qui tournaient en rond dans le ciel, prêt à piquer pour déchiqueter quelques bouts de cadavres frais, de sentir la crasse sur sa peau brûlée. Instantanément, elle retourna là où elle s’était appliquée à ne pas retourner pour s’éviter de ressasser et brasser les monstruosités du passé. Les souvenirs lui filaient la nausée.

C’était… C’était de la pitié ! se défendit Isabella dans une sorte de glapissement.

Elle se mordit l’intérieur des joues jusqu’au sang, en se rendant compte qu’elle n’avait juste pas assez d’énergie pour protester. Elle essaya de prendre une grande inspiration elle ferma les paupières. Elle n'était plus exactement cette adolescente contrite de peurs que les confédérés avaient enlevée. Le pire était déjà arrivé. Elle le traversait encore. Alors, comme elle ne pouvait pas fuir, alors autant accepter plutôt que se débattre avec des explications et toute une histoire qui ne concernait pas Goldstein ou n’importe quel autre habitant de ce nid de vipères.

On ne laisse pas agoniser les chiens ou les chevaux aux membres brisés, murmura finalement Isabella dans un filet de voix, sans vraiment chercher à se dédouaner.  

Le visage plissé dans une expression de haine et de résignation mélangées, elle rebaissa le museau vers son gobelet de café vide. Ses yeux embués trahissaient sa culpabilité.

La boiteuse se recula au fond du siège, pour échapper à l’haleine de Tyree et au contact physique sur ses genoux. Elle n’avait aucun doute que l’homme s’était appuyé ici en la savant vulnérable : sous sa grande paume calleuse, les sangles fatiguées qui retenaient la jambe au moignon l’irritait.

Non, vraiment, s’il cherchait une meurtrière de sang-froid, elle n’était pas exactement celle qu’ils cherchaient. En revanche, l’estropiée agréait à l’idée que son âme avait été salie et que la rédemption serait encore bien longue pour s’assurer une place au paradis promis.

Silencieuse, elle se tut pour les laisser reprendre leur bavardage. Il voulait un témoin. Elle le serait. Mais qu’ils la laissent en paix.


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Xander Tyree

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Mar 23 Juil - 17:25
« - C’était… C’était de la pitié ! »

Le froncement des sourcils et du nez, le retroussement de la lèvre supérieure, le retrait du corps et des membres, toute l'attitude physique d’Isabella manifeste viscéralement la répugnance physique qu'il lui inspire.
Tout le corps de la jeune femme s'efface pour éviter le moindre contact sensoriel avec lui comme un mécanisme de défense destiné à garantir ou préserver son intégrité. Comme si le fait qu'il ose l'effleurer, qu'il la touche était en soi une souillure.
Comme si elle craignait qu'il ne la frappe. De nouveau.

« - On ne laisse pas agoniser les chiens ou les chevaux aux membres brisés. »

Il eut un drôle de petit pincement au cœur, malgré tout.
Savoir qu'il venait de se comporter comme une véritable ordure lui fait éprouver un profond dégoût de lui-même face à l' injustice qu'il a osé commettre. Un profond dégoût accompagné d’une sensation nauséeuse.
Le pire est encore de savoir qu'il l'a blessée. Atrocement blessée. Et qu'il l'a fait volontairement. Il sent un goût amer au fond de la gorge, il sent monter une envie de vomir.

Elle relève un instant le front, presque hautaine, comme si elle eût voulu se défendre déjà contre ce qu’il allait dire d'autre. Il saisit le regard hargneux, empli d’horreur, noir de haine, de colère et de tristesse, avant qu'elle n'abaisse les yeux sur ses mains et se mure dans un mutisme hostile.
Il croit voir couler une larme le long de la joue.

Ses mains se retirent à regret des genoux de la jeune femme.
Il s’accroupit devant elle. N'osant pas la regarder en face, il tourne le front en direction de la fenêtre à petits carreaux, masquée par le rideau cachant la rue. Il y a très peu de bottes claquant sur les trottoirs de bois, très peu de monde qui s’y glisse.

« - Ce n'était pas un cheval... » souffle t-il à voix basse. Puis il ajoute d'une voix presque imperceptible « - Vous avez fait ce qu'il fallait, Isabella. Et je vous en remercie, je n'en ai pas eu le courage. Mais les faits sont là... »

Aucune réponse à attendre de la fille.
Son aversion trop visible est un moyen de s’éloigner, de rejeter tout ce à quoi elle refuse d’être associée, confondue, dans le but de préserver sa personnalité. S'il la bien cernée, les valeurs portées par Isabella Matamoros ne lui permettront pas d'accepter ce qu'il lui vient de lui asséner, ces paroles qui s’ancrent dans un acte immoral. Elle doit maintenant le juger lui-même comme un être dévoyé, comme une menace  pour son existence et le rejeter comme quelqu'un de socialement et moralement inacceptable.

Et puis le silence tombe.
Un silence lourd, long à peine d’une minute ou deux et qui pourtant parait interminable.

Il est trop tard et ce n'est pas le bon endroit. Trop tard pour lui dire qu'il l'a forcé à partir ce jour là parce qu'il a cru qu'une nouvelle bande apache allait attaquer. Trop tard et inutile de lui dire qu'il n'a désiré que lui donner une chance de survivre, au moins à elle...
Trop tard pour lui dire qu'il s'était une fois de plus égaré, que les ennemis qu'il avait imaginé n'étaient qu'une troupe alliée à leur recherche.

Il ne pourra pas lui avouer... pas tout de suite... que Quentin et les autres sont mort par sa propre faute, parce qu'il n'a pas su estimer lla véritable force de leurs adversaires. Lui dire que le vrai meurtrier du caporal, c'est lui, à cause de ses erreurs successives. Et que ces morts lui pèsent sur la conscience...

Et si elle était restée...
Si elle était restée, elle aurait dû les suivre jusqu'à Tucson. Oh ! Les troupes de l'Union serait de toute façon venues tôt ou tard, quelques mois plus tard. Mais elle aurait dû y survivre seule. Se débrouiller. Totalement isolée.
Dès que Hunter avait appris que les Californiens avaient franchi le Colorado, lui, Gibus et quelques autres avaient été désigné comme courriers pour aller de toute urgence, alerter Sibley et son Armée du Nouveau-Mexique que les Yankees étaient sur le point de les prendre à revers...

Toujours trop tard.
Tant pis.
Trop tard pour les regrets.

Il se lève et se frotte la paume des mains d'un geste anodin, comme pour les nettoyer, avant de les essuyer sur le tissu de son pantalon. Le sort d'Isabella ne lui est pas égal, et il n'a aucune intention de se dégager de toute responsabilité, mais sans le vouloir, par sa présence inespérée, elle est devenue un atout.

Le maître de céans, l'usurier, attendait, un doigt battant patiemment la mesure sur le décor marqueté du bureau,

Xander sent la colère, à nouveau. L’homme aux binocles plongé dans ses petites opérations, a trié et entassé patiemment chaque objet et chaque pièce en petits amas réguliers. Il parait n'avoir rien entendu, même si le vieillard les observe par dessus son lorgnon braqué sur le couple. Il ne peut pas ne pas avoir entendu ; aussi joue-t-il l’indifférence, croyant certainement cela de bon ton, et cette attitude ne fait qu’exaspérer Xander davantage, sans vraie raison.

« - Elle ne dira rien ! » Il laisse s'écouler quelques secondes de plus de silence, puis répète rudement : « - Elle ne dira rien parce qu'elle va craindre que nous n'allions raconter ce qu'elle a fait si elle a la stupidité d'aller révéler ce qu'elle va entendre. »

Xander a la sensation d’avoir une boule dans le ventre. De la petite gêne du début à l’écœurement qu'il a fini par ressentir, il choisit d'expulser ce dégoût de lui-même en fermant les yeux et en expirant très fort. Autant boire la coupe jusqu'à la lie : « - Tuer un ennemi en tant de guerre est une chose, empoisonner un blessé qui ne peut se défendre en est une autre... »

La peur. Il veut juste qu'elle ait peur. Qu'elle ait peur de ce qui pourrait advenir si elle venait à l'ouvrir.

« - Vous me parliez de Guaymas ! » dit brutalement le trader qui jusque-là était demeuré silencieux.

En trois pas, nonchalant, il est près de la table, debout, les mains crochées dans sa ceinture d’armes.
Il aspire profondément. Il aurait dû être satisfait. Il attendait cela depuis longtemps.
Il aurait dû être satisfait ; or, rien de ce qu’il ressentait ne ressemblait de près ou de loin à de la satisfaction. C’était plutôt un malaise étrange, peut-être vaguement différent de celui éprouvé jusqu’alors. Il lui fallait absolument reprendre sa maîtrise.
Avec lassitude, il explique, et le ton qu’il emploie est celui d’un père patient :

« - Señor Goldstein, ¿no cree usted que Guaymas es una ciudad muy agradable en esta época del año, no es así?»
Traduction:
« - Je ne connais pas Guaymas !»
« - On l'appelle La Perla del Mar de Cortés. Avec tous les objets d'artisanat yaquis, opatas et mayos que vous possédez ici, j'étais persuadé que vous la connaissiez. Elle est connue pour la clarté et la chaleur des eaux de l’océan qui la baigne, ses baies peu profondes, et ses plages sablonneuses...»

Le bout de la canne tape le sol. Une fois.
« - Monsieur Tyree, je ne vois toujours pas le rapport avec notre affaire. Vous me parliez d'un convoi de mules... »

Xander hausse les sourcils, le regarde d’un air narquois : « - J'ai parlé de mules ??? »

Le prêteur sur gages lui rétorque un drôle de regard plutôt venimeux.
« - Voulez-vous jouer cartes sur table ? » dit-il au bout d'un instant, en le regardant bien en face.
Xander sourit. « – Bon ! » répond-il. « - Je vois que nous pourrons nous entendre. »
« - Pourquoi pas ? Ce sont les conditions qui font tout entre... entre caballeros... hmm... entre gentlemen. Ainsi, nous jouons franc jeu, n'est-ce-pas ? »
« - C’est entendu. »

Goldstein a repris cet air cynique qui ne l'avait pas quitté depuis le début de l'entretien ; ses doigts martèlent le plateau de la table avec arrogance. Un tic joue dans ses paupières mi-closes.
« - Je vous écoute... »

Xander dénoue le foulard bigarré noué autour de son cou, ouvre le col de sa chemise, y glisse les doigts, puis fait passer le lacet de laine par-dessus sa tête :
« - Je pensais en voyant certains objets natifs de votre collection, que vous auriez pu connaître son ancien propriétaire, mais puisque vous n'avez jamais mis les pieds à Guaymas... Du moins, pas depuis une année environ... »

Xander dépose négligemment le cordon et l'anneau d'argent ouvragé sur le plateau du bureau, les fait glisser d’une poussée légère du doigt en direction de Goldstein…

Le prêteur a d'abord l’air surpris, puis les yeux de l'usurier crépitent d’intérêt. Xander voit les mains interrompre un instant leur mouvement régulier, hésiter un instant entre le désir de s’emparer immédiatement de l'objet et de continuer leur battement afin de poursuivre l’entretien…

Wouter lui adresse un sourire chaleureux… accompagné d’un regard anxieux, cupide, calculateur.
Entre le col raide de sa chemise blanche et le sommet du crâne, on voit un trait de nuque rouge, un rouge qui commence à s'étendre.

Il examine l'anneau entre ses doigts frémissants :

« - Normalement, ce genre de clé va par paire... »

Xander tire la chaise vers lui, s'y assoit, les reins calés contre le dossier, penché en avant, les coudes posés sur les genoux écartés. Il croise les doigts, coudes appuyés sur les genoux, le regard assombri rivé sur celui de Goldstein.

« - La seconde, vous l'avez déjà et le coffret qu'elles ouvrent aussi. »

Il attend un mot, un geste quelconque de cet individu. Après trois ou quatre longues minutes pendant lesquelles l'homme ne cesse pas de fixer et tourner entre ces doigts tremblants l'anneau argenté et ciselé inégalement.
« - Toutefois... il manque la troisième clé ! La principale ! »

Un petit sourire, rapide et crispé, joue sur ses lèvres.
« - Elle attend devant la porte. »

Impénétrable, le souffle court, Goldstein le contemple un moment, puis il pivote le col vers Isabella, l'air suspicieux. Il la regarde sans ciller, la lèvre légèrement retroussée, comme par une grimace narquoise, sur ces dents bien alignées, bien aiguisées. Une dentition de loup.
Le vieillard hoche la tête.
« - Je souhaiterais la voir. »

Xander sait que le bastion est sur le point de hisser son drapeau blanc. Il s’est dressé d’un bond. Vif, il recoiffe son chapeau, marche vers et ouvre la porte.

« - ¿Llano? El señor Goldstein quiere ver el objeto... »

Le chicano fit quelques pas et se retrouva dans le cercle lumineux de la lampe. La lumière douce mettait des ombres sur le visage énergique et mat.
Goldstein eut l'air déconcerté. Ses sourcils se haussèrent au dessus des bésicles, creusant les rides du grand front.
Le trader a tressailli imperceptiblement. Une légère rougeur colore ses pommettes, envahit tout son visage. Il fixe la brune. Ses yeux promènent son regard perçant et médusé de l’un à l’autre, d'Isabella à Xander, de Xander à Llano, du mexicain à la niña.
A sa réaction, Xander réalise d'un seul coup que l'usurier s'est attendu à voir entrer quelqu'un d'autre... Il voit bien ce qui tracasse l'usurier, celui-ci croyait revoir le mexicain sorti en trombe avant son arrivée et il découvre un nouvel inconnu. Un autre latino...

Chavez demeure un moment sans bouger, les yeux braqués sur Goldstein, avant de le saluer d'un mouvement hautain du menton. « - Señor Goldstein !» ; Puis il jette un coup d’œil intrigué vers la jeune brune, échange un regard interrogatif avec Xander : « - Señorita...»

« - Monsieur Goldstein, je vous présente le señor Emiliano Chavez de Urquijo, mon associé. »

Wouter Goldstein demeure un moment sans bouger, les yeux braqués sur ses invités, puis hoche lentement la tête. En soupirant, il lève les yeux, fait un geste nerveux en tendant la main. Parler l’ennuyait soudain. Il préfère habituellement et de loin lancer des ordres secs. C’est son rôle.
L'allure impassible de pistolero du chicano et les yeux implacables l'agacent.
« - Eh bien ? » dit-il.

Emiliano lui jette un coup d’œil rapide. Au raidissement de son dos, Xander pense que ces deux-là ne vont guère s’aimer tous les deux et cela dès le premier contact.

Llano fait un pas. Dépose son feutre noir sur l'assise de la chaise. Arrange de ses doigts écartés les mèches noires et raides, indisciplinées et mêlées de gris de sa tignasse avant d'extirper un cordon de cuir. Il tend la clé forgée.

Goldstein hoche encore la tête. Il semble irrité et soulagé tout à la fois. La clé dans une main, l'anneau dans l'autre il cogite, pensif.

Le mexicain s’approche de Xander, lui offre un cigare et un clin d’œil. Ils tirent la première bouffée ensemble, à la même allumette, puis se plantent devant la fenêtre pour examiner le trader, toujours assis à son bureau, qui semble soucieux. Le chicano avait l’air de tout savoir déjà de ce qui s'était passé, sans que personne le lui eût expliqué. Il est là, grave, son cigare entre les doigts, au creux de la main. La présence de la fille ne semble même pas l'étonner. Ses cheveux noirs grisonnants comme des ailes au-dessus des oreilles. Son regard noir et chaud suit les évolutions des doigts du vieillard, les yeux plissés. Il respire doucement…

Isabella, à côté, garde le silence le plus complet, immobile, paupières baissées et oreilles grandes ouvertes.

« - Nous parlions de la conducta... » énonce l'homme d'affaire, qui les observent impatiemment, le menton haut levé, yeux inquisiteurs, regard brillant de convoitise entre les paupières mi-closes.
« - Nous parlions d'un convoi de dix mules, chargés de deux coffres chacune. Trois millions de piastres... » répond Xander.
« - Varias bandas de plateados se han agrupado para atacarlo. Los franceses han recuperado la mayoría de los cofres. Tres desaparecieron. » Ce sont les premières paroles, que prononce le mexicain, en examinant la cendre de son cigare. « Una buena bendición para los juaristas si hubieran caído en sus manos. »
Traduction:
dit Llano d’une voix calme et grave, sans lever les yeux de son cigare tenu entre le pouce et l’index, braise vers l’intérieur de la paume.

Il tend soudain l'étui à cigares à l'homme d'affaire, puis examine attentivement la jeune femme qui s'est raidie avant de lui présenter le porte-cigares : «¡Uno para ti, mi guapa! Ayúdate a ti mismo, parece que lo necesitas.»
Traduction:

Goldstein hume le laguito en le passant sous son nez. Le tâte afin de savoir si la vitole n'est pas trop sèche, sent la petite résistance d'un cigare bien conservé. Petit claquement de langue de satisfaction contre le palais. Il craque une allumette sur le pouce et l'allume.

Il y a un petit ricanement dans les yeux gris lorsqu’il prononce ces paroles, le cigare coincé entre les dents, enrobé de longues écharpes brumeuses s’effilochant : « - Allons, j'avoue : je connais Guaymas... » Il laisse planer un morceau de silence au bout de ses paroles et dit enfin :« - Je n'ai pas toujours été le gentil monsieur que vous avez devant vous. »
La dureté du regard devenu presque métallique dément ses paroles.

Le vieillard boitille vers le groupe, appuyé sur la canne armée. Il lance un coup d’œil à travers le bout carreau au dessus des plis du rideau de tulle.

Du bout du bâton au pommeau à tête de chouette, il frappe rudement le pilon.
Instinctivement, la jeune femme qui avait écouté en silence recule sur sa chaise.
« - Il y a quelque chose que je ne saisis pas. Que vient faire cette jeune dame dans notre discussion ? »

Inexplicablement, Goldstein parait soudain moins sûr de lui...
« - Je commence à me demander si sa présence juste avant votre arrivée n'était pas préméditée. Si elle ne m'a pas joué une savante comédie pour m’appâter. Bonne comédienne au demeurant. Mais insuffisant... » L’œil pétille froidement. « - Allons ! L'aspect d'une mendiante, un visage amaigri soigneusement entretenu, des vêtements élimés et trop grands juste comme il faut, une jambe en moins pour m'apitoyer, un faux conflit ouvert entre vous deux, des messes basses. Où avait vous donc recruté ce petit bijou ? Et l'autre comédien attend dehors, je présume... »

Pas encore totalement ferré le vieux, même s'il est en train de se fourvoyer...

Xander croise le regard d'Isabella. Il gratte du pouce son menton barbu, la bouche tordue par un rictus moqueur, tord négligemment le cigare entre ses doigts, fait tomber la cendre qui virevolte jusqu'au sol :
« Holà, mi corazon ! Te voilà prise, et tu viens de perdre la prime. Voyons si tu vas être capable de regagner les quarante dollars que je t'ai promis ? Sois convaincante. Querida.»



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Isabella Matamoros

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Ven 26 Juil - 0:23
La culpabilité est comme un brasier prompt à être ravivé dès qu’il devient un peu trop oublié. L’ancien sergent confédéré venait de souffler dessus. Et les flammes la prenaient à la ventraille. La gorge serrée, elle n’osait plus bouger ni le regarder de peur d’avoir à nouveau à avancer avec la même douleur sourde qui l’avait tenaillée, il y a des années.

Pourtant, il y eut quelques mots glissés tout bas. Quelque chose qui tintait comme un pardon de prêtre, un remerciement sincère, l’évocation d’un courage que lui n’aurait pas trouvé. Elle ne s’attendait certainement pas à une confession de se type et releva le museau dans une expression aussi confuse que déstabilisée. Assez pour oser croiser son regard, avant de le voir se détourner et revenir à ses affaires.

Pendant qu’ils reprenaient la conversation, la boiteuse tenta de se faire discrète. Elle croisa les bras autour de ses côtes, comme pour paraître encore plus petite et peu épaisse qu’elle ne l’était déjà. D’une oreille discrète, elle écoutait pour ne pas retenir les images tirées des souvenirs qui revenaient pour, à nouveau, la tarauder.

Dans la substance, Tyree ne se trompait pas quand il répétait qu’elle ne parlerait pas : elle n’aurait pas pris le risque d’avoir de nouveaux problèmes au derrière quand la seule solution devait être simplement se taire. Alors la conversation rebascula sur Guaymas.

En substance, Isabella compris les grandes lignes : Goldstein commença par complètement rejeter son implication, assurant qu’il ne connaissait pas la ville qui retenait leur attention. Il fallait plus que ça pour le coriace ranger qui n’avait visiblement pas l’envie de démordre. Passant de l’anglais à l’espagnol, la négociation reprit jusqu’à ce que l’usurier tombe dans le piège que le feutre gris lui tendait. Ils finirent par jouer carte sur table et Tyree commença à exposer le problème qui le ramenait ici. Une histoire de coffret à trois clefs qui nécessitait l’intervention d’un nouveau protagoniste. L’ancien sergent ménageait ses effets et appela, dans un espagnol irréprochable, une nouvelle tête qui avait attendu tout ce temps sur le palier : Emiliano Chavez de Urquijo était présenté comme un associé.

A son entrée, Isabella prit le temps de le détailler, en une série de coup d’œil discrets. Avec sa grande moustache, il avait les mêmes airs que les amis mexicains du père de la cavalière. Un demi-siècle de cavalcades dans l’ouest pesait sur le tannage de sa peau hâlée, brûlée par le désert et irritée par le sable. Le nouveau venu parut surpris de la trouver-là, suggérant qu’elle ne devait appartenir à aucun plan préétabli. Elle n’était plus à ça près.

Alors, comme au poker, chacun se dévisagea pour cerner qui serait le premier à servir un baratin bien ficelé. Heureusement, elle était la seule à ne pas devoir s’expliquer. Du moins, c’était ce qu’elle espérait.

Avec ce dernier larron, la discussion reprit de façon plus frontale. Au fur et à mesure, Isabella comprit qu’ils jouaient dans une cour qu’elle n’aurait jamais voulu approcher. Un détournement de convoi par les plateados dont le préjudice s’élevait à trois millions de piastres. Discrètement, la pauvrette déglutit. Ces sommes la dépassaient totalement.

