Trigger warning : On n'est pas à l'abri d'une petite injure...
Résumé : Isabella part à la poursuite de la monture effarouchée de l'un de ses collègues du ranch. Et elle croise une vieille connaissance dans les plaines.
Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde
Isabella Matamoros
Inscris le : 09/04/2024
Messages : 262 Feuille de personnage Disponibilité RP: Oui Dialogue: #ff9966 Age: 22 Métier: Cavalière au Ranch Beauchamp Caractéristiques:
En galère mais débrouillarde
Ven 8 Nov - 20:21
Mille et un sabots
Dans la fraîcheur matinale, un petit groupe était parti de bonne heure du ranch des Beauchamps. Quelques bœufs avançaient sur la large qui piste qui descendait vers la vallée à l’Est de Crimson Town. Ils étaient encadrés par d’autres travailleurs du ranch pour allez brouter dans les grandes plaines, sous les ordres des Beauchamps. A cheval, Isabella avait suivi. Depuis qu’elle était arrivée, elle avait pris sous sa charge une jeune jument de cinq ans poétiquement nommée Solace. Elle avait la face toute blanche et des grandes balzanes qui tranchaient avec sa robe noire. De loin, on aurait dit que son crâne et que les canons de ses membres se découvraient de la peau pour présenter l’os. Désensibilisée à presque tout, le jeune cheval avançait avec vaillance avec les autres. Sa cavalière avait pris ses marques malgré le fait que la monture soit plus étroite et moins haute que Tehuano.
Le futur métier de la belle pouliche rentrait. Mais, pour cela, elle devait accompagner au maximum les convois de bœufs dès qu’il y en avait.
Le convoi avançait lentement dans la lumière dorée d'un matin d'été. Chaque souffle de brise fraîche effleurait les cavalier, chargée d’une promesse de calme avant la chaleur éclatante du jour. Le troupeau de bœufs de génisses, lourds et puissants, enfonçaient leurs sabots dans la terre grasse des plaines, laissant des empreintes profondes dans le sol encore humide de rosée. Leurs flancs évasés par l’herbe tendre du printemps brillaient d’un léger éclat. Leurs respirations exhalaient une brume éphémère, qui s’évaporait en volutes au-dessus de leurs têtes, semblable à celle que soufflaient également les chevaux et les hommes quand ils avaient un cigarillo entre les doigts.
De part et d'autre de leur passage, la vallée californienne se déployait en un festival de couleurs. Les tapis de pavots de Californie, leurs pétales orangés repliés comme des coupes de soie, parsemaient les prairies en vagues lumineuses. À côté, les glaïeuls d’Ithuriel dressaient leurs fines tiges violettes, comme des éclats de ciel descendus dans la plaine. Les lupins argentés ajoutaient leur touche d’opalescence bleutée, formant des amas qui ondulaient sous le vent comme des écharpes scintillantes dans la lumière matinale.
Plus loin encore, les épervières laineuses pointaient leurs petites têtes jaunâtres au milieu des asclépiades roses, des plantes qu'on appelle aussi "herbes aux papillons", dont les fleurs s’étalaient en ombelles pour attirer les insectes. Les herbes hautes, tachetées de menthe coyote et de monardes à fleurs écarlates, laissaient échapper un parfum piquant, sauvage, à mesure que le convoi les piétinait.
Au détour d'un bosquet de chênes californiens, les ombres s'allongeaient, fraîchement marquées par la lumière tamisée du soleil levant, qui filtrait à travers les frondaisons éparses. L'air était embaumé de l'arôme capiteux de la sauge blanche et du parfum poivré des artémisias, flottant dans la vallée comme un encens naturel. Çà et là, de grands lys des prés dressaient leurs corolles éclatantes, jaunes et roses, un hommage muet à l'été qui commençait à peine.
Le convoi s'enfonçait toujours plus profondément dans les plaines, ses contours se dissolvant peu à peu dans la verdure émaillée de fleurs. Le rythme régulier du piétinement des bœufs et le bruit effréné de leur mastication, mêlé aux murmures des hommes et au souffle du vent, formait une symphonie brute, une hymne des prairies. Bientôt, le soleil serait haut et implacable, mais pour l'instant, la vallée baignait dans cette douceur ineffable d’un matin de juillet, où chaque fleur semblait s’ouvrir pour accueillir les premiers rayons, comme un secret chuchoté aux voyageurs et aux bêtes.