Pile à ce moment, le mexicain vint lui proposer un cigare. Mécaniquement, elle accepta, se saisissant du cigare nerveusement. Elle ne fumait qu’à la pipe depuis des années. Avant tout chose, elle en aimait le cérémonial : la façon dont il fallait nettoyer les cendres et tasser le tabac avant de l’allumer en creusant les joues, en soufflant et aspirant jusqu’à voir un rougeoiement commencer à consumer les feuilles. Mais elle n’avait pas le temps d’argumenter ici. Comme Goldstein, elle le coupa et l’alluma en découvrant la première lampe à pétrole qu’elle trouva, une oreille toujours tournée vers sur ce qui se disait et les révélations de Goldstein. Comme il s’était contredit, il finit par avouer qu’il voyait très bien de quoi les deux rangers parlaient. Plus jeune, lui aussi avait trempé dans des sombres affaires frôlant avec l’illégalité.

L’éclopée n’était pas vraiment étonnée : dans ce pays de ravagés, il n’y avait que ça qui finissait par payer.

Par contre, comme la témoin inopinée de cet échange, le prêteur sur gage voulait qu’on lui explique enfin ce qu’elle faisait ici, commençant à soupçonner une association de malfaiteurs attroupés devant son bureau, dans son commerce particulièrement protéger. Pourquoi avoir gardée à portée cette boiteuse en guenilles ? Il avait de la peine à croire au hasard qui les rassemblait et préférait les accuser de tenter de les manipuler. Il la traita de comédienne tout en détaillant implacablement l’image qu’elle renvoyait, après une quarantaine de jours d’enfer.

Autant dire que se faire aussi ouvertement traiter de menteuse n’arrangea rien à la crispation évidente d’Isabella.

Et pour ne rien arranger, Tyree en rajouta allègrement une nouvelle couche : il lui demanda de marcher avec un air aussi ironique que moqueur.

Décontenancée, la boiteuse parut hésiter à rentrer dans son jeu. Pour ses miches qu’il avait quand même sauvées, au milieu du désert de Gila. Pour les quelques mots de compassion qu’il lui avait glissée. Pour ne pas l’avoir simplement livrée à des apaches. Pour cette étrange connexion qui s’établissait entre lui et elle à chaque fois que les deux cavaliers prenaient le temps de parler.

Et puis, elle préféra se dire qu’elle ne lui devait rien ; que les ardoises avaient été vidées depuis longtemps et qu’elle ne pouvait pas avancer sans s’affranchir du passé. De toute façon, elle ne savait pas mentir et ça aurait été pire de s’embarquer dans un jeu qu’elle ne maîtrisait pas.

Si seulement j’avais l’espoir de toucher quelques sous dans cette affaire… siffla-t-elle entre ses dents en les dévisageant un par un.

Isabella avait honte. Les remarques sur ce qu’elle était devenue la touchait plus que ce qu’elle voulait bien montrer. Ce n’était pas comme cela qu’on l’avait élevée et ce n’était pas ce qu’elle voulait présenter au monde. Ce n’était pas comme cela qu’elle avait été élevée. Et, plus que tout, ce n’était pas en ces termes qu’elle voulait qu’on se souvienne d’elle.

Cuando hayas perdido tu negocio, cuando te hayan arrastrado a una ciudad de la que nunca has oído hablar, justo antes de que una horda de forajidos saquee el lugar, veremos cómo eres. Verás que no te he pedido nada... grommela-t-elle, comme si c’était le moment de se justifier avec un mélange d’irritation et d’ironie.
(Quand vous aurez perdu votre affaire, qu’on vous trainera dans une ville dont vous ne connaissez pas, pile avant qu’une horde de hors la loi mette tout à sac, on verra à quoi vous ressemblerez. Moi, vous verrez, que je n’ai rien demandé...)

Et encore, l’estropiée passait sur le semblant de famille qui avait été, au passage, égorgé. Elle passait aussi sur le « corazon » qui avait, d’habitude, le don de l’agacer.

Je ne veux pas être mêlée à vos histoires, fit-elle en revenant en anglais, à l’intention de Xander et son acolyte. Vous vous êtes sorti de la guerre ? Génial ! Je suis ravie pour vous. Vous avez de quoi faire pression pour vous mettre à l’abri financièrement, eh ben je suis très contente, que Dieu vieille sur vos projets ! Puisse monsieur Goldstein et le Seigneur vous aider. Mais, s’il vous plait, ne me mêlez pas à ça comme si je savais ce que vous êtes en train de bidouiller.

Elle croisa davantage ses bras sur sa taille, renfrognée, fermée à toute argumentation. Comme au début de la conversation, elle essaya de convaincre le maître des lieux en s’adressant directement à lui :

Croyez-moi ou pas, je ne sais pas ce que je fous là non plus mais je suis sûre que vous allez nous expliquer ça, sergent Tyree. Histoire que je puisse retourner essayer de travailler, gagner ma croûte honnêtement, sans voler personne, sans extorquer personne, sans piller personne, sans tuer personne …


JET DE DES "Charisme" - ECHEC (16)


Le souvenir du colonel froissa une dernière fois son petit minois dans une expression anxieuse. Elle voyait sur le masque du trader que l’explication qu’elle semait ne prenait pas. Il devait continuer de la prendre pour un membre à part entière le la compagnie qui venait négocier avec lui. Une sorte d’actrice embauchée spécialement pour l’embobiner… Et l’honnête cavalière en était profondément désolée.

Sa seule porte de sortie tenait dans celui qui menait habilement les négociations jusque-là. Alors elle n’hésita pas à l’apostropher, la gorge serrée :

Vous ne voulez pas nous expliquer, hein ?

Qu’on en finisse.  Qu’elle puisse sortir d’ici et ne plus jamais avoir affaire à lui.

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Xander Tyree

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Disponibilité RP:
Dialogue: #ff9966
Age: 39
Métier: Éleveur de chevaux
Caractéristiques:
Xander Tyree
Mustang Catcher
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Dim 4 Aoû - 2:36
Et il fut déçu, car sa voix n’eut pas le ton dur qu’il eût souhaité… Elle hausse les épaules, ou fait un geste approchant ; le tissu de sa chemise frissonne doucement. À voix basse, très basse, presque inaudible, il n'est pas sûr que les autres l'aient entendu, elle renvoie :
« - Si seulement j’avais l’espoir de toucher quelques sous dans cette affaire… »

Le vieillard l’avait dévisagée, jaugée froidement. Tendu en avant, le visage ridé, creusé par les ombres, comme une bête de proie à l’affût. Le même regard.
« - Cuando hayas perdido tu negocio, cuando te hayan arrastrado a una ciudad de la que nunca has oído hablar, justo antes de que una horda de forajidos saquee el lugar, veremos cómo eres. Verás que no te he pedido nada...
Traduction:

Son visage a changé. Une vague de rancœur s’est plaquée sur ses traits, une colère qui brûle dans sa voix, sourde.
Elle parait à nouveau sur le point de mordre, lance farouchement :
« - Je ne veux pas être mêlée à vos histoires. Vous vous êtes sorti de la guerre ? Génial ! Je suis ravie pour vous. Vous avez de quoi faire pression pour vous mettre à l’abri financièrement, eh ben je suis très contente, que Dieu veille sur vos projets ! Puisse monsieur Goldstein et le Seigneur vous aider. Mais, s’il vous plaît, ne me mêlez pas à ça comme si je savais ce que vous êtes en train de bidouiller. »

Le ton dont cette parole a été prononcée n’a rien d’amical ni d’engageant, l'ancien lieutenant comprend que toute conversation en ce moment serait impossible avec elle ; il se le tient pour dit, se mord les lèvres.
« - Croyez-moi ou pas, je ne sais pas ce que je fous là non plus mais je suis sûre que vous allez nous expliquer ça, sergent Tyree. Histoire que je puisse retourner essayer de travailler, gagner ma croûte honnêtement, sans voler personne, sans extorquer personne, sans piller personne, sans tuer personne … »

Isabella le fixe avec une expression de tristesse indicible au fond de son regard trop grand. La bouche ouverte, il se force à accepter ce regard qui fait mal…

« - Vous ne voulez pas nous expliquer, hein ? »

Et puis le silence tout entouré de fumée des cigares.

Xander n’a pas bronché, ni même paru entendre. Un goût fade lui emplit la bouche.
Le visage grave, Xander regarde les hommes l’un après l’autre, puis Isabella. Il demeure indécis un moment. Il caresse du bout des doigts les éléments du bracelet natif, écarte la petite croix du chapelet.

Ç’avait été un matin comme les autres, pourtant. Un beau matin, bien débarbouillé, le soleil au rendez-vous dans un coin du ciel ; une journée qui avait bien commencé.

Les paupières closes, il cherche, il passe en revue toutes les éventualités possibles :
« - Peut-être que c'est une coïncidence que nous nous soyons retrouvé ici ou peut-être que tout était soigneusement organisé... »

Goldstein eut un sourire amusé, très rapide :
« - Je ne crois pas aux coïncidences fortuites. »
« - Alors, vous avez votre réponse. »

Il le regarde une seconde, l’air dur, droit dans les yeux :
« - Peut-être que c'est juste une sale petite espionne, qu'elle était tout simplement payée pour vous localiser et vous épier... pour vous séduire peut-être... c'est peut-être une professionnelle...  une très bonne professionnelle... »

Le temps d’une fraction de seconde, il crut voir une flamme offensée et brûlante exploser dans les prunelles sombres de la jeune femme, les mâchoires se crisper...
Les eaux noires des yeux lui hurlaient sa haine...

Xander entend grogner Llano. Il sait qu’à cet instant son ami le maudit franchement, parce que rien de ce qui se passe n'est prévu. Il prend soin d’éviter son regard. Puis il dit, en apparence très calme :
« - Vous voulez la vérité, monsieur Goldstein... Nous avions décidé de jouer franc-jeu... »

Llano achève son cigare, fronce les sourcil, brosse avec les doigts sa lourde tignasse de jais :
« - Caraï, hay días, así, en los que ya no entiendo nada... » jure-t-il entre ses dents.
Traduction:

Le visage fermé tout à coup. Xander se redresse, se met debout. Fait quelque pas et se sert lentement un nouveau mug au service argenté.
Il se trouve appuyé à la cheminée, un gobelet de café fumant dans une main, le cigare entre les doigts de l’autre :
« - Il m'est déjà arrivé de faire des choses pas très jolies pendant la guerre, et certaines dont je ne suis pas très fier après aussi... Mais je dénie à beaucoup et à cette jeune personne en particulier le droit de me juger. Ils n'étaient pas à ma place, il me fallait bien survivre et on ne m'a pas toujours laissé le choix... »

Il regarde le petit bonhomme sec au visage ridé, à la chevelure soigneusement peignée sur les côtés. Tout en lui respire, sinon l’honnêteté, du moins la respectabilité. Et puis ces favoris impeccablement rasés, ces ongles manucurés avec soin… Un beau comédien lui aussi. Le pli caustique des lèvres, et les yeux, les yeux surtout, sont les seules notes discordantes.
« - Vous voulez la vérité... »

D’un index indécis, il se gratte la barbe piquante sur sa joue.
« - La verdad... »

Il a l’œil sombre et plissé, la bouche dure, comme une fente au couteau dans un lingot de plomb. Un sale goût dans la gorge…
« - Elle ne sait rien. Rien de rien. C'est... juste une brave fille qui se trouve là par pur hasard... »

Il inspecte les étagères, le front plissé, attentivement :
« - Et croyez-bien que j'ai été le premier étonné de la voir devant moi... »

Llano avait écouté sans broncher, les yeux sur les lambris derrière la Matamoros, avec toujours une petite lumière gaie dans le regard. Il a comme bien d'autres hommes de son genre, des yeux jamais en repos, avec toujours comme une arrière-pensée secrète qui fait flamber un petit feu au fond de ses prunelles noires, avec une façon de sourire qui veut dire bien des choses et rien de particulier, et une gaine de revolver excessivement huilée et polie qui ne laisse rien présager de bon. Insaisissable, comme tant d'autres fauves qui savent se tenir debout.

« - Elle a un don pour m'agacer. Cette sacrée foutue satanée gamine a tout juste l'attitude qu'il faut pour m'énerver prodigieusement... Je ne sais pas pourquoi... »

La colère est tombée d'un coup, remplacée par un vide étrange. L’impression de ne pas être à sa place. Cela a été un jeu cruel, et maintenant il regrette d'avoir commencé. Et il sait déjà qu'il va devoir continuer. Il aurait aimé regarder encore le visage d'Isabella, mais il n’y parvint pas.

Jet de Dés "Charisme" - Réussite (7)

Le trader sans mot dire, retourne à son bureau, pose sa canne sur le plateau et s’appuie des deux poings à la planche massive marquetée de bois et de matériaux précieux incrustés.
Une nouvelle fois, Xander lit dans les petits yeux gris, derrière les lorgnons, une expression de férocité qui parvient presque à lui faire oublier ses scrupules.
« - Vous avez essayé de me déstabiliser ! »
« - J'ai réussi, non ? »

Pendant un trop long moment, le vieillard demeure immobile, éclairé par les lampes, et plus raide qu’une statue de cire. Cette raideur a un côté inquiétant.
« - Vous êtes fascinant, Monsieur Tyree, sincèrement fascinant. Qu'es-je à voir avec cette affaire au final ? Il n'y a aucune preuve que j'y sois mêlé. Vous allez m'accuser de recel pour ces coffres ? » attaque Goldstein en regardant la cendre de son cigare.

Xander lève les yeux, l’air détendu juste à point pour donner confiance et ne pas irriter. Juste ce qu’il faut :
« - Je suis seulement responsable de ce que je dis, pas de ce que vous comprenez. »

Le prêteur sur gages se penche en avant. Parle lentement et distinctement. Le regard est dur, coupant, entre les paupières lourdes.
« - Alors vous me proposez de récupérer le pactole et vous êtes assez stupide pour croire que j'irai m'associer à vous pour écouler celui-ci en toute illégalité sur le marché américain. De l'argent volé ? Quatre cent cinquante milles piastres d'argent. Deux cent soixante quinze mille dollars... Allons, vous êtes soit fou soit inconscient... »

Xander laisse la phrase tourner quelques secondes dans son esprit. Fronce les sourcils.
Apparemment le trader s’est mépris sur ses paroles. ***Bon sang, il me prend pour un vulgaire bandit, ma parole ? Un voleur cherchant à écouler des marchandises dérobées à moindre coût…***
Un mince sourire s’étire sur ses lèvres. La situation l’amuse soudain beaucoup…

« - Restons sérieux, Monsieur Goldstein ! »

Xander fume nonchalamment son cigarillo en fixant d’un air vif le trader, sur le visage duquel la confusion et l’impudence se livrent un combat dont il est devenu facile de suivre toutes les péripéties. La saveur du cigare mexicain est épicée et sucrée, avec une pointe d'amertume.

Il boit une gorgée au gobelet. Le café était râpeux et fort :
« - Il ne suffit pas qu’une parole coule d’une gueule en or pour qu’elle soit d’or également.»

Surtout gagner du temps, préparer une réponse à cette question brutale qui l’a pris de court. Il se frotte longuement la barbe. Dire la vérité tout simplement. La vérité encore une fois. Il dit, sans regarder personne :
« - Non. Monsieur Wouter Goldstein. Non, je veux... enfin nous voulons, le señor Chavez et moi, que vous fassiez pour nous ce que vous aviez prévu de faire pour notre ami commun, l'an dernier. »

La surprise de Wouter Goldstein ne dure pas une seconde. L’homme est doué d’un sang-froid étonnant. Certes, il a pâli d'étonnement et il est long à retrouver son teint normal mais presque immédiatement, il se remet à téter ardemment sur le cigare. Un éclat sarcastique brille dans ses yeux gris métallisé derrière les verres. Sa voix devint rauque :
« - … le chef de la bande. Juste un prête-nom... »
« - Oui ! Je sais... Nous savons... »

Goldstein se redresse soudain. L’espace d’une seconde, la lumière vive de son regard s’évanouit, remplacée, semble-il, par un éclair froid. Sous le cou, la peau fanée tombe vite cachée par le col.
«... nous savons... que la mésentente s'est installée entre les plateados. Que notre ami commun leur a mis à l'envers en déplaçant le butin de sa cachette initiale... et qu'il vous a contacté... »

Xander baisse le regard, regarde tranquillement son quart, éteint son cigare dans le reste de café :

« - Nous voulons rendre les coffres à leurs légitimes propriétaires. »

Leurs regards se croisent. Xander a abandonné son sourire railleur. Un bon moment, ils se regardent en face, pareils.
« - On se fout  de savoir avec quel gouvernement vous allez négocier. Que ce soit le gouvernement impérial ou celui des républicains... »

Xander se racle la gorge, évite le regard joyeux de Llano avec le plus de naturel possible.
Celui-ci ne cille point. Ne bouge pas.
Après un temps de silence bien trop pesant :
« - Emiliano est d'accord. Nous ne voulons même pas un partage de la prime en trois parts. Nous vous laissons la demi-part prévue initialement. Nous nous partagerons le reste... »

Wouter Goldstein se tient coi. On lit sur son visage qu’il balance, instable, entre le doute et la confiance, penchant peut-être pour le premier sentiment, échafaudant déjà hypothèses et conjectures brumeuses.

« - Cela reste une belle somme ! »

Nouveau petit sourire railleur. Tout est affaire de mot dans ce genre de profession. Une opération de rapine légale, couverte par un mandat de négociateur serait plus juste pour qualifier les activités secrètes de Goldstein. Xander allonge un nouveau sourire, les yeux froids et durs…
Une prime, un vol plutôt, au détriment des véritables propriétaires, les peuples du Mexique, qu'ils soient sous la coupe des républicains, de l'église ou des impériaux, une rançon obtenue sous la contrainte et sous la protection de belles signatures et de beaux cachets gouvernementaux sur un contrat. Rien de plus, rien de moins…
Peu de différence avec un acte de banditisme si ce n’est la possession d’une patente…
Et une apparence de légalité.

Finalement ce vieux Kearny serait fier, il a bien retenu ses leçons...

Jet de Dés "Charisme" - Échec (10)

Le regard du vieillard se fait moins ambigu, enfin. Avec son œil perçant qui jauge sans jamais se tromper, il lui a suffit de quelques secondes pour se faire une idée. Intérieurement, tout au fond de lui, Goldstein a choisi.
L'entremetteur fait clapper sa langue. Puis légèrement méprisant, ironique, il assène :

« - Je ne suis pas d'accord, Monsieur Tyree !... » Puis avec un temps de retard, il promène son regard perçant de l’un vers l’autre. « - Señor Chavez ?...» Goldstein exhale un rond de fumée.
« - Il va me falloir plus de garantie pour que je m'engage avec vous deux... »

Plus coriace que prévu, l'ancien. Plus pingre et gourmand aussi. Il va falloir l’appâter.

« - En ese caso, tu sicario con su escopeta recortada esperando allí detrás de la puerta de la cortina, dile que puede retirarse. » répond Llano.
Traduction:
Xander sourit sournoisement et semblent jouir intérieurement de l’embarras soudain du vieil homme.
« - Nous aussi, nous avons besoin de garantie... et on ne veut pas négocier sous la menace d'une arme... » dit-il en examinant l’usurier d’un œil froid.

Enfin, après un temps de silence parfait et incrédule, comme un chien galeux en chasse, la truffe au sol, parce qu'il est sur la piste de quelque chose de très important et qu'il craint que la proie lui échappe :

« - Soit ! » dit Wouter, se levant pour claudiquer vers l'ouverture.

Llano seul appuyé à la table, ne quitte pas son ami des yeux, parfaitement immobile et une drôle d’expression au coin de la moustache. Il ne se départit pas d'un petit sourire sardonique. Xander évite toujours soigneusement son regard.

Il la voit aussitôt, dans la pénombre, sur sa chaise, les bras croisés, dans sa posture habituelle et revêche de gamine bornée, l'attitude de celle qui s'est fait prendre les doigts dans le pot de confiture par la maîtresse d'école, et qui refuse de reconnaître ses torts, et la colère qu’il a ressenti quelques instants plus tôt contre Goldstein se reporte sur elle.
Il est visible qu'elle fait des efforts pour ne pas être contrainte de l'avoir sous les yeux.

Il secoue la tête, visiblement excédé

Kearny lui avait dit autrefois dans son bureau de l'Honorable Maison, lors de l'une de leur discussion mémorable, à l'époque où il lui apprenait encore le métier, qu'il y avait deux théories pour argumenter avec une femme ; il s'était tu longtemps ensuite, engoncé dans son grand fauteuil couvert de velours, un verre de bourbon à la main, les genoux croisés, avant d'avouer, pensif : je les ai essayé toutes les deux. Aucune ne marche. Bien présomptueux est celui qui se dit capable de prévoir une seconde à l’avance ce qui peut se passer dans le crâne d’une femme.

Jet de Dés"Charisme" - Échec (18)

Tyree relève le front, ses yeux brûlants braqués sur la silhouette renfrognée.
Il eut de nouveau cette envie folle de la secouer pour l'obliger à quitter ce damné air grognon qu'elle s'obstine à prendre en sa présence, rigide comme une porte d'église...

Elle ne cille point de tout le temps qu’il prend pour venir à elle. Même pas le long regard glacé, inquisiteur qu'il attend. La lumière douce met des ombres sur le visage amaigri. Des mèches rebelles d'un noir profond lui coulent sur le front.
Il pose ses mains sur le lambris derrière elle et s’appuie dessus. Se penche vers la jeune femme pour lui souffler à l'oreille :
« - Bon dieu ! Isabella... »

Il sent une bonne odeur de foin coupé émaner des vêtements élimés, quelque chose de léger, quelque chose de chaud et de frais en même temps, et aussi un parfum doux et prenant de sueur féminine...

Il refoule l’instinct, la petite bête avide qui lui cogne au fond du crâne, et qui lui suggère de cesser et qu'il va encore commettre une erreur.

Il érafle involontairement la joue satinée de sa barbe piquante
« - Querida, vous allez devoir faire un effort... Vous aller m'aider parce que c'est le seul moyen que j'ai pour vous rendre vos foutus bourrins à cinquante dollars pièces... Qu'est ce que vous en dites, Isa, vingt dollars par signature ? »


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Isabella Matamoros

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Dialogue: #ff9966
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Métier: Cavalière au Ranch Beauchamp
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En galère mais débrouillarde
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Jeu 8 Aoû - 19:10
A la demande pressante d’explications, l’ancien sergent confédéré apostrophé opposa un silence mesuré. Un temps mort qu’Isabella sentît suffisamment calculé pour la mâter. Dans le rond de travail, elle utilisait une méthode similaire pour laisser un animal souffler et considérer sa réaction excessive après avoir cabré.

Inconsciemment, elle se ratatina un peu plus sur son siège, les phalanges blanchissant sur l’accoudoir, maintenant qu’elle avait posé la tasse à café vide. Elle fut la première à porter nerveusement le cigare à ses lèvres, sentant que l’esprit matin de Tyree élaborait une autre farce dont elle ne comprenait clairement pas l’intérêt.

A moins que son silence trahisse une indécision sur le sort qu’il lui réservait ? Elle ne savait pas quoi penser mais son envie de déguerpir grandissait. Tout comme le scepticisme de Goldstein. Les coudes posés sur le bureau, jointe juste devant son nez, le courtier resté absorbé par l’interaction, comme si tout ceci avait un vrai intérêt pour ses affaires.

En tout cas, le quarantenaire continuer de mener son monde par le bout du nez, offrant le chaud avant de donner le froid et osciller ainsi jusqu’à tous les perdre, autant le prêteur usé, que son associé ou la petite boiteuse restée dans son coin. Une boiteuse qu’il dépeignait maintenant comme une « espionne », une « professionnelle », voire une séductrice ; un dernier point qui ne manqua pas de la faire rouler les yeux au ciel, et de lui tirer un petit soupir d’exaspération entre sa mâchoire crispée.

Sur elle, il n’y avait rien à manger. Le plus dalleux des cabots aurait peut-être trouvé une opportunité dans ce petit gabarit pour le forcer, mais les chiens saints d’esprit préféraient trouver un autre os à ronger. Avec sa fortune, l'usurier aurait trouvé bien mieux à tâter, surtout contre rémunération. L’argument de Tyree ne tenait pas la route. Goldstein le savait. Et le sous-entendu était gratuitement offensant.

Peut-être que ce fut pour cette raison que, poussé par son associé, l’ancien dresseur de chevaux décida de jouer franc-jeu : il était accoudé dans à la cheminée avec son cigare et son café quand il se laissa aller à quelques confidences sur son manque de fierté pour ses agissement pendant la guerre. Mais nul ne pouvait le juger. Surtout pas Isabella qui, non sans une certaine rancœur, baissa le museau. Elle ne savait pas quoi penser.

Dans le désert de Gila, elle n’aurait pris sa place pour rien au monde. Là-bas, il s’était trompé. Il avait perdu des hommes. Néanmoins, à aucun moment, elle n’avait trouvé à critiquer ses décisions ou son engagement. Tout ce qu’elle avait à lui reprocher, c’était de l’avoir arrêtée. Pourtant, sans lui et sa protection, les apaches l’auraient emportée. Elle n’aurait pas survécu à cette nuit givrée et on ne l’aurait probablement jamais retrouvée.

Elle était repartie dans ses souvenirs tombe au milieu de la pièce comme un morceau de plomb : Tyree avoua enfin qu’Isabella n’était pas impliquée dans la transaction et qu’elle était là par hasard. Il rappelant leur étonnement réciproque et, enfin, le prêteur sur gages crut à cette version.

Son mexicain d’associé parut soulagé qu’il ne s’agisse pas d’un énième artifice. L’homme semblait étrangement habitué aux frasques du blondinet. Et, quand son compère expliqua combien elle l’agaçait, elle cherchait sur ce visage qui lui semblait un peu plus familier que le reste une raison de s’inquiéter.

Elle la trouva bien vite. Et elle sentit son palpitant s’accélérer comme à chaque fois qu’elle commençait à se sentir physiquement en danger.

Le propriétaire des lieux s’insurgea pour le détour pris par ses client et le temps qu’il venait de lui faire perdre. Les airs supérieurs de l’ancien sergent confédéré avaient failli lui faire perdre pied et il détestait d’avoir à reprendre une conversation pour l’élaguer du superflu. Alors, tout en raideur et en crispation, il fixa les deux hommes tour à tour. Il offrit ce regard mi-comblé mi-déçu que l’on offre à un prestidigitateur qui vient de louper son tour et sans se démonter et en essayant d’en tirer profit. Au fond, il devait un peu l’admirer ; ou, du moins, accepter de le considérer de la même façon qu'un coyote croise un renard du désert sans chercher à le mordre.

Vous êtes fascinant, Monsieur Tyree, sincèrement fascinant, lâcha-t-il enfin. Qu'ai-je à voir avec cette affaire au final ? Il n'y a aucune preuve que j'y sois mêlé. Vous allez m'accuser de recel pour ces coffres ?

Là-dessus, Isabella, qui essayait de se faire oublier, le rejoignait.

Et la théorie que le vieillard présenta ensuite paraissait bien éloignée de la cible : non, Tyree et ses acolytes n’étaient pas de vulgaires bandits qui cherchaient à écouler de la marchandises comme la jeune femme l’avait aussi pensé. Pour épaissir le mystère, l’intriguant évoquait maintenant un tier, un autre homme, une énième partie qui avait manifestement bénéficié d’un précédent accord.

Si Goldstein, visiblement, comprenait, Isabella, elle, ne voulait même plus faire l’effort de suivre ce qu’il se disait.

Les hommes discutèrent alors d’un chef de bande, d’une mésentente entre les groupes impliqués, d’une trahison pour empocher un butin, d’une négociation avec un gouvernement et de demi-part qui resteraient inchangées, qu’il faudrait simplement verser à eux plutôt qu’à un autre.

Rien à dire, Tyree avait préparé son intervention et, à en voir l’œil aussi désabusé qu’intrigué du trader, il devait déjà savoir que l’ascendant lui revenait. Tout du moins, il avait su rondement amener sa proposition pour qu’elle soit correctement analysée et considéré par son interlocuteur clé. C’était bien joué. Légalement conforme bien que moralement douteux puisqu’ils parlaient de la récupération d’une prime qui dépouilleraient les Mexicains d’une jolie somme que, par élégance, ils n'avaient pas pris le risque de prononcer.

Toutefois, il faudrait un peu plus que cette sérénade pour convaincre Goldstein et ses clés. Le futé avait cerné avec quel animal il jouait et voulait davantage de garanties avant de se lancer. Une méfiance que les associés partageaient : d’autant plus que Chavez avait remarqué un homme de main sournoisement dissimulé dans le décor. Un nouvel atout que les pilleurs venaient de faire tomber et cette révélation les faisaient au moins autant exulter qu’un full house venant, au poker, battre un flush.

Décidément, que de rebondissements…

Sans véritablement prendre part à la conversation, tout ce ronflant de menaces sournoises, dont l’enchère ne s’arrêtait jamais, commençait à peser sur ses nerfs. Quand est-ce qu’elle se sortirait de ce bourbier ? n’arrêtait-elle pas de se demander.

Elle avait bien senti la tension monter d’un cran. Et c’était une trop belle journée pour servir de victime collatérale d’un deal qui viendrait probablement à mal tourner.

Encore déstabilisé, Goldstein finit par accepter de chasser son sbire. Il se dirigea vers l’entrée. Et, avant qu’elle n’ait songé à se faufiler à son tour par l’ouverture pour se sauver, Isabella se trouva à nouveau nez à nez avec Tyree.

Pour le prêteur à gage, voilà qui se préciser. On comprenait mieux ce qu’il lui voulait. Mais, pour elle, elle n’avait toujours pas la moindre idée.

Elle le voyait juste excédé, comme si elle n’agissait qu’en mauvaise pouliche incapable de comprendre les imperceptibles signes qu’il lui adressé. Quelque part, il ne se trompait pas.

Elle se tend comme la corde d’un arc apache quand il approche sa bouche de son oreille. Penché en avant, se tenant au lambris derrière elle, elle a l’impression d’être une enfançonne que l’on va rouster juste parce qu’elle a eu le malheur de contrarier. Et comme son père l’avait éduquée à prendre des trempes en silence et sans se rebeller, elle ne chercha même pas à échapper à cette emprise qu’il lui imposait.

Même quand ses joues hirsutes effleura l’arrête de sa mâchoire serrée, même quand son haleine effleura le lobe de son oreille, même quand les notes torréfiées et amère du café et du cigarillo tout juste fumé lui chatouilla le nez, elle tressaillit à peine, malgré son dégoût évident.

Querida, vous allez devoir faire un effort... s’offusqua l’homme. Vous allez m'aider parce que c'est le seul moyen que j'ai pour vous rendre vos foutus bourrins à cinquante dollars pièces... Qu'est-ce que vous en dites, Isa, vingt dollars par signature ?

La boiteuse ouvrir des yeux ronds en écartant enfin son visage pour le regarder et chercher à vérifier sa sincérité. Une tentative spontanée qui, elle l’avait bien deviné en observant le manège du sergent avec l’usurier, paraissait de toute façon vouée à l’échec. Alors, tout de suite, elle reprit sa place sans broncher, posant ses yeux perdus au fond des prunelles de Chavez qui n’avait pas entendu ce qu’ils se disaient.

Des… Des signatures ? répéta-t-elle, hébétée.

Elle avait l’impression d’être l’élève qui n’avait pas suffisamment révisé en arnaques à la prime détournée.

Co… Comment je dois faire, Xander ? finit-elle par demander avec résignation.

Qu’importe ce qu’il lui réclamerait, elle s’y plierait. Pas pour l’argent qu’il lui promettait ou parce qu’il semblait sincère en parlant d’une dette qu’il souhaitait rembourser pour des chevaux volés il y a des années. Juste parce qu’une part d’elle savait qu’elle le lui devait. Et parce qu'elle voulait en finir : comme tout le monde, elle comptait surtout sur le travail pour se nourrir.

La réponse serait sûrement brève : Goldstein et son sbire revenait. Le prêteur ne tarderait pas à se rasseoir à son bureau. Avec lui, un grand chauve tatoué de la tête au pied se mettrait dans un coin. Sa moustache finement entretenu toiserait les deux clients avec mépris mais il ne décocherait pas un seul mot sans que le propriétaire de l’échoppe ne lui ait spécifiquement demandé. Il avait un physique de barrique et, à la taille des paluches qui pendaient au bout de ses bras monstrueusement gonflés, personne n’aurait eu envie de frontalement s’y confronter. Du moins physiquement, il semblait rééquilibrer les forces de part et d’autre du bureau, par sa simple présence.

Très vite, Isabella se demanderait si elle avait choisi le camp qui gagnerait si les choses venaient à sévèrement déraper.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

Inscris le : 04/04/2024

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Dim 18 Aoû - 22:47
« - Des… Des signatures ? » Xander hocha la tête en signe d'approbation. « - Co… Comment je dois faire, Xander ? »

La réponse était presque inaudible. La jeune fille marqua un temps d’arrêt, les yeux arrondis de surprise Il fut presque étonné d'entendre sa semi-acceptation, presque spontanée. Son cœur avait bondi dans sa poitrine lorsqu'elle avait cessé d'utiliser le pointu 'Sergent Tyree' qu'elle affectait d'utiliser depuis son arrivée, pour l'appeler par son prénom.
Il entendait la respiration oppressée d’Isabella. Son souffle sentait le tabac de virginie, et vaguement celui à chiquer.
« - Vous aurez juste à signer les deux contrats que le señor Chavez et moi allons conclure avec le señor Goldstein. Une pour le prêt et une pour l'accord spécial, juste en tant que témoin, sans aucun risque pour vous... »

« - Encore des messes basses, Monsieur Tyree... » ricana le prêteur sur gages.

L'ancien officier confédéré se redressa puis se tourna vers Goldstein qui les rejoignait. Son acolyte... son acolyte-était-en-train-de-percher-ses-énormes-fesses-sur-le-coin-d'un-coffre-renforcé-de-ferrailles.

Xander accusa le coup. Il avait tressailli. Son teint hâlé pris une couleur cendrée autour des pommettes, puis la teinte envahit tout son visage. Il esquissa un pas en arrière.
Quelque chose ne cadrait pas. Mais alors pas du tout avec ce qui avait été annoncé. Pour la première fois depuis le début de l'entretien, il se sentit désorienté pendant quelques secondes.
L'homme était une montagne de muscle. C'était un gigantesque enfant de pute, un gorille de près de deux mètres de haut, chauve comme un urubu, une moustache à l'italienne ourlait sa lèvre supérieure, il avait de petits yeux en boutons de bottines luisant d'une fausse candeur, et une peau tannée par des années passées sous le soleil, et un râble épais, et des reins puissants, et des muscles sculptés pleins les membres, et des poings comme des battoirs...
Recevoir un coup de son assommoir devait rendre à peu près le même effet que de se prendre un piston de locomotive en pleine gueule...
Le corps était entièrement mataché de tatouages tribaux, des volutes bleus et rouges, provenant de quelques tribus de sauvages d'au-delà les océans...
L'oreille gauche semblait flétrie comme si quelque chose ou quelqu’un avait tenté de la mâchouiller
Et Xander se demanda un instant qui avait été assez fou pour aller planter ses dents sur l'oreille de ce mastodonte.
Le bureau semblait avoir rétréci en taille depuis qu'il y était entré...

Il se demanda quel mauvais diablotin s'était permis de leur jouer un tour pareil.
Pourquoi, pour une fois, ne pouvait-il bénéficier du petit maigrichon que lui avait promis Llano. Un gars sensé être petit et malingre, avec une figure d’oiseau tombé du nid, des yeux ronds et un menton fuyant, un nez charnu et des cheveux comme un duvet ébouriffé.
Il lança un regard interrogatif à son compagnon, mais celui-ci semblait tout aussi ébahi et désemparé que lui-même. Plusieurs fois de suite, Llano promena son cigarillo d’un bout à l'autre de sa bouche sous le rideau de poils des moustaches, puis secoua la tête de gauche à droite en signe d'incompréhension. C'était mauvais signe .

Xander se caressa longuement plusieurs fois le menton et la barbe entre ses doigts en pince. Il jeta un regard indécis en direction d'Isabella.
Elle avait les yeux baissés, mais sans savoir pourquoi, il s'imagina voir un léger sourire fugace errer sur ses lèvres...

Il n'était pas venu pour tailler la bavette à coup de poings, mais si Goldstein désirait que les choses viennent à virer à l'aigre, il ne souhaitait pas que la jeune estropiée se trouve prise dans une bagarre à cause de lui.

Wouter avait sans doute plusieurs vigiles à ses ordres, et celui devait probablement résider à demeure, sans que personne ne l'ait détecté...
Les yeux d'acier du trader pétillaient de malice derrière les lorgnons. La présence du tatoué avait eu son petit effet et il jubilait. Il releva le menton, superbe d’arrogance :
« - Vous êtres vraiment trop confiant ! Qu'est ce qui vous fait croire que nous allons conclure l'accord que vous désirez ? »

Xander respira profondément pour se détendre et se concentrer, vider son esprit et favoriser le calme. Pris quelques profondes inspirations profondes avant de commencer à parler.
« - Nous n'avions pas besoin de la présence de votre... petit ami. Nous sommes venu pour discuter, pas pour vous molester... »

Le visage grave, Xander regarda les deux hommes l’un après l’autre. Goldstein rassura :
« - Simple précaution. »

Xander retournait le problème dans sa tête. Sa main monta pour fourrager dans ses cheveux.  Goldstein ne leur faisait pas confiance. Prévisible. C'était dans l'ordre des choses. Lui-même ne faisait pas confiance au trader. Celui-ci était tapi comme une araignée dans sa toile, et ses longues pattes devaient déjà commencer à tisser les fils pour les piéger.
Il sut presque instantanément la réponse. Le petit-frère-tatoué était là pour faire barrage, donc le coffret était dans la maison, et le second anneau aussi probablement, peut-être même dans le bureau. Le petit maigrichon décrit devait toujours se trouver derrière la porte au rideau avec son shotgun. Wouter croyait en avoir trop dit et craignait qu'ils tentent de le voler. Il se trompait lourdement, le petit coffret n'avait aucune importance pour eux.

L’air était devenu lourd à respirer, vicié par les odeurs de fumée, celles du tabac et puis celles des lampes à pétroles. Il y avait cette lueur tremblante des lampes à huile qui distillait les ombres sur les visages.

Il s'humecta les lèvres, posa un doigt sur sa bouche en réfléchissant, puis agita le doigt vers le trader sans le regarder.
« - Pour le contrat de prêt, nous vous laissons la clé et l'anneau en gages. Ils ne nous servent à rien. Et cela vous permettra d'ouvrir le coffret en toute sécurité... Je pense que vous savez déjà comment procéder, nous n'avons pas à vous donner les instructions, n'est-ce-pas ? »

Wouter demeura bouche bée une seconde.
« - Vous... vous me donnez les clés ! Comme cela ! Vous savez ce qu'il y a dans le coffret ? »
« - Bien sûr. Il contient une carte... Et un dispositif inflammable destiné à détruire celle-ci si le couvercle venait à être forcé. C'est pour cela que vous n'avez pas encore tenté de l'ouvrir... » répondit sèchement Xander.

Il se tourna enfin simplement pour regarder le vieillard, examina les lieux d’un long regard scrutateur. Petit-frère-tatoué le regardait méchamment mais ça ne l'inquiétait nullement. Le géant ne bougerait pas tant que Wouter ne lui ferait pas signe.
« - Notre ami vous avait fait parvenir le coffret et le premier anneau. Et une lettre d'instruction... et maintenant en détenant toutes les clés, vous aurez accès à la carte. »

Goldstein avait ramassé de nouveau et examiné la clef sous toutes ses faces, comme un diamant précieux. Il regarda les autres, puis la jeune fille, à nouveau, faisant tourner la clef au bout de ses doigts, disant :
« - Pourquoi ne m'avez vous pas proposé de les acheter tout simplement ? »

Xander approuva du chef, échangea un rapide coup d’œil avec son compagnon, comme pour demander son approbation.
Goldstein cachait relativement bien l’excitation soudaine qui lui battait au cœur, mêlée aux suppositions et conjonctures les plus diverses, folles et enivrantes. Xander quand à lui, devinait vaguement l'excitation du trader, et savait déjà qu'il était prêt pour l'accord, ayant saisi le côté intéressant de la chose. Il avait juste pris l’air assez inquiet, et attentif, la figure tendue de n’importe quel quémandeur qui entrevoit enfin un espoir d'agrément.
« - Parce que je détiens d'autres cartes à jouer, et vous le savez déjà : nous avons décidé de vous laisser ces garanties pour que vous comprenez que nous sommes... disons... corrects avec vous. Si l'accord spécial venait à tomber à l'eau, je serai en dette du montant du prêt à votre égard. Et je ne le souhaite pas... »

« - Bien ! jeta Goldstein.» d’un ton de mauvaise humeur. « - Entendu pour le prêt... »

De la même voix atone, sans vibrations haineuses ou colériques, Goldstein décréta :
« - Alors vous savez déjà que la carte ne sert à rien... »
« - … si on ne connaît ni le point de départ ni le point d'arrivée ! » acheva Xander.

Goldstein, les lèvres pincées, demeura un moment sans rien dire, les regardant seulement. Un moment, le silence le plus complet fut dans le bureau.

« - VOUS les connaissez ! » C'était une simple affirmation. Aucune émotion ne résidait dans la voix du trader, ni colère, ni rancune. Il énonçait des faits d’une indéniable vérité. Xander savait qu'il était inutile de jouer maintenant, Goldstein aussi le savait. « - Comment les avez-vous obtenues ? Je  présume que vous les avez eu de la même manière dont vous vous êtes emparés des clés... »
Il avait le visage dur, le souffle rapide. Le vieillard l’observait impatiemment, le menton haut levé, yeux inquisiteurs derrière les lunettes cerclées d'acier luisantes. Ces yeux n'étaient que deux fentes venimeuses, accusatrices.

Xander haussa une épaule, gratta du pouce la barbe hérissée qui recouvrait ses joues.

« - Ne vous méprenez pas, Wouter. Nous avons été mêlé à cette affaire sans le savoir ni le vouloir...»

Llano fit une grimace, quitta sa place et poussa jusqu'à hauteur d'Isabella. Il s'adossa à une étagère, en tenant négligemment le cigarillo entre ses doigts, le verre dans la main gauche. Les cendres s’éparpillèrent sur le tapis. Le chicano échangea un regard circonspect avec Xander. Entre eux, il y avait depuis longtemps une sorte de complicité naïve, née du danger partagé.

Xander lança un bref regard au visage buriné de Llano, puis un second à Isabella, celle-ci baissait toujours la tête...
Chavez secoua la tête, résigné, souffla un rond de fumée. Il regardait Isabella, curieux, les yeux comme deux fentes sombres. Puis il se pencha vers elle :
« - -Hija mía… ¿Dime? ¿Qué otra historia se le ha ocurrido para arrastrarte a esto?... ¿Escuché la palabra caballos? ¿Qué es esta historia?... »
Traduction:


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Isabella Matamoros

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Mar 27 Aoû - 0:40
Elle l’avait appelé par son prénom exactement pour les mêmes raisons qu’elle avait eues, par le passé, quand elle avait choisi d’en appeler à cet individu. A l'individu seul. Sans l'enrobage. Sans les grades cousus à sa veste où la position très dirigiste qu'il avait instinctivement cultivé en entrant dans le commerce du prêteur.

Au moins, pour Isabella, la consigne qu'il venait de lui adresser en retour était on-ne-peut plus claire : se taire, ne pas s’opposer à l’accord et signer. Coûte que coûte, signer ce que lui et son latino d’acolyte venaient chercher. Chavez qu'il s’appelait.

Elle se doutait qu’il y aurait des contreparties mais, pour les deviner, il fallait écouter ce qu’il se disait. Parce que, dans la pièce, elle n’était pas la seule que ça intéressait. Heureusement, Goldstein était bien plus doué qu’elle pour mener l’interrogatoire.