Tout paraissait si calme. Et pourtant…
Contrairement à elle, les hommes qui l’accompagnaient n’étaient pas tous de très bons cavaliers. Parmi eux, il y en avait un qui élevait souvent la voix contre le cheval qui montait et les bovins qui s’écartaient. Il s’agitait beaucoup, plongeant sa monture dans une forme de contrariété. L’animal couchait les oreilles. Plusieurs fois, Thunderheart essaya de donner quelques coup de museau pour que l’homme lui laisse un peu de rênes et arrête d’être branché à sa bouche comme on s’accroche à un levier.
Isabella hésita à le conseiller. Elle s’était approchée. Il l’avait sciemment évitée, avec un air agacé. La boiteuse n’avait pas insisté.
Et puis le cheval avait décidé de déposer ce primate mal luné qui avait décidé, par peur ou par inconscience, d’ignorer les signaux qu’il lui avait envoyé.
En un instant, Thunderheart baissa la tête bien bas. Il envoya la croupe bien haut. L’homme de ranch perdit l’équilibre. Sa main se tendit instinctivement vers la crinière mais les doigts glissèrent sur les mèches épaisses, impuissants à retenir sa chute. Dans une seconde suspendue, il bascula. Une sensation de vertige dû lui remuer la tripaille alors qu’il vendait l’air. Dans un choc sourd, son dos heurta la terre dure. Le souffle lui fut coupé, le laissant étendu, paralysé par l’impact.
Soudainement libéré du poids qui pesait sur sa selle, le grand bai fit un écart. Ses muscles tendus, les yeux roulants dans leur orbites noirs et sauvages. Une fraction de seconde, il hésita. Il jeta un dernier regard vers l’homme étendu. Mais l’appel du vaste horizon, irrésistible, l’emporta. Ses naseaux dilatés captèrent l’odeur du vent, cette promesse de liberté qui oscillait entre les castes plateaux qui s’étiraient au bout des plaines. En un bond puissant, il s’élança, toute sa puissante silhouette tendue dans un mouvement de pure fuite.
En quelques foulées, il franchit une colline. Ses sabots frappaient le sol rocailleux en un martèlement régulier comme une pulsation de vie qui s’éloignait. Dans sa course, il traversa un tapis de poussière ocre qui s’élevait derrière lui, voletant dans son sillage comme une pluie passagère avant de retomber lentement au sol. A mesure qu’il gagnait de la distance, il s’engageait plus avant dans le monde sauvage.
Dans sa crinière déchaînée, le vent s’engouffra dans sa crinière noire. Devant lui, l’immensité de la plaine s’ouvrait sur une étendue infinie, un désert de solitude baignée d’une lumière crue. Il galopait sans freins, exalté par le grand espace, ignorant les limites de ses muscles, s’étirant avec une fluidité instinctive, chaque foulée de propulsant plus loin et plus libre.
Il laissa derrière lui le groupes de vacher passablement irrités.
— Bordel de merde, John, qu’est-ce que tu as encore glandé ?! gronda le plus ancien en mettant pied à terre. — Fais chier ! jura le concerné.
Il comprenait un peu tard qu’il aurait dû avoir une main plus douce. Maintenant, il allait devoir se coltiner un de ses collègues qui voudrait bien le prendre en croupe.
— Je vais le chercher, fit Isabella en reprenant ses rênes et commençant à claquer de de la langue pour mettre Solace en jambes.
Mais le meneur l’arrêta d’un commentaire :
— Il est parti vachement loin, arrête ! — Ne vous inquiétez pas, je vais le rattraper, assura la jeune femme qui n’avait pas tendance à mentir sur ses capacités. Ça se fait ! — Attends, Isa ! Prends ça ! la retint un de ses collègues en lui tendant une sacoche « d’urgence » qui contenait quelques provisions, un briquet et une couverture.
Tous savaient qu’en fonction du détour qu’elle aurait à faire, elle pourrait mettre un ou deux jours avant de retourner jusqu’au ranch des français. Personne ne se proposa pour l’accompagner : ils étaient déjà en sous-effectif pour encadre les bœufs et ils savaient que la boiteuse pouvait être dure à suivre quand elle s’y mettait. Reconnaissante pour l’attention, la jeune femme positionna rapidement la sacoche, elle la fixa à sa selle et, après un rapide salut aux autres membre de l’équipage, elle lança Solace à toute allure.