Un entretien sur lequel l’homme d’affaire sembla prendre le dessus quelques secondes. Surtout quand les gros bras qui venaient d’être ramenés dans la pièces principales décidèrent de poser leur séant sur le coin d’un coffre. Pour une raison inconnue, Isabella sentit l’ancien sergent confédéré se crisper. La réponse viendrait plus tard : il y avait des explosifs là-dedans qui menaçaient d’exploser à tout moment. Une nouvelle que la catholique accueillerait par un discret signe de croix pour louer le seigneur de n’avoir pas donné au mécanisme une aussi légère sensibilité.

Du reste, la boiteuse écouta en silence, finissant par écraser le cigare sur le plancher de la botte qui habillait sa fausse jambe quand il vint lui brûler les doigts. Elle l’avait fumé plus vite que tout le monde exactement comme elle avait avalé son café presque tout rond : elle se libérait vite de ce qui l’entravait comme pour mieux se préparer à décamper.

Pourtant, les explications s’amassaient dans le bureau du trader. Surtout depuis que le gorille s’était ajouté autour de la table. De toute évidence, Tyree n’avait pas prévu de faire usage de la force. Il tirait son ascendance d’une préparation bien plus ancienne et étudiée en amont.

Contre le prêt, Goldstein aurait la clef d’un des coffres dont la provenance venait d’être révélée. Coffre qui contenait une carte. Une carte qui intéressait fortement le créancier puisqu’il vint à accepter de céder sur le prêt. Une carte dont il fallait, au préalable connaître les points de départ et ceux d’arrivée pour être correctement utilisée. Mais, tout ça, et Tyree et Goldstein le savaient. Et ce, même s’ils se regardaient en chien de fusil. Le prêteur sur gage semblait particulièrement irrité d’ignorer la façon dont le nouveau venu à Crimson Town avait pu s’emparer de pareilles informations. Pour lui, une évidence semblait se dessiner bien qu’il aurait été bien incapable de l’avouer : quelque part, il devait y avoir des morts cachés sous le tapis. Alors, Isabella, qui sentait la tension monter dans la pièce essaya d’arrêter de ne plus écouter. Elle ne voulait pas porter des secrets dont aurait pu inutilement la charger. Elle n’avait jamais été douée pour mentir et ne voulait pas être celle qu’on viendrait inutilement torturer si d’aventures d’autres viendraient. Car elle savait que, autour du miel, des nuées gravitaient irrémédiablement.

Un peu coupée de la conversation, elle se tenait toujours droite sur sa chaise, la tête un peu inclinée, le regard pensif. Comme le reste des hommes qui peuplaient l’étroit bureau encombré, elle paraissait prise dans les calculs. Des additions de dettes, de supposition, une analyse de risques peu poussée puisqu’elle n’avait que très peu d’éléments pour mesurer l’ampleur de ce qui se tramait et du rôle qu’elle aurait à jouer.

Elle arrivait simplement à s’accorder sur l’idée qu’on ne la prendrait pas à jouer contre Tyree et son équipe. Elle l’avait déjà vu à l’œuvre. Elle savait de quoi il était capable. Et, au fond, elle savait ce qu’elle lui devait, pour ce qu’il s’était passé dans le désert de Gila, il y a des années. C’était le genre de bougre qu’elle préférait servir que contre celui qu’elle aurait aimé lutter. De toute façon, ici, encadrée par ces dadais qui s’ajoutaient au fur et à mesure de la conversation, il ne fallait pas être un éminent scientifique pour comprendre qu’aucune chance ne lui serait laissée.

Avec un peu de chance, peut-être que lui et son ami se sentiraient redevables et que plus jamais ils ne viendraient la hanter.

Ou peut-être que, signer en tant que témoin pour ce prêt qu’ils demandaient revenait à signer un arrêt de mort qu’elle ne pouvait pas soupçonner ? Il fallait faire preuve d’un peu de lâcher prise pour ne pas se laisser convaincre par l’idée.

Ce fut le dénommé Chavez qui, finalement, la ramena à la réalité en lui demandant rapidement quelques informations sur son partenaire et elle. Doucement, Isabella déglutit, les yeux noirs se faisant fuyants en réalisant enfin qu’il n’y avait rien de prémédité dans leur rencontre. Sinon, son binôme n’aurait pas pris le risque de laisser un pareil détail le déstabiliser. Du moins, ça ne ressemblait pas à l’homme qu’elle avait eu l’impression de cerner.

Comme le muchacho à l’épaisse moustache la fixait toujours avec cette curiosité piquée, elle finit par murmurer tout bas, pour ne pas perturber la conversation qui était menée au premier plan :

Sí, se trataba de caballos…
(Oui, c’était une histoire de chevaux…).

Elle se râcla la gorge, avare de mots et paraissait pensive. Est-ce que ça porterait préjudice à l’ancien sergent si elle lui partageait la vérité ? En tout cas, elle n’allait pas se gêner :

Tomé el camino equivocado e hizo un premio de guerra. Olvidado. Está en el pasado.
(Je me suis trompée de route et il a fait une prise de guerre. C'est oublié. C'est du passé.)

Elle le détestait toujours un peu malgré tout. Principalement parce qu’elle n’avait jamais oublié l’horreur de la sensation qui l’avait parcourue quand elle avait compris qu’il l’avait cernée, qu’il l’avait compris et que, en dépit de toute forme d’humanité, il les avait tout de même traînés, son troupeau, son accompagnant et elle, sur une route qu’ils auraient pu s’épargner d’emprunter. Un chemin semé de honte, de cette certitude de revenir bredouille et, plus tard, de se faire traiter de menteuse, d’assassin puisque le vacher qui l’accompagnait n’avait pas eu le privilège d’échapper aux apaches qui avaient attaqués.

Depuis, l’eau avait coulé sous les ponts. Isabella n’avait plus d’exploitation. Elle travaillait désormais pour les autres. Et elle s’estimait chanceuse d’avoir trouvé malgré ses évidentes contraintes de mobilité. De là-haut, elle savait que Le Seigneur la protégeait.

Si elle avait été en colère de revoir la trogne de Tyree, elle savait qu’elle devait pardonner. Du moins, il fallait qu’elle se force pour réussir à ne pas perdre la face au moment où elle avancerait la main pour signer les deux contrats qu’il venait d’évoquer. Qu’importe les complications sous-jacentes qui devaient venir avec et qu’elle n’osait que peu soupçonner. Elle était assez bien placée pour savoir que, dans les forces en présence, elle ne pouvait pas prendre le risque de se dresser contre l’ancien confédéré. Il valait mieux être avec lui que contre lui.

Mais, en face, Goldstein ne l’avait pas encore expérimenté et il cherchait encore où se trouvait l’entourloupe dans l’offre qu’on lui tendait. Les deux mains plaquées sur le bureau, il continuait d’observer tour à tour tous les minois attroupés autours de son bureau d’ordinaire fort calme. Les effusions de colère où de tristesse, il savait contrer. Une expression froide, rigide et intraitable suffisait souvent à aller au bout de la négociation. Ici, la conversation le faisait plonger vers une magouille juteuse vers laquelle il avait peur de trop vite tomber. Il ne voulait pas être de ces guêpes qu’il est facile de piéger avec un peu de bière au fond d’un verre. Le prêteur se savait plus malin qu’un insecte écervelé et entêté par le gain. Sans lâcher son interlocuteur de ses yeux gris de serpent, il l’interrogea encore sur la provenance des éléments qu’il amenait sur la table pour acquérir le montant qui lui servirait à financer son projet d’acquisition terriennes.

Vous voulez me faire croire que vous vous êtes pointé la bouche en cœur et que vous n’avez eu qu’à ramasser en temps voulu ce que vous m’amenez ? grinça-t-il avec un air pincé.

Il détailla les coffres et à fit rouler une nouvelle fois la clef entre ses doigts comme s’il avait s’agit d’une pierre précieuse d’une grande pureté avant d’ajouter :

Vous ne voulez pas me raconter l’histoire une bonne fois pour toute, monsieur Tyree ? Au moins le temps que je rédige correctement le contrat.

D’un geste un peu sec, il demanda à la montagne de muscles de s’écarter du tiroir auquel il voulait accéder. Dedans, il préleva quelques feuilles de papier d’une épaisseur qui trahissait leur qualité. Et, sans qu’il n’ait rien à dire, le grand tatoué vint poser juste devant le petit monsieur qui réajustait ses lunette un énorme et imposant bijou mécanique d’un charme austère.

Sur le bureau en bois poli, la Hall Boston Index semblait flambant neuve. Tout juste sortie de l’atelier, elle brillait de mille feu. Ses surfaces métalliques capturaient et reflétaient la lumière comme une armure fraîchement forgée. Elle ne portait pas encore la moindre trace d’usure. Sur ce chef d’œuvre mécanique, chaque ligne, chaque angle était d’une netteté impeccable. Un véritable témoignage d’excellence.

Le métal, immaculé et lustré, paraissait froid au toucher, mais promettait une robustesse inébranlable. La finition en laiton poli des leviers et des rouages évoquait la délicatesse de l'artisan qui assemblait minutieusement chaque pièce, donnant à l’ensemble un éclat doré qui contrastait harmonieusement avec les touches noires et profondes du clavier.

Les touches, encore intactes et impeccablement alignées, attendaient avec une anticipation silencieuse l'arrivée des doigts de leur propriétaire. Elles étaient d'une douceur soyeuse, une invitation à la découverte du potentiel latent de cette machine neuve. En appuyant délicatement sur l'une d'elles, le mécanisme interne, un assemblage complexe de pignons et de ressorts parfaitement synchronisés, se mettait en mouvement avec une fluidité qui frôlait la perfection. Le son qui en résultait était un clic clair et précis, plein de promesses d’efficacité et de longévité.

Le levier, lui aussi flambant neuf, glissait avec une facilité déconcertante, sans le moindre grincement, ni résistance. Goldstein ne tarda pas à le lever après avoir glissé sans effort son papier dans la fente prévue à cet effet.

Un à un, les caractères commençaient à se graver avec une précision chirurgicale dans un fracas qui poncturerait le récit que l’homme d’affaire venait de réclamer.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

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Dim 8 Sep - 22:14
Xander avait entendu la réponse murmurée d'Isabella à Llano. Sur le coup, il fut reconnaissant à la chica de ne pas avoir utilisé de nouveau la rengaine concernant un prétendu vol de chevaux. Elle avait pris, en parlant, un petit air indifférent, celui de celle qui joue à la prude, comme si la question des chevaux n'avait jamais, jamais, oh grand jamais, eu grande importance pour elle. Il fut surpris de l'entendre dire que c'était un passé révolu, en contradiction formelle avec l'attitude mordante qu'elle avait eu, au début de l'entretien, quand elle avait asséné le 'Il a volé mes chevaux, il y a longtemps'. Ni du passé, ni oublié. Elle en souffrait encore. Et l'accusation lui arrachait les oreilles.

Fronçant le sourcil, Xander jeta un coup d’œil circonspect vers Llano. Il ne dit rien.

Le mexicain fuma la moitié de son cigarillo, les yeux dans le vague. L’extrémité rubescente de son cigare enflait et fondait régulièrement. Il avait l'air blasé de celui qui connaît parfaitement les défauts et les qualités de son acolyte. Puis il frotta deux fois, d'un doigt précis, le côté de son nez, signe convenu qu'ils utilisaient parfois en mission, et qui indiquait que tous deux allaient prochainement avoir une explication serrée.
Irrité, Xander lança un regard noir à Chavez, puis, aussitôt, il se détendit et sourit.

Le vieillard avait toujours des doutes. Il ne parvenait pas à accepter qu'on lui fasse accroire que les deux individus en face de lui avait pu obtenir les clés de manière fortuite et honnête. Il l'avait dit lui même : il ne croyait pas aux coïncidences. Cela Xander pouvait le comprendre. Si on lui avait servi la même histoire, même sur un plateau d'argent, il ne l'aurait pas cru un seul instant. Pourtant, c'était la stricte vérité.
L'homme n'avait pas cessé de le fixer, Xander commençait à trouver la situation tout à fait ridicule. L'irritation acheva de le décider. Il lui suffisait d'attendre le bon moment.
Une mauvaise lueur passait dans les yeux de Goldstein, mais il ne se départait pas de son rictus crispant.
« - Vous ne voulez pas me raconter l’histoire une bonne fois pour toute, monsieur Tyree ? Au moins le temps que je rédige correctement le contrat. »

Goldstein extirpa une liasse de feuillets d'un tiroir qu'il posa sur le recoin de son bureau. Petit-frère-tatoué déposa devant lui une machinerie flambant neuve. Un bijou de technologie moderne, rutilante, que le trader commença aussitôt à utiliser avec dextérité après y avoir introduit un feuillet. Le vieil homme déplaçait le pointeur d'une main vers le caractère souhaité, puis appuyait sur le curseur pour l'imprimer bruyamment sur le papier.

La machine fascinait Xander. Il se déplaça pour mieux observer l'usurier manipuler l'engin. D'un geste apaisant de la main, il interrompit le pas menaçant que fit le géant, les poings déjà serrés. Penché au-dessus de Wouter, les yeux rivés sur le mécanisme et les rouages bien huilés, il en eut vite assimilé le fonctionnement. La machine à écrire fonctionnait en choisissant les caractères à partir d'un index carré situé devant l'opérateur. Sous l'index se trouvait une plaque en caoutchouc sur laquelle étaient imprimés toutes les touches moulées. En dessous une plaque métallique percée d'un trou les masquait toutes sauf une. Lorsque Goldstein choisissait un symbole en déplaçant le pointeur, il se trouvait aligné avec le trou de la bande de métal. Le mécanisme d'impression se déplaçait le long du chariot jusqu'à l'emplacement où le caractère devait être imprimé, déplaçant automatiquement le mécanisme d'un espace après la gravure. Une cloche sonnait à la butée de marge droite. Le bruit infernal emplissait la pièce.

Tyree était ébahi par la rapidité d'exécution du vieillard. Celui-ci venait de marquer un point d'estime auprès de l'ancien confédéré. Jamais il ne l'aurait cru capable de posséder et encore moins d'user d'un appareil aussi sophistiqué.

Les nouvelles technologies le fascinaient depuis des années. On était au XIXème siècle que diable. Le siècle du progrès, le siècle de l’avenir et le siècle des utopies au futur plein de promesses, marqué d'évolutions considérables, du fait de l’accélération des communications et des découvertes scientifiques en rafale. Xander se voyait projeté vers un futur qui tendait à se rapprocher de lui à grande vitesse, un futur hautement technologique aux possibilités illimitées. Il avait adoré travailler dans la machinerie du vapeur pour payer son voyage de Memphis à la Nouvelle Orléans. Il se souvenait encore de l'exaltation ressentie lorsque son père l'avait emmené voir les locomotives fumantes de la Vicksburg Railroad dans la ville du même nom,. Et quand il demeurait à la Nouvelle-Orléans, il prenait de temps à autre sur son temps libre pour aller admirer les engins des deux compagnies ferroviaires louisianaises, la Pontchartrain et la West Feliciane. Cela avait été un crève-cœur pour lui de devoir couper les lignes télégraphiques pendant la guerre, et d'annihiler les manipulateurs et récepteurs de télégraphies nordistes qui avait eu le malheur de lui tomber entre les mains..

Il eut soudain conscience de quelque chose de différent autour de lui, et cette impression le ramena brutalement dans le présent. Le trader l'observait avec attention. Son curieux sourire était à nouveau présent au fond de ses petits yeux de rat.
« - J'aimerais connaître cette histoire ? » répétât-il.
« - Je vous la conterai dans le détail un jour. Un autre jour... » répondit le ranger.

Xander tergiversa puis lança d'une vois sèche, lasse et rapide :
« - Nous étions en mission d'escorte. Une simple putain de mission d'escorte. Toute simple. Aucun risque vu la cargaison. Et puis les plateados nous sont tombés dessus. Et puis ce fut Joaquin. Et puis... Et puis... »
Xander cherchait farouchement à se détendre ; à relâcher ses nerfs soudain noués qui tremblaient à fleur de peau. Llano intervint à son tour :
« Sangre. Nous aurions souhaité ce jour là qu'il n'y ait pas moins de quatre cent lieues entre eux et nous. C'était un jour de fou, on ne comprenait rien. Nada... Sobre la virgen, te lo juro, fue un día de tontos... ¡fue un día de tontos! ». Llano multiplia plusieurs signes de croix compulsifs. Son pouce courait nerveusement du front, à la poitrine et aux épaules.
Traduction:
Xander secoua la tête de nouveau. Il aimait bien écouter parler Chavez en anglais, son accent comme une chanson qui enroulait les phrases où, parfois, des expressions espagnoles venaient encore se perdre. Tous deux avaient faillir périr ce jour là, comme bien d'autres jours plus tard.

Après un soupir, un haussement d'épaule, et la conviction absolue qu'il fallait, dans l'heure, essayer d'éclaircir l'imbroglio avec l'usurier.
« - le Cajon del Diablo » dit-il.
Les lorgnons se haussèrent sur le front. Les rides se creusèrent, se multiplièrent. On voyait juste le visage glacé de Wouter, ses mâchoires contractées et ses yeux durs, attentifs.
« - le Cajon del Diablo ! Il les a déplacé là ? C’est immense... »
« - Il n'a déplacé que le contenu. Et c'est bien pour cela que vous avez besoin de la carte. Vous pourriez chercher des siècles sans jamais rien trouver. L'emplacement n'est pas signé d'une croix... »

Wouter écrasa soudain le cigare qui s’était consumé tout seul.
« - Hmmm... Très plausible ! Directement au nord du port de Guaymas. Facile d'accès ou de fuite en toute discrétion par les plages du golfe de Californie, mais à risque tout de même, on peut s'y faire surprendre... Et le point de départ... »
« - Bien moins que si la cache se trouvait au milieu de la Sierra Libre, les risques auraient été milles fois pires. Le point de départ se trouve quelque part entre le hameau de La Pintada et le ranch de la Zorra, à proximité de la piste qui relie Hermosillo à Guaymas. »
Wouter eut une moue rapide, il le regarda par-dessus ses lunettes, attendant une plus ample réponse :
« - Très plausible également... Vous ne voulez pas être plus précis. Je trouve la distance entre les deux endroits particulièrement grande...»
« - Allons Monsieur Goldstein, je ne suis pas stupide. Vous avez toutes les renseignements que je peux vous donner pour l'instant. Vous n'en aurez pas plus, il faudra nous faire confiance... »

Tyree le vit blêmir soudain, incapable de parler pendant quelques secondes. La surprise était tombée sur le vieil homme comme une masse. Puis la suspicion…
« - Si vous savez tout cela, c’est que Joaquin n’est plus de ce monde, n'est ce pas ? »

Xander posa ses mains sur le plateau et s’appuya dessus.
« - Ne vous méprenez pas, Wouter. Nous avons été mêlé à cette affaire sans le savoir ni le vouloir. La balle qui l'a frappé m'était destinée. La blessure était mortelle... »

Puis, à un certain moment, le confédéré soupira. Ce fut à peine perceptible, et personne, probablement, ne le remarqua. Il avait soupiré et dans sa tête, l’histoire se déroulait de nouveau. Chavez téta sur son cigare et dit, dans la fumée :
« - Habló toda la noche sin que se lo pidieran. Necesitaba hablar, nos lo confió todo, el convoy, el mapa, las llaves, su acuerdo... todo... hasta que se apagó el fuego. Hasta que el suyo se apagó... Luego se fue...»
Traduction:
Il répéta à voix basse, en anglais cette fois ci :
« - Puis il est parti... »

L'émotion mit une étrange raucité dans la voix de Wouter lorsqu’il déclara :
« - … je l'ai connu dans les années 56-57, ma période Walker en Basse-Californie. C'était déjà un jeune con. Il l'est resté... ». Le petit homme souriait… mais d’un drôle de sourire, aigre, amer. « - Je l'attendais à Guaymas comme convenu, il n'est jamais venu... »
Le vieillard avait presque l'air humain en prononçant ses mots. Xander tourna la tête en direction de Chavez et grogna : « - Il a tenté sa chance, il a échoué... »

Un instant, Goldstein resta assis derrière son bureau et sa machine, les doigts tambourinant le plateau, puis il se leva et boitilla vers une desserte, l'ouvrit et posa trois verres sur le bureau. Glissa un œil vers la jeune fille, barguigna un instant et en rajouta un quatrième.
Le vieil homme toussota nerveusement :
« - Avant de continuer, il y a un point que je souhaite éclaircir... »

Tout en parlant, il avait sortit de la crédence, puis débouché un flacon, une véritable sculpture de verre empli d'un liquide ambré, et avait empli les verres. Le parfum d'un bourbon de prix envahit la pièce. Il tendit un verre à Xander, puis au mexicain, puis le dernier à la jeune Matamoros. Regarda le sien, pinça les lèvres en un sourire ambigu :
« - Comment m'avez vous trouvé ? »

« - Nous n'avions que votre prénom : Wouter. Ce n'est pas un prénom courant ni au Mexique ni par ici. Nous avons écumé le port de Guaymas pour vous trouver.  Nous avons fini par découvrir votre nom complet sur le registre de l'hostellerie où vous étiez descendu : Wouter Goldstein - Los Angeles - California. Vous étiez déjà reparti par bateau. On a passé trop de temps à vous chercher. Cela nous a créé quelques problèmes avec notre hiérarchie pour notre retard...»
Une sorte de rapide sourire joua sur les lèvres sèches de Tyree :
« - Quand à Crimson ! C'est 'encore' une simple coïncidence. Le monde est petit, finalement. C'est le señor Chavez qui a vu votre plaque gravée en traînant en ville... Et nous voilà ! »

« - Et vous voilà ! » soupira Wouter d'un ton indifférent. « - Cela fait beaucoup de coïncidences, vous ne trouvez pas ? »
« - Je le sais, cela surprend beaucoup et pourtant, c’est la stricte vérité, monsieur Goldstein ! » acquiesça Xander. « - Croyez-moi ou non, je m'en fous.»

Le clair-obscur adoucissait le moindre geste, avec l’odeur d'une journée qui planait dans l’air ambiant sur les vagues de fumée résiduelles des cigares.
Xander déglutit deux ou trois fois, essayant du mieux qu'il pouvait de mater l'exaltation qui roulait en lui. Il savait déjà qu'il avait gagné. Le bastion Goldstein allait hisser son drapeau blanc.
« - Trois contrats, Monsieur Goldstein ? »

Déstabilisé, l'usurier eut une sorte de hoquet silencieux, il promena sur Xander un long regard ahuri.
« - Qu'est ce qui vous fait croire à votre succès, Monsieur Tyree ? »
« - Allons Monsieur Goldstein. Vous l'avez décidé depuis un moment déjà. Vous n'attendiez plus que je vous livre les informations que je vous ai donné à l'instant pour trancher. »
Un peu de silence passa.
« - Vous êtes un vieil homme diablement malin, et qui devine beaucoup. Vous avez l'habitude de souvent gagner. Quel est le secret de votre succès ? Les bonnes décisions que vous avez prises. Comment avez-vous fait pour les obtenir ? Grâce à l'expérience. Et comment acquiert-on de l'expérience ? En prenant de mauvaises décisions...». Il marqua une pause et, après avoir vidé d’un seul trait  le verre à moitié vide qu’il tenait encore à la main, il ajouta : « - Et bien je peux vous dire que pour moi c'est pareil. Et je vous garantis que des mauvaises décisions, j'en ai prise beaucoup...»
Il risqua un regard rapide vers la jeune fille, évitant de croiser les yeux noirs.

Le préteur sur gages demeura un moment sans bouger, les yeux braqués sur l'homme.  Puis hocha lentement la tête en soupirant. Xander vit le trader porter les doigts à son front. Il imaginait sans peine le mal de tête pointer derrière le crâne dégarni. Goldstein s’enferma dans un silence songeur. La conversation n’avait pas tourné à son idée et, présentement, il était à peu près hors de question qu'il vienne à lui demander plus de précisions. Il marqua un temps, les yeux sur son verre de bourbon, releva le front.

« - Trois contrats, Monsieur Tyree. C'est d'accord ! » répondit-il d'un ton impersonnel en retournant s'asseoir derrière la Hall Boston. Le fracas repris, cassant les oreilles.

Il garda le silence un moment. Puis au bout d'un moment, le courtier demanda :
« - Les noms sur les contrats ? »
Xander eut un geste vague de la main :
« - Le contrat de prêt, à mon nom uniquement, avec celui de mademoiselle Matamoros comme témoin... Si elle accepte toujours de signer...» répondit-il avec appréhension en risquant un nouveau coup d’œil vers la boiteuse. « - Le second pour les piastres, à mon nom et celui du señor Chavez, toujours avec Isabella Matamoros en tant que témoin. »
Goldstein ne répondit rien. Llano, à côté d'Isabella, gardait le silence le plus complet.
« - Pour le dernier, pour le change et la cession de nos part de prises, nous avons décidé de mettre nos possessions en commun en tant qu'associés : le mien,  Alexander Tyree, celui du señor Emiliano Chavez, de madame Leonora Denzel et... » Brève hésitation. « … et de monsieur...euh... John Nez.»
Goldstein avait écouté, hochant la tête de temps à autre. Après un temps, et avoir griffonné sur un bout de papier, le prêteur reprit, sur un ton amer et ricanant : « - Je présume que les autres associés, eux aussi, patientent dehors, n'est-ce pas, monsieur Tyree ? » Il laissa planer un morceau de silence au bout de ses paroles et dit enfin :
« - Faites les entrer, qu'on en finisse... »

Llano délaissa sa place aux cotés d'Isabella. Ses pas rapides martelèrent le plancher et il ouvrit la porte d’entrée en grand.


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Isabella Matamoros

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Ven 13 Sep - 0:29
Bien sûr qu’une part d’Isabella en voulait encore terriblement à l’ancien sergent confédéré. Cependant, elle avait la présence d’esprit de ne pas étaler l’affaire ici et maintenant devant cet associé qu’elle ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam. A quoi cela aurait-il servi de toute façon ? Tout ce qu’elle avait à perdre, elle l’avait perdu. Inutile de ressasser. Maintenant, elle le savait, elle devait se contenter d’avancer même si, parfois, un relent de rancœur la heurtait.

A l’instant, il n’y avait ni franche volonté de vengeance ni amertume chez la cavalière. De façon assez contradictoire, il émanait d’elle une profonde curiosité pour la scène qui se déroulait sous ses yeux tout en cherchant à l’étouffer sous un air de lassitude extrême. Une part d’elle avait hâte d’entendre le récit de Tyree et de son sbire. Et une autre aurait probablement préféré rapidement décarrer et oublier ce qu’il venait de se passer, pour ne plus jamais être à nouveau impliquée.

Pourtant, elle ne bougea pas d’un pouce pendant que les hommes expliquaient aussi posément que possible ce qu’il était arrivé, après avoir essayé d’échapper à cette longue et laborieuse justification. Tout était parti d’une mission. Les hommes avaient escorté une cargaison qui avait été attaquée par les plateados. Et puis les embrouilles s’étaient enchaînées. Visiblement, l’hispanique comme le ranger ne gardait pas un très bon souvenir de ce jour maudit.

Ils avaient atterri à un endroit appelé el Cajon del Diablo. Un endroit à la consonnance funeste. C’était tout ce qu’elle remarquait parce que, pour le reste de la géographie évoquée, Isabella fut vite dépassée. Enne n’aurait su situer ni Hermisillo, ni Guayamas sur une carte. Alors elle décrocha un peu du récit pour observer Goldstein et la machine qui sonnait comme une artillerie à chaque fois qu’il activait une touche. Pour la jeune femme, il y avait quelque chose d’assez hypnotique de voir tour à tout les caractères d’imprimerie heurter le ruban d’encre et le papier. Quand elle revint à elle, c’était que le tapotis sur les touches s’était suspendu. Un nouveau silence glissait dans la pièce. Très vite, elle comprit que Tyree venait à nouveau de menacer de se taire. Il réclamait la confiance du trader.

Une confiance mise à mal par la révélation suivante : celui qui leur avait donné l’emplacement des coffre était mort. Des dires des rangers, l’homme avait pris une balle qui ne lui était pas destiné. Ils n’y étaient pour rien dans sa disparition. Sinon, ils n’auraient pas pu recueillir son ultime témoignage. De sa position, la cavalière trouvait que ça se tenait. Au fond d’elle – et c’était probablement un mauvais préjugé, à bien y repenser –, elle ne pensait pas Tyree capable de torturer un homme pour en extraire toute les information sur les convoi attaqués, la carte perdue, les clés des coffre… Goldstein, lui, paraissait encore sceptique. Jusqu’à ce que, après une intense réflexion ponctués de longs regards accusateurs, il en se résolut à ne pas davantage questionner la vérité qui venait de lui être présentée.

Tout ce qui importait au prêteur su gage, c’était la façon dont les hommes l’avait retrouvé. Un peu de recherche dans les archives et un coup de chance, voilà ce qu’il leur avait fallu pour entrer dans ce bureau. Et tout ça, précisément quand elle en sortait.

Si Dieu avait le don de ficeler des grands projets, Isabella trouvait qu’il s’était bien compliqué la tâche pour l’étrange épreuve qu’il lui imposait.

La tension monta d’un nouveau cran quand Golstein parut franchement hésiter à accéder aux demandes, portant clairement formulées par les associés. Mais Tyree reprit la parole pour convaincre l’homme d’affaires avec des mots sciemment sélectionnés. Le sermon sur l’importance des mauvaises décisions pour rebondir sur les bonnes trouva un écho insoupçonné chez la boiteuse. Elle n’avait jamais encore vu les choses sous cet angle et trouvait la formulation astucieuse. Bien qu’elle se garderait bien de lui adresser le moindre compliment sur le sujet, elle ne put s’empêcher de le graver dans un coin de sa tête pour penser à relativiser la prochaine fois qu’elle craindrait de salement se tromper lorsqu’un choix cornélien se présenterait.

Maintenant, restait les contrats à signer. Ils seraient au nombre de trois. Un pour Tyree. Un pour les piastres. Et un pour le change et la cession des prises. En plus de Chavez assis aux côtés de l’estropiées deux noms vinrent s’ajouter : celui d’une femme, Leonora Denzel, et le patronyme d’un homme sur lequel le chef de la bande buta. John Nez, il s’appelait.

Avec l’autorisation du maître des lieux, le mexicain se levait pour les accueillir derrière le bureau. Isabella, qui en avait hâte de finir, ne décocha pas un mot pour les individus qui se ramenaient afin de procéder à la signature. De toute façon, sur sa machine à écrire et sous la fine surveillance de l’ancien confédéré, Goldstein s’était mis à frénétiquement taper pour rajouter les noms aux contrats qu’il avait largement préremplis.

Isabella ne put s’empêcher de dévisager de haut en bas les derniers arrivant. La dame vêtu d’une longue jupe retenue par une ceinture où étaient suspendus un tomahawk et un couteau. Avec la mexicaine, elle partageait son ton de peau hâlé et une allure un peu revêche. A peu de chose près, elles devaient avoir le même âge. C’est peut-être pour cela que la boiteuse fut surprise de trouver, accrochée à ses bras, une petite tête blonde paisiblement endormie.

A ses côtés, un apache se tenait. Isabella manqua un battement de cœur quand elle reconnut les traits du sauvage qui semblait apprivoisé. Elle n’en avait pas revu depuis ce lointain soir dans le désert de Gila alors, instinctivement, celle qui avait été hantée par trop de cauchemars mêlant des faces qui ressemblait à celle qu’il portait se crispa sur son siège. En plus d’un chapeau qu’il avait pris le soin d’ôter en entrant et d’un gilet de mailles bleues, lui aussi portait un tomahawk à la ceinture. Quoique le tomahawk fut simplement l’arme qu’elle vit en premier : dans son holster, il portait aussi un révolver.

Eux aussi détaillèrent la cavalière exactement comme Chavez l’avait fait dès qu’il était entré : tous deux se demandaient qui elle était et qu’est-ce qu’elle foutait ainsi dans un coin prostrée. Aussitôt, elle sentit le poids qui écrasait déjà sa poitrine encore plus l’asphyxier.

La Matamoros déglutit pour se donner du courage. D’une main tremblante et avec une calligraphie assez similaire à un enfant maîtrisant à peine la rédaction, elle s’apprêtait à signer tous les documents qu’on lui présenterait sans broncher. Pourvu qu’elle n’ait pas une énième fois à expliquer et que, après, Tyree estime que les dettes avaient été bel et bien réglées.

Impossible de savoir s’il lui règlerait l’agent qu’il lui avait promis. Ça n’avait plus d’importance. Elle espérait juste que les signatures qu’elle s’apprêtait à donner ne seraient pas des prétextes à être un jour poursuivie d’une façon ou d’une autre par des autorités ou d’autres malfrats encore moins bien attentionnés.

Goldstein tira une première feuille. Puis une seconde et une troisième. A travers les petites lunettes posées sur son nez, il relut les papiers dans un silence de mort. Pour séparer les pages, il se lécha le bout des doigts bruyamment, ce qui avait le don d’agacer la jeune femme qui le soupçonnait de prendre un malin plaisir à ainsi les torturer, faute d’avoir trouver une façon de proprement les éconduire. Enfin, le prêteur sur gage aligna les contrats sur son grand bureau et tendit un encrier et une plume aux détails argentés.

Chavez se leva pour approcher. Sans réfléchir, Isabella en fit de même. Son pied en bois grinçait différemment que les autres sur le plancher particulièrement usé devant la porte et devant les sièges qui faisaient face au grand bureau marqueté.

Messieurs, mesdames… Ici, ici et ici, je vous prie, précisa le gratte papier en tendant l’encrier à Tyree en premier.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

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Dim 22 Sep - 0:18
Le natif entra le premier, en se découvrant, embrassant le bureau d'un seul long regard curieux, puis il s'écarta et laissa entrer la femme.
La mestizo passa la porte à son tour. Elle berçait doucement le bébé, la blondinette joufflue, potelée de partout, pareil à un petit paquet de graisse vivante entre ses bras. Les petits doigts endormis remuaient doucement, continuant machinalement de tirailler la longue natte torsadée.

La femme marqua un temps d’arrêt, surprise par la présence de plus d'inconnus que prévu. La lumière douce mettait des ombres sur son visage hâlé par le soleil du désert. Elle adressa à Xander un long regard noir, glacé, inquisiteur. Xander supporta l’examen sans ciller. Il le lui renvoya, un défi au fond de l’œil. Il voyait la question peinte sur les traits de Leonora Denzel, et choisit de l'ignorer.
Bummer choisit de négliger le colosse – un garde-du-corps - et reporta son attention sur la jeune chicana. La toisant longuement, ses yeux glissant sur la silhouette frêle avant de se figer sur la jambe de bois. Elle garda le silence, relâcha sa respiration, exhalant comme un soupir. Puis Leo, sans dire un mot, serra l'enfant, l'embrassa sur le petit front, l'étreignant contre elle, couvant du regard sa petite et se remit à la bercer.

Goldstein avait à peine arqué un sourcil au dessus de ses lunettes en voyant entrer la jeune femme et le natif. En vieil aventurier, il avait certainement dû en voir bien d'autres. Seule la présence de l'enfant parut le consterner. Il salua d'un unique signe de tête les nouveaux arrivants.

Par contre, la réaction de petit-frère-tatoué alarma Xander.
Il tremblait, ouvrait et refermait la bouche spasmodiquement. D’un seul coup, les muscles de son visage se durcirent. Xander vit les veines saillir, sur son cou. Il bouillait sur place, littéralement. Ses yeux pâles fermés à demi lançaient de mauvaises lueurs et ses poings étaient serrés, les phalanges blanchies. Les veines de ses tempes saillaient et son teint, déjà chaud et hâlé au naturel, était devenu écarlate. Pendant quelques secondes, le géant fusilla l'apache du regard, sans rien dire, puis il soupira et croisa lentement les bras sur sa poitrine, pour occuper ses mains nerveuses.
Il était là et il regardait fixement Bichihlitso dressé devant la porte.
Celui-ci le regardait et la peau se plissait au coin de ses paupières. Un regard comme une crevasse taillée durement dans le masque impassible…
Xander sentit tout à coup peser l’étui de son colt navy contre sa hanche gauche. Et cela ne le rassurait pas.
Un picotement de mauvaise augure lui grimpa le long de l'échine. Du coin de l’œil, il regarda le chicano et fut heureux de constater que rien dans sa résolution n’avait changé. Il avait toujours l'air aussi calme. Isabella avait toujours les yeux baissés mais son teint avait viré au pâle et il eut l'impression qu'elle s'était ratatinée sur son siège.
*** Ah, zut, pensa Xander, j’ai encore fait une connerie.***
Il avait voulu pousser plus avant sans penser à anticiper et prévenir la jeune mexicaine de l'arrivée du jicarilla. Les mauvais souvenirs devaient encombrer la jolie tête brune. Une mèche rebelle aux reflets bleu nuit ondulait encore le long de la joue. Son attention fixée sur le plancher, elle semblait déprimée, abattue et en proie au doute.

L'apache s'était solidement fiché sur ses pieds, les bras croisés lui aussi, le dos contre la porte refermée. Llano ferma les yeux, le cigare retiré de ses lèvres.
L'embarras grandissait au milieu d‟un silence glacial. Tout à son ouvrage, le courtier semblait n'avoir rien remarqué, indifférent à ce qui se déroulait derrière lui. Ou il jouait l'indifférence. La lueur tremblante des lampes à huile faisait luire la peau tendue sur les os de son crâne, la faisant paraître presque transparente.

Puis l'expression du tatoué se modifia imperceptiblement, et il pris le parti d'afficher une sorte de mépris indifférent et d'hostilité résignée.

La fenêtre du fond derrière lui laissait fuser un pâle rai gris de lumière.
Alors que Goldstein achevait de taper les contrats, pendant un long moment, en silence, l'apache fixa le colosse  d'un air indifférent et tranquille, puis il remit son couvre-chef, enfonçant le chapeau bas sur les yeux. Ses cheveux nattés, séparés au milieu du crâne, retombaient sur ses oreilles comme deux ailes de corbeau.

La pièce se réchauffa d'un seul coup, lorsque le trader extirpa les feuillets de sa machine. Le trader parcourut rapidement sa prose, entreprit de séparer chacun des feuillets avec une lenteur calculée en se pourléchant le bout des doigts comme un chat à sa toilette et déposa soigneusement et avec précision en ligne chaque papier sur son bureau.

« - Messieurs, mesdames… Ici, ici et ici, je vous prie. » en poussant l'encrier en faïence polychrome orné de feuillages ouvragés et un porte-plume argenté vers Tyree.

Xander s'assit devant le bureau, changea de position sur sa chaise, étira ses jambes et saisit une des sacoches de selle. Il en sortit une liasse de documents qu'il déposa sur la table puis fit glisser vers Goldstein. Puis il rassembla l'ensemble des feuillets déposés sur le meuble marqueté par le trader. Il décocha un coup d’œil d'excuse à Llano et Isabella qui s'était approchés pour apposer leurs griffes et entreprit de vérifier chaque feuille. Il choisit d'oublier l'injure à demi-audible concernant sa filiation que siffla le chicano entre ses dents.

« - Un problème, Monsieur Tyree ? » s'enquit le courtier, d'un ton impersonnel. Il regarda la liasse de papiers, puis lui, et les autres spectateurs.

« - Simple vérification, Monsieur Goldstein. Comme vous, j'ai l'habitude de ne pas signer sans déchiffrer les petits caractères... » rétorqua t-il avant de tendre une main : « Il y a une liste des objets de valeurs cédés dans la pile, les autres documents sont du trésorier-payeur de notre compagnie au Mexique. Ils prouvent que ce que nous vous remettons ne provient pas de pillage, même si certains viendront le prétendre. Une grande partie du butin a pu être rendu à leurs légitimes propriétaires lorsque nous avons purgé du Sonora certaines bandes de hors-la loi mexicaines qui sévissaient la-bas. Le reste a été confisqué soit aux criminels soit à leurs victimes décédées ou non identifiées. Conformément aux usages, ce reste a été répartis à parts égales entre soldats. Les trois turquoises appartiennent à Madame Denzel en propre, elle a décidé de les mettre en commun... »

Le vieux grigou fouilla rapidement dans les papiers sur sa table marquetée et en ressortit ce qui ressemblait à une liste, puis il examina posément les autres documents.
Un nerf se mit à sauter sous l’œil du trader. Il avait pâli.
« - Vous serviez dans les troupes françaises au Mexique ? ... Des francs-tireurs, une unité semi-irrégulière ?... » interrogea-t-il, adoptant une expression grave, désapprobatrice. Il s’interrompit, l’expression légèrement confuse.

« - Oui. Chez les Diables Rouges... Los Diablos Colorados... Les contre-guérillas françaises... »

Goldstein fronça les sourcils. Il était soudain devenu plus fébrile. Nerveux, à présent. Il bouscula involontairement son verre et quelles gouttes d'alcool chutèrent sur le sous-main de cuir. Une lueur d’inquiétude luisait par dessus les lorgnons. Son visage s'était pétrifié, ses mâchoires crispées et ses yeux s'étaient de nouveau durcis. Son regard perçant se fixa dans les yeux délavés de l'ancien confédéré. « - Les diables rouges ?! »

Un sourire jovial tira lentement la barbe de Xander, comme quelqu’un qui vient de faire une bonne blague.
« - Z'inquiétez pas, Wouter. Ils ne sont au courant de rien ; nous avons établi un rapport circonstancié. Très circonstancié... Uniquement ce qui avait rapport à la mission et rien d'autre... » Xander laissa sa phrase en suspens, inachevée. Il ne vit pas Llano lever les yeux vers le plafond, secouant la tête.
« - Oh ! Je vois, et vous n'avez pas d'autres surprises à m'apprendre... sans trahir le secret militaire bien sûr ? » ironisa le trader. La lueur inquiète continuait à vibrer derrière les binocles.
Tyree repoussa cette question d’un geste de la tête.
« - Rien à craindre, je vous dis. Les diables rouges étaient déjà sur le départ quand nous avons quitté Hermosillo. D'ici quelques mois, les français auront évacué le Sonora, et d'ici la fin de l'année, il auront retiré leurs dernières troupes du Mexique.»

Xander réaligna les contrats sur le bureau. D’un geste il plaqua sa main sur les feuillets en attente, le petite croix du chapelet glissa et tinta sur la table. Le ranger poursuivit :
« - L'échéance du prêt est prévue au moment du versement du petit pactole complémentaire lorsque le contenu des coffres aura été récupéré. J'ai réfléchi à la chose suivante : la guerre civile au Mexique entre juaristes et impériaux va durer... hmm... encore au moins une bonne année ; deux au pire. Je vous communique les derniers renseignement dès qu'un vainqueur se dessine... Juarez sans doute, il a le soutien de l'Union et les troupes de Maximilien ne tiendront pas sans l'appui des  frenchies. Ça vous laisse largement le temps de négocier. Il faudra juste patienter ensuite le temps que les choses se tassent...»
L'usurier l’étudiait. Il eut un sourire forcé. Il ôta ses lunettes, se frotta les yeux et secoua la tête.
Tyree adressa une œillade à Chavez qui parvint à lui retourner un hochement de tête presque imperceptible.
Xander se leva, saisit la plume, et la tendit à l'apache: « - Bichihlitso ! »

« - Intéressant de voir que vous avez su domestiquer un de ces sauvage ? » lâcha Goldstein, curieux.
« - Pardon ? Qui ça ? » fit Tyree en adoptant une intonation de surprise.
Il se tut, jeta un coup d’œil à l'apache. Celui-ci écoutait mais faisait semblant de rien. De toute façon, il ne comprenait pratiquement rien lorsque l'on parlait en anglais ou en espagnol. Du moins, Xander le croyait. Avec le jicarilla, rien n'était vraiment sûr...
Le courtier ricana puis ajouta: « - Eh bien, votre indien, là ? »
« - Bichihlitso ! Vous faites erreur, il n'est ici que parce qu'il le veut bien... »
Il hocha la tête et s’humecta les lèvres avant d’ajouter : «- Comme vous ou moi, il ne reconnaît d’autre loi que sa volonté, d’autre maître que lui-même. C’est celui d’un homme accoutumé à ne plier devant aucun pouvoir arbitraire. Il est notre ami, mais si demain il décide que notre amitié lui est trop pesante, et qu'elle ne convient plus à ses intérêts, il n'hésitera probablement pas à nous tailler en pièces... » dit-il comme pour lui expliquer un peu la situation.
« - Vivre avec cet apache... c'est comme... euh... dormir dans une cage aux lions...»
Il avait prononcé ces mots avec une expression songeuse, comme s’il tentait de rassembler des souvenirs.
Ce n'était pas tout à fait vrai. Xander savait qu'il ne risquait rien avec l'indien. Tous quatre avaient perdus leurs familles et avaient finit par décider de s'en créer une nouvelle. Ils s'étaient mutuellement choisi. Le petit groupe hétérogène était devenu leur foyer même si aucun lien du sang ne les liaient.