Pendant de longues heures, la piste de Thunderheart la mena sur des chemins assez escarpées qui menaient à des plateaux brûlés par le soleil de l’été. En essayant de ne pas perdre la cadence, Isabella traversa un guet où elle crut perdre la trace du cheval bai avant de comprendre qu’il n’avait dû s’arrêter boire pour simplement bifurquer du même endroit où il était arrivé. Concentrée, la boiteuse guidait la jolie Solace et sa face blanche en la rassurant et en respectant ses capacités : la pouliche ne devait jamais avoir fait de sortie si rythmée depuis qu’elle s’en occupait. Mais il fallait avouer qu’Isabella adorait vraiment cette chevauchée en solitaire. Elle essayait de ne pas trop penser aux dangers auxquels elle s’exposait.
Pourtant, sur ses gardes, elle pila quand elle entendit un bruit suspect. Le sol se mit à trembler.
Discrètement, elle essaya de pousser Solace en avant pour s’approcher vers les collines qui barrait la vue de ce qui venait. La terre sèche paraissait secouée en une cadence lourde et vibrante comme le tonnerre. Ce n’était pas un simple bruit suspect : c’était une onde, une pulsation qui se propageait dans l’air, résonnant de toute la force brute de la nature sauvage.
Le troupeau de mustangs avançait en une masse compacte. Chaque cheval suivait l’élan des autres. Leurs mille et un sabots martelaient le sol en rythme irrégulier, par vague, comme le ressac de la mer heurtant une falaise.
Dans cette cavalcade effrénée, les éclats de poussière jaillissaient sous leurs pieds, tourbillonnant en nuages ocres et dorés, enveloppant les chevaux dans une brume mouvante. Par moment, les plus jeunes du troupeau, ivre de vitesse, déviaient légèrement du groupe pour bondir avec un mélange de fougue et d’espièglerie avant d’être rappelés dans les rangs par les dominants.
Les crinières qui voletaient, longues, déchaînées se déclinaient en une multitude de couleurs, tout comme les robes, sur les flancs qui s’étiraient à chaque foulée, parfois noirs, parfois roux, parfois bruns, parfois même blancs étincelant et recouvert d’un léger voile de sueur qui captait la lumière du début d’après-midi. Cette lumière rendait la course presque irréelle. Les éclat de soleil glissaient ainsi sur leurs pelages variant du pie à l’alezan doré, au palomino ou au gris souris. Ca et là, un blanc sabino ou des tâches aubère apparaissaient comme des touches de clarté au milieu de la poussière.
Les chefs de file, puissant et imposants, ouvraient la voie avec une détermination farouche, les oreilles dressées, attentifs à chaque mouvement dans l’herbe ondoyante. Ils guidaient le troupeau d’un regard acéré vers les horizons lointains et secret, où seul un instinct ancien les appelait. Derrière eux, les poulains et les juments suivaient avec l’énergie désordonnée de la jeunesse. Ils piaffaient, ils sautillaient, alors que leurs petits sabots ne semblaient pas en mesure d’encaisser la cadence du groupe.
Dans ses pensées, remerciant silencieusement le Seigneur pour ce tableau somptueux dont il était le créateur, Isabella les contempla en restant en retrait sans oser respirer pour ne pas les effrayer.
Sans la moindre réaction pour la cavalière, la horde de chevaux se contournaient une colline pour rejoindre un herbage prolifique, gardé à l’ombre d’un bord de falaise. Et, sur ce bout de colline, Isabella trouva un cheval encore harnaché.
Thunderheart broutait, le poil complètement mouillé. Il ne paraissait pas blessé mais, penaud, la boiteuse se doutait que le hongre devait s’être confronté à quelques étalons du lot. Ils l’avaient proprement chassé et, comme eux, il avait décidé de se tenir à l’écart pour profiter du spectacle que le troupeau offrait.
Guidant doucement Solace du bout des rênes, Isabella se rapprocha de la propriété de ses employeurs. Elle s’adressa à lui en chuchotant :
— Lààà, good boy. Viens là, mon grand.
Un petit pas par un petit pas, elle s’approcha. Patiemment, elle joua au jeu du « attrape-moi si tu peux » que le bai imposait. Une petite manigance que quelques chevaux sauvage observèrent d’un œil inquiets avant de comprendre qu’ils ne devaient pas s’inquiétaient tant que leurs deux compères éduqués par les humains ne se déplaçaient pas dans leur direction. Et quand la cavalière, un sourire de soulagement aux lèvres put se pencher et tendre le bras pour attraper les rênes de Thunderheart, elle se prit à croire que la course-poursuite était enfin terminée.
Elle ne se rendait pas compte de combien elle se trompait.
A ce moment précis, le cheval releva vivement l’encolure comme s’il venait de soudainement sentir la présence d’un prédateur. Il fouilla de la queue et partit au grand trop. Alertée part l’animal, Isabella se redressa vite pour vérifier dans la direction que Thunderheart avait fixé en montrant le blanc de l’œil.
Elle crut voir la silhouette d’un cavalier. Alors, sans réfléchir, elle dégaina le colt qu’elle portait à sa ceinture et la pointa vers celui qui venait. Pour dissuader. Pas pour tirer.
— ¿Quién va allí? pesta-t-elle. Qui va là ?
La pouliche qu’elle montait tremblait de sous ses membres devant les ombres qui approchaient à contre-jour.
Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde
Xander Tyree
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Messages : 169 Feuille de personnage Disponibilité RP: Dialogue: #ff9966 Age: 39 Métier: Éleveur de chevaux Caractéristiques:
Mustang Catcher
Dim 10 Nov - 18:54
C’était un matin comme les autres, pourtant. Un beau matin, bien débarbouillé, avec un beau soleil au rendez-vous dans un coin du ciel, au-dessus des collines blanches, jaunes et vertes. Lentement, l'astre s’était mis à monter, inondant peu à peu les roches de sa clarté chaude, louchant sur un pan de la sierra. Le soleil avait mis de l’or sur les chênes bronzés qui cavalaient bosquet après bosquet à l’assaut de la roche traînant leurs ombres bleues un peu partout, semé des paillettes dans les pins, au-dessus des chênes. La vallée était encore dans l’ombre, mais ce n’était plus qu’une question de minutes. La rivière fumait discrètement, entre ses roseaux.
Elle coulait dans les épineux et les caillasses, traversant les halliers, un cours d’eau tenace et obstiné en dépit de sa maigreur dans les hauteurs, qui avait roulé follement, grossi et s’éparpillait dans la vallée, s’y coupait en deux pour embrasser le pied des plateaux vers l'ouest et le sud, qui trouvait le moyen de semer des joncs sur toute la longueur de sa course, en traversant le val, et qui avait fini par s'élargir en une large cours d'eau qui s’essayait beaucoup plus loin à devenir marais.
L'eau était d’un bleu profond sous le soleil d’acier. Elle se répandait doucement sur un lit de sable et de gypse. On ne voyait, de la rive opposée, qu’un sombre trait bleu vert un peu plus appuyé que la couleur de l’eau. Le vent en ridait légèrement la surface clapotante et, au milieu, une ligne de courant traçait un chemin argenté. Les bords ne s'élevaient pas à plus de trois pieds du niveau de l'eau, excepté à l'endroit où l'escarpement venait rencontrer le courant. La beauté de l’endroit avait quelque chose de douloureux à force de perfection. La rivière était large, pleine de rires au fil de l’eau. Par endroits, là où les arbres de la rive le voulaient bien, l’onde recevait l’image renversée et floue de la montagne.
Le nuage de poussière épais qu'il avait aperçu caracoler au dessus des tertres l'avait attiré. Il ne pouvait dire avec exactitude à quel moment précis de la journée cela s'était produit, ni quel était le trajet parcouru depuis le matin, depuis le bivouac, ni combien d’oiseaux chantaient dans les buissons que léchait la rive de la rivière. De tout le trajet, il n’avait pas aperçu âme qui vive. Au petit galop dans la rocaille et les buissons, debout dans les étriers, les rênes dans la main gauche, il avait dirigé son cheval vers un petit groupe de tertres semi-boisés.