L'indien dessina méticuleusement sa marque sur le feuillet et sa copie aux endroits désignés par le ranger. Quatre points ronds souligné d'une flèche, puis il reprit sa place près de l'entrée. Xander savait que l'apache détestait se trouver entre les quatre murs d'une pièce fermée. Il s'y sentait mal. S'il y demeurait c'était uniquement pour pouvoir veiller à la sécurité de Bummer et de la petite. Mais il restait un apache. Un apache sans plus aucune attache familiale, sans clan et sans tribu. Un fauve humain tout de même, d'une soumission apparente démentie par ses yeux. C'était un nomade, il était né cavalier, d'une race endurante, rusée et passionnée, indomptable à la fatigue et à la souffrance. La fatigue n'avait pas de prise sur lui, ni la pitié. Et Xander n'ignorait pas qu'un jour ou l'autre, leur ami pouvait décider de partir...

« - A toi, Leo ! » Bummer avança, le chapeau sur les épaules. Elle fut devant lui, et lui colla avec précaution sa mioche entre les bras.
Xander prit la mouflette, à peine gêné par ce léger fardeau. Alors tout s'effaça autour de lui comme à chaque fois qu'il la tenait de cette façon contre lui ; et il resta les yeux fixés sur la petite figure rose assoupie. Il la considérait avec une attention réfléchie, et petit à petit, il sentit la chaleur du petit corps, à travers les langes et la mince couverture indienne blanche qui l'enveloppait, le pénétrer comme une caresse très légère, très douce. La petite vagit légèrement, tendit ses petits doigts, et il glissa doucement dans la fragile petite paume le mouchoir de dentelle qui portait ces initiales.

La métisse s'assit, saisit la plume en la tenant gauchement. Elle ne savait ni lire ni écrire et ne savait qu'avec peine signer son nom complet. Les petits yeux d'aciers fureteurs du trader s’étaient fixés sur Leonora. La plume commença à crisser maladroitement sur le papier. Entre les lèvres de la jeune femme concentrée, penchée sur le papier, saillait un bout de langue rose. Ce fut le moment que choisit le trader pour lâcher la question qui devait lui brûler les lèvres.
« - Madame Tyree, je présume ! » s'enquit Goldstein.

Bummer cessa d‟écrire, baissa le menton et le dévisagea par en-dessous, son visage hâlé et lisse, au menton arrondi, creusé d’un froncement de sourcils. Ses iris brun foncé se rivèrent dans les yeux à l' éclat métallique du barbon. Puis toute froideur quitta les yeux de Leonora, pour laisser place au mépris, et le pli de la bouche était là pour appuyer, comme une reine offensée : « - Donnerwetter ! Sicherlich nicht!  »
Traduction:
Wouter s'étonna : « - Sprechen Sie Deutsch? »
« - Ja! Ich bin... Mein Vater war ein Emigrant aus Deutschland. Er stammte ursprünglich aus Württemberg... » Elle acheva en anglais : « Hombre ! Moi, je suis née au Texas, ma mère était une métisse moitié espagnol moitié navajo. »
Traduction:
Wouter semblait près à continuer la conversation dans la langue de Goethe, mais deux yeux de braise, presque farouche le contraignirent à s'en priver.
La jeune mère s'était relevée après avoir achevé de signer, les caractères malhabiles s'allongeait sur la page ; elle reprit sa fille avec tendresse, une tendresse singulière et avide, et l‟emporta. Elle se positionna près de l'apache. Xander s'attendait à les voir sortir tous deux, mais il était visible que la femme était décidée à rester.

Llano semblait impatient. Il se racla la gorge, repoussa son chapeau en arrière, et il signa prestement. Ils se dévisagèrent. Le mexicain tendit la plume métallique argentée.
Ce fut enfin le tour de Xander qui trempa la pointe de métal taillée en bec dans l'encrier pour la recharger en encre, et il consigna rapidement son paraphe sur chaque contrats, traçant les lettres nettement.

La jeune californienne patientait. Xander se tourna vers elle, tendant le porte-plume, les doigts tâchés de noir.
« - Señorita Matamoros ! Isabella... Êtes vous toujours d'accord pour signer ?... » demanda-t-il avec appréhension. Il lui décocha un coup d’œil, ne sachant pas toujours pas quelle était sa position vis-à-vis de sa proposition.

« - Mais c'est quoi celle-là ? D'où elle sort ? »

La plume resta immobile.
Xander sentit sa mâchoire se contracter. L’interruption coupait le fil de ce qu'il s’apprêtait à dire à Isabella. Et, selon les critères de jugement des navajos que la mère de Leonora lui avait enseigné et qu'elle prétendait s’efforcer d'appliquer, une telle interruption était impolie. Bummer l'avait donc faite délibérément. On laisse finir celui qui parle, après quoi on attend pour s’assurer qu’il a effectivement fini, avant de parler soi-même.

La question semblait amuser Wouter. Il eut un petit rire triomphant. « - Mademoiselle Matamoros prétend que monsieur Tyree lui a volé ses chevaux. Ils semblent se connaître depuis très très longtemps...»
Apparemment satisfait de la réaction de ses invités, il marqua une pause et, après avoir vidé d’un seul trait le verre à moitié vide qu’il tenait à la main, les examina longuement, l’un après l’autre d'un regard appuyé, il répétât : « - Des chevaux volés... »

Xander était debout, les bras ballant le long du corps, le stylo au bout des doigts. La parole et le sourire coupés soudain par les regards des autres posés sur lui. Des regards s’échangèrent entre l’un et l’autre tout d’abord, puis convergèrent sur sa personne. Il croisa les bras. Il grogna : « - C'était une réquisition militaire ! »
Tyree haussa les épaules. Mais ce haussement d’épaules ne fut pas suffisant. Bummer le fixait du regard, narquoise. La jeune femme, se trouvait là, à côté, la tête penchée sur l’épaule dans une attitude pleine de moquerie. Xander sut instantanément que « Femme-qui-se-moque » était de retour. Ses prunelles jubilaient. Jusqu'à maintenant, la voleuse de chevaux dans la fratrie, c'était elle.

« - Oooh, je vois. 'Le voleur de chevaux malgré lui' ! »
L’œil de Bummer brilla davantage : « -… à l’insu de son plein gré sans doute... »

Il savait l’inutilité d’autres paroles. Il n’en prononça point… Il pouvait encaisser. Il se répétait qu'il n'avait pas beaucoup de chance sur ce coup bas, et cela faisait un peu mal. Mieux valait garder ses réflexions pour lui...

Tyree releva la tête et regarda bien en face la jeune boiteuse. Il hésita quelques secondes, la lèvre frémissante, essayant de retrouver ce qu'il avait voulu lui dire, et qui s'était enfui, mais ne retrouvant pas à son gré, il se contenta de déclarer, en lui tendant la plume en l'air :
« - Vingts dollars par signature, Isabella. » Il ajouta, après réflexion : « - Vous savez ce que je vous ai promis. La chose, une fois accordée et réglée, je pourrai commencer à tenir cette promesse. »

Foncièrement, quoi qu’elle puisse dire, Xander Tyree pouvait comprendre que c’était parce qu’elle n’avait pas confiance en lui qu’elle risquait de refuser.


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Isabella Matamoros

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Ven 27 Sep - 0:08
Depuis que le bébé était entré, dans le bureau du vieux Goldstein, plus personne ne pensait à s’étriper, il semblerait. Les gros bras tatoués restaient croisés. Le moustachu finissait son cigare avec un contentement évident. L’apache et la mère de l’enfant se joignaient à la danse avec l’assurance que celui qui se présentait comme le chef de la meute avait suffisamment préparé le terrain pour qu’il n’y ait pas de pépin. Assis derrière son bureau, les petites carreaux posés strictement sur le bout de son nez, l’usurier continuer de tapoter sur son énorme machine. A chaque fois qu’il appuyait sur une touche, Isabella avait l’impression de sentir une palpitation dans ses doigts. A chaque fois qu’une barre de lettre frappait le papier, ses dents grinçait. Elle se sentait de trop dans cette pièce. Comme si jamais elle n’aurait dû s’y trouver.

Elle ne savait pas d’où venait cette sensation désagréable. Ou plutôt, si, elle le savait exactement. Parce qu’elle écoutait les conversations plus elle comprenait les interactions des uns avec les autres.

Il y avait Tyree, qui lisait les contrats, qui parlait le plus de langue et qui veillait sur le lot. Un ancien Diable Rouge, membre de la contre-guérillas française, après avoir été sergent chez les uniformes gris. Un parcours hautement militaires qui avaient dû rallier à sa cause le mexicain qui avait la même façon de décocher assez peu de paroles et aller à l’essentiel.

Il y avait aussi l’apache. Bichihlisto de son nom. Un sauvage qui, à défaut d’être domestiqué comme Goldstein le suggérait, suivait librement le groupe par envie comme le fond parfois les biches derrière les chevaux lorsqu’un troupeau quittait une pâture pour une autre. Sauf que la biche pouvait prendre des airs de loups. La cavalière croyait assez le chez de meute quand il énonçait que le sauvage pouvait décider de les « tailler en pièces ».

Et puis, il y avait « Leo » - c’était comme ça qu’on l’avait appelée-, la seule femme du groupe, la mère de l’enfant. Elle n’avait pas besoin d’ouvrir la bouche pour qu’on ne se doute de son caractère bien trempé. Au milieu de ces hommes, elle n’aurait pas tenu sans avoir un peu de poigne. La question qui brûlait les lèvres d’Isabella fut posée par le trader : non, la jolie métisse n’était pas la compagne du blondinet. Enfin… Ce fut ce que la boiteuse supposa en se basant sur l’intonation utilisée puisqu’elle se mit à parler allemand. La faute d’un père germanique. La mère, elle était à moitié espagnole et à moitié navajo. Un mélange qui n’avait rien de déplaisant à regarder, vaillante comme elle semblait l’être.

Au milieux d’eux, il y avait cet enfant, ce tout petit bébé, qui passait de bras en bras, frétillant et balbutiant doucement. Il avait à peine gigoté ou entrouvert les paupières quand Xander l’avait pris dans ses bras. Quelque chose céda dans le cœur d’Isabella quand elle vit les grandes mains soutenir ce petit corps fragile rassuré par la chaleur qui émanait de la peau sous la chemise. Une force tranquille qui veillait sur une petite flamme. Le bébé décocha un petit sourire un peu mâché, bercé par la paix de cette étreinte.

L’un après l’autre, ils s’étaient levés pour signer. Et, soudain, elle sut pourquoi elle sentait un poids peser sur ses épaules et sur son ventre.

Ensemble, l’ancien confédéré, le mexicain, l’apache, la mère et l’enfant formaient une sorte de famille hétéroclite. Une touchante famille réunie probablement par des circonstances qu’elle adoré connaître et se voir conter. Des individualités qui avaient choisies de s’associer pour affronter l’Ouest et, au vu de la somme qu’ils récoltaient, s’en sortaient bien mieux qu’une éclopée chassée de ses terres à coup de revolver de son domaine. Une part d’elle les enviait terriblement. Pas uniquement parce qu’ils venaient magouiller avec l’argent qui appartenait à un pays dont la culture l’avait toujours bercée : surtout parce qu’ils avaient ensemble qu’elle que chose qu’elle avait perdu et qui terriblement lui manquait. Depuis que Sebastian avait été assassiné, il n’y avait plus personne pour veiller sur le pas de la porte pendant qu’elle négociait. Il n’y avait d’ailleurs personne pour négocier à sa place. En fait, elle n’avait même rien à négocier.

La perte du matériel, elle l’avait assez facilement accepté. La solitude, l’isolement, la vacuité d’une existence où aucun lien ne restait et où personne ne s’attardait à ses côtés, ça... Ça avait le don de la blesser.

Avec regrets et douleur, Isabella réalisa combien elle rêvait d’atteindre quelque chose de similaire. Faire partie d’un groupe. Trouver sa place dans un troupeau comme un cheval malade solitaire après une longue cavalcade d’errance. Parce que, sinon, elle le savait, elle mourrait seule dans le désert. Et cette pensée chassa toute la colère qu’elle avait pu éprouver. A la place, une douloureuse nostalgie vint emplir sa poitrine. Même si elle avait ardemment essayé de se faire à l’idée qu’elle pouvait avancer en solitaire, cette vision de ce qui ressemblait à une jolie cohésion lui rappelait qu’elle se sentait juste triste, lasse et fatiguée de son côté.

Trop concentrée dans l’étude du groupe et le trouble qu’elle semait, Isabella n’écouta pas l’accord sur les échéances des prêts et les conditions que Tyree rajoutait. Perdue dans ses pensées et dans la contemplation un brin méditatif du tout petit, elle sursauta presque quand on l’appela pour signer. Soudainement extraite de sa rêverie, elle se leva à son tour pour signer.

Leo s’interrogea sur ce qu’elle faisait là. Goldstein expliqua ce qu’il en avait compris. L’ancien sergent se planqua sous l’excuse militaire, bientôt raillée par la malicieuse métisse pleine de moquerie. La boiteuse essaya de sourire mais l’expression qu’elle produisit ne ressembla qu’à une étrange grimace pétrie d’un évident malaise.  Elle feignit de se concentrer sur la signature qu’elle avait à faire pour éviter de croiser les yeux clairs du chef d’orchestre qui la dévisageait. D’une main hasardeuse, elle prit la plume, la trempa dans l’encrier et signa d’une écriture rendue tremblante par son niveau de lettrisme approximatif.

Gardez vos promesses, m’sieur Tyree, fit-elle en griffonnant.

Un à un, elle se pencha sur les différents contrats. Et, une fois terminé, elle posa la plume à sa place, sur le service en argent. En décochant enfin un regard sur le côté, elle essaya de justifier en souriant :

Je vous dois aussi beaucoup pour ce qu’il s’est passé, là-bas, dit-elle en évoquant bien évidemment le désert de Gila. De toute façon, tout ça c’est de l’histoire ancienne. Il n’y a plus de chevaux, il n’y a plus de relais, vous avez fait ce que vous étiez obligé de faire... Alors considérez simplement qu’on est quittes, s’il vous plait.

Le coup de colère était définitivement passé et Isabella se faisait violence parce que pardonner faisait partie de ses précieuses valeurs catholique. Un pardon devenu plus facile depuis qu’elle comprenait vers quoi le futé ranger tendait. Ou, du moins, ce qu’elle s’imaginait de lui, maintenant qu’elle le voyait parmi les siens.

Alors oui, elle n’aurait pas craché sur un billet et, oui, c’était généreux de la part de ce drôle de geôlier, mais elle avait le cœur trop lourd pour rester. Le temps dont ils parlaient l’un et l’autre était mort et révolu. Et on ne vient pas payer ses dettes avec les bijoux des morts.

J’espère que ça ne sera pas d’autres ennuis et que je n’aurais pas à le regretter, finit-elle par souffler tout bas, à l’intention seule de Xander.

Foncièrement, elle n’avait pas confiance en lui parce qu’elle n’avait pas la prétention de se croire plus intelligente. Les gens intelligents ont ça d’inquiétant : ils se montrent vite retors et fourbe quand ils ont le malheur d’être dans l’autre camp.

L'appréhension ne la quitterait pas parce qu'elle n'avait clairement pas compris tous les détails que l'ancien diable rouge avait détaillé avec l'usurier. Au fond, peut-être qu'elle n'avait pas besoin de retenir toutes les informations échangées pour vivre un peu en paix.

Tout est bon pour vous, m’sieur Goldstein ? Je peux vous laisser là ?

Revenue dans les bras de sa mère, la petite s’était réveillée. Isabella ne l’avait pas senti tout de suite, mais la minuscule petite menotte s’était agrippée au lacet qui retenait le sombrero sur ses épaules de la mexicaine. Écarquillant des yeux ronds, la boiteuse se retourna finalement pour décrocher les petits doigts diaphanes du lien en cuir avec une infinie douceur. Par tendre réflexe, elle décocha un grand et pur sourire à la toute petite avant de croiser avec appréhension les yeux noirs maternels.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

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Sam 19 Oct - 23:13
« - Gardez vos promesses, m’sieur Tyree. » avait dit la jeune Matamoros. Monsieur Tyree ? Ce n'était déjà plus Xander.
Il lui jeta un regard, légèrement surpris par le ton qu’elle avait employé. Un ton plus grave. L'ombre de sourire qu'il avait cru lui-même saisir auparavant avait un petit côté triste.
« - Je vous dois aussi beaucoup pour ce qu’il s’est passé, là-bas. De toute façon, tout ça c’est de l’histoire ancienne. Il n’y a plus de chevaux, il n’y a plus de relais, vous avez fait ce que vous étiez obligé de faire... Alors considérez simplement qu’on est quitte, s’il vous plaît. »
Il y eut un nouveau silence prolongé tandis qu'elle achevait de griffonner de façon maladroite. Il n'y avait plus de relais ??
« - J’espère que ça ne sera pas d’autres ennuis et que je n’aurais pas à le regretter. » murmura-t-elle. Il s'apprêta à dire quelque chose mais s’arrêta. Non, malheureusement, il ne pouvait pas le lui garantir. Il y avait simplement peu de chance que Wouter Goldstein fasse capoter l'affaire vu l'enjeu qui se cachait derrière, et il pressentait sans peine que leurs autres partenaires auraient le même souci. Non, Isabella, rien à craindre de ce côté là. Il l'espérait. Il en était sûr.

Dès que la jeune mexicaine eut apposé sa griffe, Goldstein ne perdit pas de temps pour s'emparer des contrats et examiner les signatures. Le trader était si nerveux que les muscles de sa joue tressaillaient.

Dès qu'il l'avait reconnu dans ce bureau, flottant dans ses vêtements râpés, ses maigres poignets sortant des manches, il avait songé qu'il voulait - avec toutes les meilleures intentions du monde – aider à porter le fardeau de la jeune femme ou trouver une solution pour la secourir. C'est pour cela que l'ancien confédéré  lui avait imposé de rester, se sentant en partie coupable du sort de la californienne. Mais depuis il avait deviné que l’épreuve devait, quelle qu’elle puisse être, surmontée par Isabella. Qu'il veuille l'aider ou la soutenir, il ne pourrait jamais le faire pour elle, et il ne pourrait jamais prendre sa place.
Au final, Xander réalisait que seule Isa était en capacité de se sortir par elle-même de ce qui la touchait.
Il avait pensé à toutes ses propres adversités passées... C'était lui qui avez dû les dominer, leur donner du sens, supporter diverses émotions, diverses souffrances, diverses peurs, surmonter le découragement,... Et au final, lorsqu'il avait mené ces combats, il en était sorti plus fort. Parfois, avec le recul, une fois les épreuves terminées, il lui était arrivé de penser qu'au fond... « ce n'avait pas été si dur que ça... » ou «  qu'il avait eu de la chance. »
Ce qui l'avait formé, rendu plus fort, c'était le travail qu'il avait dû fournir pour vaincre. Tous ici avaient des plaies de la vie et chacune de ces plaies témoignaient qu'ils avaient eut à gagner plusieurs batailles.
Il pressentait que la jeune Matamoros était de la même trempe. Elle avait cette force morale naturellement ancrée en elle, et cette force venait de ces convictions...

Au mieux, il pouvait l'encourager, la motiver, la soutenir ou lui offrir sa présence... si elle le souhaitait ou si elle l'acceptait. Elle avait déjà appris que la survie exigeait de se défier de la plus grande partie de l’ensemble de ses congénères. Xander avait vite compris qu'à ces yeux, il faisait partie de cette communauté à éviter. Il se demanda si elle voyait toujours en lui l'ancien ennemi vêtu de gris. L'ennemi détesté du désert de Gila...
Au pire, il pouvait toujours patienter, et si elle ne voulait pas du petit troupeau de chevaux promis, pour l'instant, il pourrait toujours lui conserver celui-ci dans un coin de ces terres...

« -Tout est bon pour vous, m’sieur Goldstein ? Je peux vous laisser là ? »

Nan ! Son monde regorgeait de choses à découvrir et elle avait repéré un nouveau jouet - un lacet qui oscillait à portée - une tentation pour l'animal-chose  mouvant et malhabile, reliée à elle, qu'elle apprenait à domestiquer pour happer les objets suspendus qu'on agitait devant elle. Nan ! Dee-Dee n'était pas d'accord pour le laisser lui échapper ; la menotte s'empara du hochet.

Penché sur la petite main, Isabella avait doucement desserré les petits doigts du cordon. Le sourire dédié à l'enfant avait éclaté brusquement, inondant son visage d’une immense clarté.
Les sourcils de Leonora avait fait un bond. Un pli dur lui barra le front. Une rougeur empourprait la peau parfaitement unie, au ton hâlé.
Xander regarda la pillarde avec anxiété, prêt à intervenir, ignorant l’usurier qui le regardait sous ses lunettes dorées avec une intensité profonde.
Le mexicain, la bouche entrouverte, en oubliait de téter son cigare.

Il y a des mamans qui sont heureuses de partager leur bébé avec le reste du monde. D’autres mères sont bien plus protectrices. Et Leo étaient de celles-là. Pour elle, par pur instinct de protection, tous les passants étaient louches et elle ne leur accordait jamais le droit d’approcher du bébé par peur que quelqu’un manque de délicatesse. Quoi qu'il en soit, Bummer grognait à l’idée même que quelqu’un tripote sa petite sans sa permission.
Il se souvenait de la toute première fois, ce mineur malpropre tout juste sorti de son trou – l'homme ne pensait pas à mal, il aimait les enfants – qui avait osé cajoler avec douceur de ses doigts crasseux la joue du bébé assoupi dans le berceau. La métisse avait littéralement explosé au visage du chercheur d'argent. Il avait fallu la calmer à grand peine, lui retirer la lame des mains, elle voulait lui couper les doigts.

Bummer était le plus souvent d'une humeur égale, d'un calme olympien, et son calme était bien souvent plus déstabilisant que sa colère. Son sourire, quand elle daignait sourire, désarmait plus que son visage froncé. Ces colères étaient souvent froides, calmes, raisonnables. En général. Sauf quand il s'agissait de Dee-dee. C'était une guerre à mort entre elle et celui ou celle qui touchait sans autorisation à sa mioche. C'était quand elle était dans ce type de fureur qu'elle devenait dangereuse. Xander sut instantanément que le visage froncé qu'il voyait sur les traits durcis était le vent annonçant la tempête.

La tempête ne vint pas. Les petits doigts s'étaient enroulés autour d'un doigt de la mexicaine.
Bummer regardait sa fille et voyait les deux petites billes bleues rivées sur l'inconnue, semblant se passionner pour le nouveau visage. La petite étira un sourire timide, puis l'élargit, souriant aux anges, plus charmeuse que jamais. Sa mimique répondait au doux sourire d'Isa. Dee-dee offrait sa première vrai risette à une étrangère, découvrant ces petites gencives roses édentées.
Le temps se suspendit pour de trop longues secondes…

L'allemande songeuse, passait la langue devant puis derrière ses dents du haut et du bas, balayait l'intérieur de la joue. Puis elle la passa doucement sur ses lèvres, la bouche légèrement entrouverte et arrondie. Les meilleures dents sont celles qui retiennent la langue dit un proverbe. Et un autre qu'il faut tourner sa langue dans sa bouche avant de parler. La rougeur avait reflué comme si la vague qui montait avait été nettoyée.
« - On l'appelle Dee-Dee » dit-elle soudain dans un grand sourire tout de blanc émaillé, le regard brillant, pétillant de malice, fixé sur celui de la jeune latino.
Llano fit tomber la cendre de son cigarillos sur le tapis, aspira à nouveau la fumée, soulagé.

« - Dee-dee, c'est des initiales ! Ça veut dire quoi ? » demanda une voix de tête au timbre grêle et aux résonances désagréables.
Tous regardaient le géant avec stupéfaction, même Goldstein, qui pourtant devait être habitué. Le géant se tortillait, gêné. Il s'exprimait avec une curieuse voix de fausset très aiguë et très dissonante. Le colosse retroussa ses lèvres, souriant de toutes ses dents, parut réfléchir un moment encore, puis il ajouta, insistant : « - Dee-dee, c'est pas un nom, ça . C'est quoi son nom ? ».
Leonora avait la lèvre inférieure coincée entre ses dents et paraissait préoccupée, fixant le tatoué, hésitante, tergiversant. Son impuissance à parler augmentait son émotion.
« - Dixie  ! Elle s'appelle Dixie Denzel. » dit Xander.
Il se demandait encore pourquoi il avait affublé la petite du diminutif d'une de ses cadettes. Il se souvenait confusément des traits de visage de sa petite sœur Eurydice, seul le contour demeure souvent reconnaissable, quelquefois même il disparaît, et il avait trouvé que la gosse de la métisse avait un troublant air de ressemblance.

La petite poigne de Dixie ne voulait plus lâcher.
Xander avait comme un creux dans la poitrine. Il regardait Isabella. Il regardait les deux femmes et le bébé. Il les regardait obstinément, souriant d'un sourire fixe.
Une jolie et gentille fille, pensa-t-il, et il se surprit à la comparer à Sarita, comparant charmante avec belle, mignonne avec élégante, une éleveuse de chevaux avec une femme issue de la haute société.
L'aristocrate était une jeune femme, grande et belle, d'une beauté effrontée. Elle avait des yeux superbes, de remarquables cheveux couleur d’ébène, d'un noir profond, ondulés, tellement touffus, vigoureux et longs qu'ils semblaient lourds. Des sourcils très fournis et fortement arqués donnaient à sa physionomie une expression de fierté hautaine qu'elle avait appris à rendre terrible ou à tempérer par la fermeté ou par la douceur de son regard, par la dureté ou par les légères inflexions de ses lèvres, par la sécheresse ou l'éclat de son sourire. Toujours vêtue avec une élégance raffinée et un certain goût provocateur, d'une allure racée, elle était d'une insolence peu commune. Les traits réguliers de sa face avaient ce fini des races orgueilleuses, cette délicatesse légère que les filles d'hidalgos mexicains recevaient en naissant comme une marque héréditaire. Elle n'avait rien de la belle aristocrate mexicaine que l’on sort et que l’on expose, comme un objet exotique, comme il l'avait vu faire par tant d'officiers français ou étrangers au Mexique. Riche, écervelée, moqueuse et aussi fiable qu'un serpent à sonnette.

Dans les cheveux de Sarita flottait toujours un parfum floral. Dans ceux d'Isabella, c'était une bonne odeur de foin, de genévrier et de vent, une fragrance de liberté.
La jeune californienne était l'opposé de la créole. Une jeune femme vraiment ravissante même quand elle le regardait en fronçant les sourcils ou d'un regard noir.
A sa taille, on lui aurait donné dix-huit ans bien qu'elle doivent en avoir plus de vingt-deux. Quatre ans déjà étaient passés. C'était une toute petite femme, fine de traits, de lignes et de ton. De beaux cheveux de jais, probablement très longs – Tyree ne les avait jamais vu que tirés en un lourd chignon sur la nuque - et d’un noir lumineux.  Elle aussi avait de magnifiques prunelles noires, grandes comme ces froids ciels nocturnes où d'innombrables étoiles scintillaient. Son nez, sa bouche aux lèvres bien ourlées, sa taille, ses mains, ses sourcils bien dessinés, sa nuque délicate, ronde, souple, où de petits cheveux follets voltigeaient, roussis par le grand air et le soleil, tout en Isabella semblait dessiné pour la vie au grand air.
Ce n’était plus tout à fait la jolie petite gamine un peu maigrichonne à l’allure légèrement négligée du désert de Gila dont il gardait le souvenir. Elle avait changé. Aussi douloureuses qu'avaient été les expériences qu'elle avait du surmonter, celles-ci l'avaient renforcé. Malgré son handicap, elle était vive, aiguisée comme une flèche, efficace, travailleuse, perspicace, souple et active. Elle était devenue plus dure et rien ne devait lui échapper. Un seul défaut exaspérant : elle pouvait se buter comme une bourrique...

Un petit bijou avait dit Wouter... Il avait diablement raison.
Elle ne s'en rendait probablement pas compte mais il lui semblait à lui qu'elle était une chrysalide s'apprêtant à éclore en un magnifique papillon.

Le trader toussa légèrement. « - Monsieur Tyree ? Monsieur Tyree ? »
Xander s’efforça de détourner ses pensées de la jeune femme.
Il regarda Goldstein avec un grand grand sourire navré. Celui-ci promenait un regard circulaire sur l'assemblée.

« - Monsieur Tyree, je vous ai dit que je ne disposait pas de l'intégralité de la somme ici... »
« - Gardez votre argent, Monsieur Goldstein ! Remettez-moi simplement une lettre de change que je puisse négocier à la Banque de Bodie... »
Xander jeta un coup d’œil circonspect vers les femmes et l'apache. Leo le regarda tranquillement. On allait parler argent. Elle se tourna vers l'apache.
« - ¡Ándale ! Allez ! »
Bichihlitso rouvrit sans bruit la porte du dehors. Et le trio sortit dans la rue éclaboussée de soleil, Dixie tirant le doigt de sa conquête à sa suite.
« - Au revoir, Señorita Matamoros ! Je suis certain que nous serons amené à nous revoir.» lança le trader. Il avait l'assurance calme d'un homme sûr de lui, l'audace insolente d'un opportuniste aimable, de celui qui gouvernent les autres avec des paroles douces et des promesses trompeuses, et les écrasent de mépris dès qu'il n'ont plus d'utilité.
« - Curieuse demoiselle ! » commenta l'usurier en conclusion.

Le bonhomme sembla soudain indécis ; son sourire avait glissé sur Tyree, suspicieux. Il posa ses mains sur le plateau du bureau en s’appuyant dessus.
« - Comment savez-vous pour la banque à Bodie ? » Il s'arrêta, pour réfléchir, regardant l'ex-diable rouge avec des yeux méfiants. Il semblait légèrement sur la défensive.
« - Allons, Monsieur Goldstein, vous êtes un homme avisé, probablement également riche propriétaire, très riche, négociateur madré, très sournois, très retors en toute question d'argent. Mais incapable, à mon avis, d'avoir pris le risque de conserver tout son argent, ici. » Il ignora le regard sceptique du vieil homme. « -  La banque de Crimson n'a pas reconstitué ces fonds. En dehors de ceux dont vous disposez ici, dans un coffre, pour vos besoins courants, il vous faut avoir accès à des valeurs rapidement. Calico est exclue. J'ignore même s'il y a une banque. Sacramento ou Fresno sont trop loin, même si vous y avez probablement des dépôts. Je pense que vous avez un compte ouvert disponible à Bodie... »
Goldstein hocha la tête.
« - Vous m'accompagnerez au Mexique quand vous m'aurez remis les ultimes informations... » Le vieux courtier dévisageait Tyree avec un air d'hostilité qui lui donna à penser qu'il souhaitait le contraire. « - ... pour être certain de pouvoir encaisser votre prime ? » acheva le trader en sortant un demi-feuillet imprimé d'un tiroir qu'il posa soigneusement sur le sous-main de son bureau. Il tira le plumier vers lui.
« - Ça sent trop le roussi pour nous de retourner là-bas. Pour l'instant, nous ne souhaitons pas remettre les pieds au Mexique. Et puis, je suis absolument persuadé, que vous reviendrez nous voir pour nous donner notre dû, après votre séjour là-bas... »
« - Voilà ! Trois-mille deux cent dollars, Monsieur Tyree. J'ai laissé le nom du bénéficiaire en blanc... »
On n'apercevait que son regard brillant derrière les verres des binocles dans lesquelles se reflétait la lueur tremblante des lampes à huile distillée comme un grand souffle de magie.

Goldstein consulta sa montre,  une très  belle montre à gousset à boîtier chasseur, élégante et raffinée, attachée au gilet par une chaîne d'argent, il ouvrit le clapet, consulta le cadran puis soupira.
« - Notre entretien est terminé, Monsieur Tyree ? »
Sa voix était sèche et tranchante, on voyait qu'il était pressé d'en finir mais il y avait encore cette étrange petite flamme que Xander comprenait très bien.

Xander prit la traite, plia soigneusement le papier en deux, se décida à enfoncer le billet de banque dans une poche intérieure du blouson .

Jusqu’alors, Tyree n’avait pas trop pensé au moment qui verrait la bande quitter le bureau de l'usurier. Il savait que cela viendrait, fatalement, mais il n’y avait pas accordé beaucoup d’importance.

Xander prit son chapeau. Il ne dit mot. Il ne bougea pas plus, supportant sans ciller le regard de Wouter. Mais il repéra la lueur triomphante dans les yeux du vieillard, celle de quelqu'un persuadé d'avoir joué un bon tour. Il s'en amusa.
Il sentait monter au fond du ventre, comme une lame de fond, une envie de rire au visage de Goldstein, une énorme envie. Pauvre vieux grigou, tellement pressé d'aller ouvrir sa cassette piégée.
Il se redressa à nouveau, décidé à parler clairement :
« - Le coffret est équipé d'un dispositif explosif qui détruira la carte si on tente de le forcer. Il faut les trois clés, celle-ci en forme d'anneau et sa jumelle, et la grosse clé qui ouvre la première mais aussi la seconde serrure. Je préfère être loin quand vous allez ouvrir le coffret. Si vous vous méprenez dans les instructions, d'un seul simple mauvais quart de tour de  la clé, ou un anneau mal placé, que la barre de sécurité à l'intérieur glisse mal dans son logement, que la molette et la mèche soient mal libérées... et boum ! Ça vous pétera au visage... »
La lumière douce mettait des ombres sur son visage.
« - Au revoir, monsieur Goldstein ! »

Il traversa d’un pas vif la salle jusqu'à la porte. Goldstein lui adressa quelques mots qu’il n’entendit pas. Chavez derrière lui, les sacoches vides sur l'épaule, refermait le battant vitré. Il fut dans la rue.
Il envoya une énorme bourrade dans le dos de Llano, et puis il ferma les yeux. Il avait chaud, tremblait d'excitation.
Quand il rouvrit les yeux, il chercha Isabella Matamoros du regard...


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Isabella Matamoros

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Mar 22 Oct - 16:04
Derrière les doux traits d’une mère, il y a toujours une mâchoire de louve.

Pour cette raison, Isabella avait rapidement assagi la largesse de son sourire pourtant tout ce qu’il y a de plus spontané. En guettant du coin de l’œil l’associé de Tyree qui se retenait de fumer, elle espéra ne pas voir les dents se refermer sur les doigts qui avaient osé approcher la fragile progéniture. L’attraction de ce visage de poupon était trop forte. La cavalière peinait à se détourner ses yeux noirs des joues rebondies éclairées de cette lumière diaphane et d’une pureté touchante qui émane des tous petits. La petite répondit d’une risette charmeuse qui piqua un peu plus le cœur de la boiteuse.

Comme la plupart des jeunes filles, Isabella avait longtemps imaginé devenir mère. Tous les dimanches, elle se levait aux aurores pour se rendre à l’Église où elle retrouvait les familles. Les hommes grandissaient en maris. Les femmes faisaient des épouses. Ensemble, ils donnaient des fratries. Les bébés ponctuaient les messes de leurs cris que les mères, fatiguées, essayaient d’étouffer avec un mélange subtil de protection inconditionnel et d’agacement.

La fille d'écurie, elle-aussi, avait longtemps rêvé d’être menée à l’autel pour remplir les devoirs que Dieu avait attribué au femmes. Avoir le plaisir de voir son ventre sans forme enfin s'arrondir. Porter la vie. Porter l'amour. Et puis, il y avait eu l’accident qui avait emporté sa jambe. Les regards sur elle avaient changé. Elle avait glissé de la normalité à la monstruosité. Invalide pour elle et invalidée qu’importe l’union qu’on aurait pu lui proposer.

Avec le temps, elle s’était persuadée que ça lui convenait ainsi. Qu’il y avait bien des gens qui traversaient leur existence en solitaire et qu’elle pouvait le faire aussi.

Mais le visage rose de cette petite fille raviva quelque chose dans ses entrailles, entre ses flancs largement émaciés et son cœur trimballé de deuil en combativité, d’assez primaire. Une sorte de jalousie sourde que la pieuse ravala avec une haine silencieuse pour elle-même. Elle fit taire la jalousie parce que c'était pécher et qu'elle s'en voulait.

Il y a, dans les troupeaux de chevaux, certaines vieilles juments qui s’attribuent les poulains de celles qui viennent de mettre bas. Peut-être que les humaines aussi pouvaient avoir cette envie viscérale d’emporter les enfants des autres. Et que c’était pour cette raison que les mères apprenaient à montrer les crocs au moindre doute.

Isabella craignit donc d’autant plus la réaction de la mère. Avait-elle vu ? Avait-elle compris ? Impossible. La tension était déjà partie. La mexicaine le montrait et se préparait déjà à se mettre en retrait quand la complice de la troupe de Tyree annonça que la petite s’appelait Dee-Dee. Dee-Dee pour les initiales qu’elle portait, comme le releva tout de suite l’homme de main de Goldstein qui s’était fait oublier. Il n'avait d'ailleurs pas manqué de faire sursauter l’estropier en ouvrant si soudainement la bouche. Une stupeur partagée par la louve. Alors l’ancien confédéré, conclut l’aparté en avouant le secret derrière le surnom : Dee-Dee était pour Dixie Denzel.

Isabella reposa tendrement les yeux sur la petite. Dixie, c’était joli. Sa présence ramenait un peu de vie dans ce bureau morne, gris, rempli de coffres empilés comme une multitudes de petits cercueils et où chacun portait, à la ceinture, au chaud des holsters où cachée dans une malicieuse canne, des instruments de mort. Avec sa contemplation venait un silence serein qui sonnait aux oreilles d’Isabella comme une respiration au milieu d’une longue apnée.

Ils étaient cependant là pour les affaires. Et, dans les affaires, le temps se convertit en monnaie. Il n’y avait pas d’autre minute à perdre dans les présentations du nouveau-né.

Quand Goldstein avait remballé en vitesse les contrats, la mâchoire crispée, la lumière froide de ses pupilles figées dans ses globes fixes, sur lesquels les paupières ne battaient plus, Isabella avait compris que ce qui était un dénouement pour elle n’était que le début d’un engagement entre le trader et le ranger. Elle avait lentement opiné du chef. Et elle était sortie, suivie par l’allemande et l’apache.

Le prêteur comptait la revoir. Elle espérait ne jamais avoir à le recroiser. Aucune de ses maigres possession n’était à négocier. Alors elle passa la porte en n’offrant qu’un respectueux :

Buena suerte.

Instinctivement, elle avait mieux réussi à regarder l’ex-sergent Tyree que le propriétaire des lieux. Elle n’aurait pas su l’expliquer.

En sortant, la petite s’était raccrochée à l’étrangère. Les deux femmes avaient dû ainsi s’arrêter après avoir descendu les quelques marches en bois qui séparaient le perron de l’ombre de la rue. Il y eut à nouveau quelques échanges gênés entre la boiteuse de la navajo-hispano-germanique. Isabella tâtonna en essayant de demander l’âge de la petite et d’autres petites questions assez banales qu’une grand-mère aurait pu poser. Des questions qui reçurent des réponses concises, qui n’appelaient à aucune relance avant qu’une pointe de curiosité ne finisse par piquer celle que Tyree avait appelée Leo.

Tu as des enfants, toi ?
Non, avait simplement avoué Isabella, ce qui avait permis à la complice de l’ex-diable rouge d'embrayer derechef sur une autre question :
Il t’avait convoquée ? C’était prévu que tu viennes pendant qu’il négociait ?
Non, fit Isabella en se mordant la lèvre inférieure devant l’œil suspicieux qu’on lui adressait.

Visiblement, ni elle, ni l’apache, ni le mexicain n’avait compris pourquoi le maître à parler de la troupe avait décidé d’impliquer cette inconnue. Ce serait à lui de leur expliquer. Isabella avait l’impression d’en avoir fait assez.

Doucement, exactement comme elle l’avait fait précédemment, Isabella détacha le minuscule doigt mou et fragile de la petite Dixie du lacet du chapeau pour visser son sombrero sur sa tête. Elle surveillait l’avenue pour vérifier que Diego, le travailleur du ranch des Beauchamps avec lequel elle était venu ne l’attendait pas quelque part. Son cheval n’était plus attaché à côté de Tehuano. De colère, il avait dû la planter sans se retourner. Alors Isabella ouvrit la bouche, s'apprêtant à prendre congés.

Mais pas un son ne se fraya un chemin dans sa gorge nouée. Ses cordes vocales s'étaient figées car la palefrenière avait été interrompue par la sortie des deux derniers membres de la troupe. Derrière el señor Chavez, la porte du bureau se Goldstein se referma.

Il y quelques accolades froides comme seuls les gens du Sud pouvaient en échanger. En contrebas, Isabella ne pu s’empêcher de détailler à la lumière du jour celui qu’elle avait abandonné sous le soleil du désert du Gila dans ce qui lui paraissait être une autre vie.

Elle avait vu son pas mesuré, mais tout dans son attitude trahissait la satisfaction d’une victoire fraîchement acquise. Pendant toute la durée de la conversation, il s’était montré solide, sûr, convaincu de la stratégie qu’il avait préparée et du jeu qu’il tenait dans ses mains. Jusqu’au bout il s’était retranché derrière un masque d’une certitude si tranchée qu’il avait réussi à faire plier le maître des lieux, qui s’était tout de même aventuré à le mépriser avant de l’écouter. Comme il y a quatre ans, le sergent Tyree n’avait pas flanché. Même dans sa victoire, il encaissait avec la satisfaction retenue et élégante qu’elle avait déjà pu apprécier chez des hommes de la classe politique plus que chez les mercenaires.

Et pourtant, quand elle le vit fermer les yeux, elle sentit enfin chez lui une fébrilité qui le rendait vrai. Il avait été un excellent joueur. Il avait gagné. Et elle comprit enfin, cette fraction de seconde où les épaules de l’homme s’étaient enfin relâchées, combien il n’aurait pu supporter de passer à côté de cette longue et contraignante joute verbale. Au yeux de la jeune femme, il parut vulnérable. Jamais elle ne l’avait imaginé qu’il aurait pu l’être à ce point.

Le feutre gris et usé, tiré bas sur son front masquait la moitié de son regard durci par l’habitude de jouer avec danger. Ses bottes de cuir tintèrent avec une lenteur maîtrisée. Chaque pas mesuré, comme si le monde autour de lui avait besoin de ralentir pour qu’il puisse reprendre pied. Un léger sourire fendait à peine ses lèvres mais ses yeux gris brillaient d’un éclat sombre. Celui de quelqu’un qui vient de se tenir au bord d’un précipice et qui en a réchappé qu’à la force d’un aplomb largement entraîné. D’excitation, il frissonnait.

Le temps qui avait passé avait déformé le souvenir que la boiteuse se faisait de ce sergent confédéré. Dans ses souvenirs, il avait pris peu à peu des aspects surhumains. Parce qu’il n’était pas mort dans l’assaut qui avait largement éclairci les rangs de sa compagnie. Parce qu’elle se remémorait l’eau froide qui l’avait fait brailler et les ordres, tous plus désagréables les uns que les autres, qui étaient sortis de sa bouche. Parce qu’elle ne se souvenait presque que de sa trogne ensanglantée dont la bouche s’était déformée avant de lui en coller une pour la sortir de la torpeur qui l’avait figée.

Elle n’avait pas une seconde imaginé que cet homme-là pouvait se lier à un groupe. Encore moins qu’on pouvait l’apprécier car elle l’avait longtemps haï. Surtout quand elle avait dû aller annoncer aux parents de Jack que leur fils ne reviendrait jamais.

Pas un seul instant, Isabella n’avait entrevue la fragilité de ce chef inébranlable depuis qu’ils avaient parlé d’eux, en quelques mots, alors qu’il lui avait porté une assiette chaude, le soir avant l’attaque des apaches.  Dans le désert de Gila, elle se souvenait que ses hommes de sa troupe lui dévouaient une confiance aveugle mais elle n’attribuait ce sacrifice qu’au conditionnement militaire. Elle avait oublié l’homme parce qu’il était plus facile de se souvenir de l’horreur.

Ici, des années après, il y avait ce mexicain, cet apache, cette mère et son bébé, réunis auprès de lui de leur plein gré. Et le ranger portait sur ses épaules un poids insoupçonné de devoir mériter sa place pour ne pas la perdre. Ne pas décevoir. Ne laisser personne derrière.

Ces gens lui faisaient confiance. Il était un pilier pour eux comme ils devaient le soutenir lui comme elle le supposait.

Et, de son côté, Isabella avait l’impression de tanguer toute seule face à l’infini.

Avec amertume, la cavalière chassa cette idée. Elle reprit la phrase qu’elle s’était retenue d’adresser à Leo pour mieux prendre congés :

Damas y caballeros, bienvenidos a Crimson Town…

Elle ne connaissait pas la fin de l’accord. Qu’importe le montage financier, elle avait compris qu’ils achèteraient des terres pas loin d’ici. Alors, pas de doutes, ils seraient probablement amenés à se recroiser. Une perspective qui, immédiatement, poussa la gorge d’Isabella à se serrer.

Elle commença à faire quelques pas en arrière pour s’en aller.


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Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde

Xander Tyree

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Mar 29 Oct - 0:08
Isabella et Bummer étaient toujours là, au milieu de la rue, toutes dorées de la lumière fraîche du soleil.

Un moment, il demeura planté là, regardant tout autour de lui. Mais presque aussitôt une sensation de joie profonde, de soulagement infini, de délivrance lui pénétra le corps et l'âme.

En un coup d’œil, il enregistra mentalement le tableau de la rue ensoleillée, il enregistra les maisons calmes marquant une certaine aisance, plantées dans le soleil rasant, avec les rideaux aux fenêtres, l’alignement de leurs vérandas bien propres, les façades bien peintes, les trottoirs surélevés bien balayés, les jardins sans mauvaises herbes,  les choses de chaque jour oubliées devant les porches – des outils, des balais, des chaises à bascule ou non, des arrosoirs, des écuelles pour les chats, tous ces objets familiers qu'on employaient à heures régulières, scindant la journée en étapes progressives. Un calme tout chaud et doré planait sur la ville, et il fallait y pénétrer pour en ressentir le poids.

Il n’y prêta guère attention. Il se moquait des façades. Des fumées filiformes serpentaient au-dessus des toits, on entendait des rires d’enfants et des voix de mères.
Il y avait peu de monde dans la rue. Le soleil tombait tout dru sur la ville.
À peine quelques hommes paresseusement accoudés à une barre d’attache, devisant mollement.
Un petit vent suffocant s’engouffrait dans Lincoln Avenue, claquait un volet mal accroché quelque part, tout proche, et emmêlait les murmures des hommes.
Le chien qui descendait en solitaire la rue avec l’air épuisé, traînant son ombre, fit un grand écart pour continuer sa route après avoir jeté un regard craintif à ce grand corniaud jaune affalé sur les traverses du trottoir, qui faisait semblant d'être assoupi, indifférent aux rares allées et venues. L’œil entrouvert ne manquait rien de se qui se passait à proximité.

Le regard noir et chaud de Leonora suivait les évolutions du ranger. La métisse, sa chemise d’homme aux manches roulées sur les bras, ce qui effaçait l’usure des coudes, dans la longue jupe sombre portée avec une sobre élégance, la vareuse bleu foncé aux boutons dorés brillants sur le tissu, tenait Dixie contre elle, la bouche attendrie tout près de la petite tête mollement posée sur l'épaule de sa mère. La main de celle-ci tapotait doucement en rythme le petit dos. La ceinture aux pièces d'argent miroitait.

Autant que le permettait la clarté du jour, on pouvait distinguer le visage buriné, barré de la moustache noire de Llano, coupé en deux à hauteur des yeux par l’ombre crue du chapeau solidement vissé sur le front bas. Même cachée dans cette ombre, on devinait la rudesse du regard. Le chicano fouilla ensuite la poche de son blouson et en retira un nouveau cigarillo qu’il se coinça entre les dents sans l'allumer, juste pour avoir le goût du tabac dans le bec.
A une dizaine de yards, le jicarilla, était retourné prendre sa posture favorite et attentive, assis sur ses talons dans l’ombre fraîche d'une véranda, appuyé contre une façade, mains pendantes au bout des avant-bras posés sur les rotules, une lumière farouche brillant dans ses yeux perçants...
Leurs yeux étaient posés sur Xander.

Xander dut lutter pour réprimer un sourire soulagé. Il lança un rapide coup d’œil en biais vers Llano, ne vit que son regard allumé et l’indéfinissable sourire qui flotta brièvement sur ses lèvres sous la broussaille noire. Par convenance et aussi parce qu'il étaient encore trop proche du bureau du prêteur sur gages, il ne dit rien à ses compagnons, mais il leur fit seulement un léger signe de la tête. Aussitôt un grand soupir de soulagement sortit de toutes les poitrines, une allégresse parut sur les visages.
Après d'interminables heures, d'interminables journées et des angoisses de damné, il apercevait un ciel qui redevenait clair, un avenir de nouveau s'ouvrir. Alors un optimisme immense le pénétra ; ses membres se détendirent, reposés soudain ; son cœur s'apaisait. Il s'était senti pieds et poings liés, tout comme les autres, par la parole donnée, et les promesses reçues. Et maintenant il se sentait libéré. Lui, Bummer, Llano et le jicarilla, tous gens de paroles, savait que cette victoire valait le danger encouru,  ce qu'elle aurait pu leur coûter, ce qu'elle avait déjà failli leur coûter, mais une joie égrillarde emplissait les cœurs, celle d'avoir réussi et d'avoir rempli le contrat, même partiellement pour l'instant.
Ce pauvre Goldstein, cela avait été dur, mais il lui avait fait à la Kearny. À sa façon de dérouter et d'exacerber la convoitise du chaland. Finalement son ancien patron aurait été fier, il avait bien retenu ses leçons...

«  - Damas y caballero, bienvenidos a Crimson Town… »
La mexicaine esquissait un mouvement de départ, reculant de quelques pas.
Xander l’observait, attendant la fin de sa phrase. Comme autrefois, elle paraissait légèrement négligée dans sa tenue, inquiète, un peu timide, vêtue d’un jean élimé un soupçon trop grand pour elle, et d’une chemise qui répondait à la même description. Jolie et modeste. Elle n’avait évidemment pas l’éclatante élégance de l'aristocrate, sa perfection physique, ni son raffinement. Mais comment juger du raffinement de quelqu’un d'ailleurs ? Est-ce qu’il fallait l’évaluer d’après les normes des classes privilégiées ou d’après les critères de la communauté des éleveurs de bétail, de moutons, de mules ou de chevaux, où le raffinement réclame des acquis autrement exigeant et primordiaux comme par exemple d’être satisfait au sein d’un monde difficile, et d'être capable et d'avoir le courage d'y survivre. Devant l'infortune, toujours croissante, devant la misère noire, il n'y avait pas de timidité qui tienne. Le malheur, comme le danger, donnait du courage aux moins braves.

« - Isabella, attendez ! »

L'une des phrases qu'elle avait prononcée dans le bureau, celle où elle craignait les conséquences, lui taraudait l'esprit. Elle avait conscience d'un danger vague qu'elle ne soupçonnait pas, mais qu'elle pressentait. Il retira son chapeau, essuya machinalement l'entrée de tête déjà couverte de sueur. Il respira profondément pour s'aider à se détendre, se vider l'esprit et favoriser le calme, pour se permettre de se concentrer sur la tâche nouvelle à accomplir.

Il savait. Une idée lui parut enfin logique et pratique. Vivement, il recoiffa son feutre en le plantant sur sa crinière blonde, marcha vers la jeune fille. Instinctivement, comme d'habitude, la mexicaine qui attendait en silence entama un mouvement de recul, sans l'achever, levant sur lui ses yeux inquiets, pleins de soupçons.

L'autre « Femme-suspicieuse » le regardait en fronçant les sourcils. Leonora hocha le front. Elle lança un regard en direction de Chavez, comme pour le prendre à témoin. Elle fit demi-tour en larguant un profond soupir et alla s’écrouler dans le grand rocking-chair, celui qu'elle avait occupé précédemment devant la fenêtre au store baissé d'une petite maison grise qui se vantait d’abriter un avocat. Llano avait passé les pouces dans sa ceinture, l’arme dans la gaine. Il échangeait des regards perplexes avec la métisse. Laquelle haussa une épaule, pour avouer son ignorance, pour dire que elle non plus ne comprenait pas son attitude.
Du coin de l’œil, l'ancien ranger vit leurs visages, il vit leurs gestes pour chasser la fatigue de leurs paupières.

Impénétrable, Xander contempla la boiteuse un moment. Il la dominait de la taille et la regardait en se rendant compte qu’il devait arborer un sourire d’abruti, que les autres observaient la scène et que certainement Goldstein ou l'un des ses sbires les scrutaient, dissimulés derrière la fenêtre.
Il demeurait mal à l'aise, poursuivi par le sentiment d'une dette, d'une dette sacrée contractée envers cette femme.
« - C'est la baffe ! »
Son ton était un peu plus morne qu’il n’en avait eu l’intention.
« - C'est à cause de la baffe, là-bas dans le Gila... »
Xander frottait sa barbe près du menton la serrant dans sa main refermée d'un geste familier. Il répéta plusieurs fois le geste.
« - Je ne veux pas me disculper, il est trop tard... Mais songez à ce qui s'est passé, pensez différemment. Il y a des choix d'opportunités qui mènent à des apparences trompeuses... »
La sueur piquait, dans la barbe dure qui lui marquait le cou et les joues.
« - Et je vous remercie... »
Il hocha la tête, secoué d’ironie. Continua :
« - Je vous remercie pour m'avoir aidé par votre présence, à déstabiliser Goldstein au moment propice, même si je vous ai forcé la main. Pour avoir accepté de signer aussi... Je ne peux pas vous dire pourquoi. Je n'en ai ni l'autorisation, ni le droit. C'est assez compliqué... »
Il enfonça ses mains dans ses poches, les fouilla, en sortit quelques billets froissés, les billets promis...
« - Je voulais vous aider quand je vous ai vu dans cet état dans ce bureau. Pourquoi refuser les chevaux ? Qu'est-il arrivé à votre relais ? Que vous est-t-il arrivé depuis la piste de Yuma ? Vous... »

« - Ha'dishéí ! Náá silááhí náditʼįįh. Tantoo hikʼeh Izdzáníí Tsíhkee yádałtiʼ doleeł. Deeyá nʼí ngońyáá. »
Tyree s’interrompit au milieu de sa phrase.
« - Xander ! Il dit que le trader vous observe, toi... et euh... la señorita Isabella. Il dit que vous devez bouger... et parler plus tard... »
Leonora se tut, comme éprouvant de la gêne à s’être immiscée et avoir coupé la parole à son ami, posa sur le ranger un regard insondable et fit un grand geste avec sa main.

Xander prêta une oreille distraite à la traduction de Bummer, puis il se retourna ; il regarda la maison Goldstein, sa véranda ouvragée que la peinture commençait à déserter, la façade de bois, plate comme une affiche de recrutement, aussi laide, la plaque murale crayeuse, sa vitrine aux carreaux dépolis, sa porte vitrée figée. Il ne le voyait pas mais le natif l'avait vu, lui. Il était à peu près sûr que deux petits lorgnons attentifs le guettaient derrière les rideaux de cotonnade légèrement transparente.

Puis il se pencha en avant vers Isabella. avec une attitude embarrassée de coupable. gêné par l’éclat froid, sombre, du regard de la jeune fille :
« - Je vais encore vous demander quelque chose... »
Xander soutint sans broncher le regard de la boiteuse, puis lentement, hocha sombrement la tête. Il eut un pâle sourire : « - Vous allez encore m'en vouloir... »
Pâle, Xander hésita, ne dit mot pendant quelques courtes secondes. Il connaissait le problème. Sa tête retomba. Il poussa du pied une pierre dans la poussière...
« - Isa, 'suis pas sûr d'avoir convaincu Goldstein que vous n'êtes pas notre complice... Il y a un risque et je préfère attirer ses foudres uniquement sur moi. »
Il n’avait pas haussé le ton, parlait calmement, énonçant simplement un fait inéluctable, d’une flagrante vérité. Elle devait comprendre qu’il y avait un danger latent.
« - C'est pour votre sécurité... Alors, Engueulez-moi ! Il faut le convaincre que vous n'avez pas apprécié ce que je vous est imposé. Allez, lâchez-ce que vous avez sur le cœur... N'hésitez-pas ! Lâchez-vous ! »

Rajouter d'autres paroles était inutile, aussi il ne dit rien de plus. Il se répétait que c'était le seul moyen, que c'était leur seule chance, et que peut-être cela ne lui ferait pas trop mal.


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Isabella Matamoros

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Mer 30 Oct - 15:19
Rattrapée par Tyree, Isabella leva un œil interrogatif vers lui. Que voulait-il encore ? Elle fronçait les sourcils, surprise de le voir tâtonner en évoquant le passé. La baffe dans le Gila. Ce qu’il s’était passé les quelques heures qu’ils avaient partagées ensemble, des années en arrière. Il ne voulait pas chercher à « se disculper » selon ses propre dire et jamais la boiteuse ne lui avait demandé. Une courte interjection nerveuse franchit ses lèvres alors qu’elle regardait ses pieds. Elle n’attendait rien de lui et elle montrait qu’elle était gênée de le voir agir ainsi.

Elle savait que tout ce qui touchait à cet homme devenait compliqué. Ça nécessitait rapidement un intellect et une sournoiserie qui n’était pas à sa portée.

Pas sûr qu’elle y soit pour grand-chose dans la « déstabilisation » de Goldstein. L’ex-sergent avait mené la négociation d’une main de maître et elle lui reconnaissait ce talent tout comme elle n’aurait pas trouvé à contester la façon dont il avait mené l’assaut contre les apaches, cette nuit de l’année 1862. Tout ce qu’elle voulait maintenant n’avait rien de différent de ce qu’elle avait souhaité à l’époque : rentrer, penser à autre chose, oublier, espérer que ce qu’elle venait de faire ne lui retombe pas sur le coin du nez…

Alors elle fut bien mal à l’aise de le voir tendre les billets. En guettant le regard de l’ancien diable rouge, elle sut que le geste était sincère mais elle ne pu s’empêcher de reculer parce qu’il posait des question auxquelles elle n’avait pas envie de répondre. Les sujets la touchaient trop pour qu’elle ait envie de lui envoyer dans la figure en tournant les talons simplement. Elle n’avait rien à y gagner et lui non plus.

Le constat serait le même : il avait mieux réussi qu’elle. Et elle ne pouvait pas prendre les chevaux parce qu’il n’y avait plus de relais.

Isabella cherchait un petit mot à bredouiller pour répondre quand l’apache interrompit Tyree au milieu d’une phrase. Des paroles sibyllines, vite traduites par la métisse. Comme on aurait pu s’en douter, Goldstein épiait son adversaire aux fenêtres.

La mexicaine pensait que ça sonnait simplement la fin de leur rencontre aussi abrupte qu’éreintante dans un sens. Elle hocha la tête, allant pour toucher le bord de son sombrero en signe de dernière salutation lorsque Tyree se pencha vers elle. Pour écraser les soupçons du trader, il sollicitait son aide. Il fallait qu’elle l’engueule, il fallait convaincre, il fallait que le différent éclate et qu’il éclate fort pour qu’on le voie de l’autre côté des lucarnes.

Isabella hésita à reculer en écarquillant les yeux. La surprise n’était pas feinte.

Vraiment ? demanda-t-elle en doutant de ses capacités à convaincre. Sûr de sûr, vous m'autorisez ?

Isabella n’avait jamais vraiment élevé le ton sur quelqu’un. Elle ne répondait pas vraiment à ce cliché nerveux des latines au sang chaud et au caractère de feu. Patiente et d’une humeur assez égale, elle laissait beaucoup glisser sur sa carapace ce qui aurait pu attiser ses nerfs. En particulier quand elle n’avait, de toute façon, pas la carrure ou les capacités de lutter. Ainsi, elle n’avait jamais vraiment démontré la moindre forme de violence ni verbale, ni physique.

Avec sa demande, Xander ouvrait une sorte de boîte de Pandore. Il fallait qu’elle puise en elle quelque chose qu’elle avait toujours repoussé jusqu’alors.

Et la gifle partie en premier. A peu près la même que celle qu’il lui avait décoché dans le désert de Gila. A la différence près que, de la part d’un sac d’os qui n’avait jamais appris à frapper, ça ne faisait pas exactement le même effet.

Le plat de la paume heurta la mâchoire et la joue. Elle s’étonna elle-même du bruit que cela faisait. Parce qu’elle n’avait jamais leva la main sur qui que ce soit. Même avec les animaux frôlant la tonne qu’elle côtoyait, elle n’usait pas d’artifices punitif. Jamais elle n’élevait la voix ou menaçait d’un fouet. La sensation était tout bonnement nouvelle.

Et un peu jouissive, il fallait l’admettre.

Un sentiment vite contré par la douleur qui irradia directement sa main et son poignet. Taper, ça s’apprenait.

Alors, mollement, elle écrasa d’autres petits coups sur le torse de l’homme. Elle ne savait pas mentir – c’était pécher – alors elle se raccrocha à la vérité pour décliner quelques réponses aux questions qu’il avait posé et auxquelles aucune réponse ne pouvait être donnée sans être enrobée d’une douleur qu’elle ne voulait pas laisser voir. Elle préférait le laisser croire que l’énervement qu’elle y mettait venait de la demande qu’il lui avait formulée que d’une quelconque vérité qu’elle voulait garder cacher.

Elle s’exprima dans un espagnol rapide, ou chaque syllabe paraissait être avalée par les suivantes tellement les mots débités s’enchaînaient à toute vitesse, et sans être le moins du monde articulés :

¿Qué opina, señor Tyree? ¡Estamos en el Oeste! ¡El relé se ha perdido! ¡Todos han muertos! ¡He perdido mi tierra y los caballos!
(Qu'est ce que vous croyez, m’sieur Tyree ? On est dans l'Ouest ! Le relais à été perdu ! Tout le monde est mort ! Je n'ai plus mes terres ni les chevaux qu'il me restait !)

Elle se mordit les lèvres pour reprendre son souffle au milieu de cette mélasse que seul un bon hispanique pouvait complètement comprendre. Elle reprit son souffle, avant de relancer, en haussant encore le ton en essayant de ne pas tomber dans une théâtralité malvenue au regard des sujets qu’elle évoquait :

Mi tío fue asesinado aquí. Trabajo para los franceses. Los Beauchamps. Y, la verdad, me complace y me gusta. ¿Pero qué diablos haría yo con los caballos si me los dieran? ¡Yo tampoco he conseguido alimentar bien a los míos comiendo! No soy un soldado como usted. ¡No soy capaz de saquear y matar como usted hiciste y como todo el mundo cree que es normal en este país de degenerados!
(Mon oncle a été tué ici. Je travaille chez des Français. Les Beauchamps. Et, en vérité, ça me va, ça me plaît. Mais qu'est-ce que je foutrais de chevaux si vous m'en donniez ? Je n'ai pas réussi à nourrir correctement le mien en mangeant moi aussi ! Je ne suis pas un soldat comme vous. Je ne suis pas capable de piller et tuer comme vous l'avez fait et comme tout le monde trouve ça normal dans ce pays de dégénérés !)

Les mots étaient prononcés toujours avec une pointe de colère mais elle se prenait au jeu pendant que les coups arrêtaient de pleuvoir, rapidement contenus par l'ancien soldat devant lequel elle paraissait à un avorton énervé, comme un minuscule roquet face à un chien de berger expérimenté.

Alors elle s'écarta enfin, en maugréant, tout bas, en anglais cette fois :

Je vous ai détesté, m'sieur Tyree. Je n'ai plus l'énergie de le faire. Il me semble trop dangereux de vous compter dans parmi les ennemis. Installez-vous bien, avec vos amis. Ravie de vous avoir aidé. Je le referais si vous me le demandez. Mais je ne veux pas de problèmes, s’il vous plait. Croyez-moi, j’en ai assez.

Elle fit de son mieux pour se retenir de lâcher un clin d’œil ou un petit sourire qui aurait anéanti ses effort pour rendre sa répartie crédible. Sur sa tête, elle réajusta le sombrero presque aussi noir que ses cheveux. D'un pas vif bien que chaloupant, elle s'avança vers Tehuano dont elle délia les rênes du banc d'attache. Toujours un peu branlante, le groupe la vit se tenir sur sa fausse jambe d'un équilibre précaire pour hisser sa jambe valide dans l'étrier. Elle se mit en selle en saluant l'ex confédéré et son cortège.

On se recroisera, je pense. Et vous savez où me trouver, si jamais, fit-elle en passant devant eux, presque maladroitement mais assez bas pour qu’eux seuls entendent ce qu'elle leur glissait au passage.

Elle avait donné le nom de ses employeurs. Il ferait alors les déductions qu'il voudrait.

Et la cavalière s’éloigna en remontant Lincoln avenue sur sa monture alezane qui avançait d'un pas vif.

Ce qu'ils ne virent pas fut la façon qu'elle eut de s'attraper le poignet et de jurer entre ses dents. Ils ne virent pas non plus le petit rire qui la prit soudainement.

Diable que ça faisait du bien… Elle devrait faire ça plus souvent. Pour une fois, ça changeait de ne plus se sentir les pieds et les poings liés.


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