Ils avaient commencé à escalader la première butte à proximité, un mamelon comme ils en avaient gravi et redescendu des dizaines depuis le matin. Et toujours, derrière, de nouvelles crêtes moutonneuses d’autres tertres, des dentelles sombres de forêts de pins, des couleurs délavées, des frappes de soleil trop fortes. Toujours le ruban d’argent fondu que déroulait la rivière parmi l’enchevêtrement de ces brousses et de ces plaies sèches. Ils gravissaient la butte de biais, bien que la pente fût plus qu’aisée. Pour le plaisir, pour que l’allure et le balancement régulier imprimé par le pas de sa monture ne soient modifiés en rien. À peine une secousse coulée, quand il trouvait sur le chemin un de ces grands arbres morts, effondré, aux moignons de branches comme des herses levées. Croissant de nouveau après sa disparition de midi, un peu d'ombre se coulait, rampait sur les pierrailles et les mottes. Xander avait démonté à mi-chemin, jeté les rênes sur une branche de genévrier, et sortit ses jumelles des fontes. Lui et le corniaud avaient continué à pieds et à pattes, sans un mot ni un grognement, évitant quelques épineux acides, comme des boules de méchanceté semées là intentionnellement et s'étaient arrêtés au sommet, sous un bouquet de pins. De cet endroit, ils pouvaient voir dans la vallée, le cours d'eau, et là-bas, au delà des rives, cette espèce de mauvaise clairière sous la falaise.
Xander s'était juché sur l'affleurement de basalte noir du sommet, en partie dissimulé par un buisson d’arroche. Un basalte poussiéreux. Il s'était affalé contre un roc plus petit aux arêtes acérées, la tête dissimulée par trois pierres à la manière des natifs. L’œil vissé aux jumelles, il scrutait attentivement, le terrain moutonneux qui allongeait à l'infini devant lui. Le soleil rasant le cognait crûment par la face. Très haut dans le bleu profond, un faucon pèlerin décrivait de grands cercles au dessus de lui. Xander portait l'uniforme de l'Ouest : chapeau de feutre à larges bords enfoncé presque jusqu'au ras des sourcils, le haut cabossé des coups de poing reçus, le ruban maculé de boue et de sueur séchée, foulard noué deux ou trois fois autour du cou, chemise de coton d'une couleur indéfinie tant elle était usée, délavée, et qui conservait toujours l'odeur aigrelette de la sueur d'homme et de cheval, jeans et pour une fois, larges leggings de peau brune, râpées, déchirées, zébrées par les buissons épineux et le frottement du lasso, sur des bottes aux talons éculés, couvertes de poussière, paire de gants de cuirs...
D'énormes gouttes de sueur perlaient sur son visage hâlé et mal rasé, coulant aux ailes du nez, sur ses joues malgré le foulard tiré sur le visage. Parfois, il levait une main pour soulever son chapeau, gratter sa tignasse blonde indisciplinée, puis essuyait rapidement cette sueur désagréable, Même le chien n'avait pu tenir le coup en plein soleil, tout le long du chemin suivi, il l'avait vu se glisser prestement sous les buissons, cherchant l'ombre fraîche ou bien s'étendre, comme une bête piégée, dans quelque grimace d'ombre de rocher, haletant, la langue rose pointant hors des crocs.
Le nuage avait grossi, dans la combe, et il grossissait toujours. Il arriva au galop, nimbé de poussière irisée de soleil. Il y avait comme un minuscule arc-en-ciel sur son passage, dans les poussières brillantes, rapidement né et plus vite encore évanoui.
Le bruit des battues ne fut d’abord qu’un léger tremblement lointain, ouaté. Là-bas, loin au pied des collines boisées, le nuage achevait d'enfler. Bientôt, ils purent apercevoir la harde, comme un petit trait noir et mouvant pour souligner le nuage, ainsi que les chevaux qui gravitaient autour. Ils étaient noyés au centre d’un splendide foisonnement de couleurs. C’était le soleil, jouant dans les arbres. Un soleil d'été chaud, débordant de bonne volonté et diffusant des flots de lumière acide. À gauche, la montagne était rouge, jaune, rose avec dessus une odeur chaude. Le soleil y traînait ses écheveaux, et y roulait. À droite, il y avait une autre forêt, d’autres monts, bleus, sombres, profonds, des vagues de coteaux et d’arbres lourds et immenses.
Le troupeau s’engageait sur une pente qui inclinait pour aboutir à un endroit où des tas de sable chassés par le vent permettaient à des pousses de thé mormon et à quelques genévriers étiques de pousser. Il avançait d'une allure lente et régulière. S'étalait sur près d'un kilomètre le long de la piste. Souvent un poulain aventureux ou un groupe de pouliches et de juments s’écartaient de l'autre côté du val. Les minuscules silhouettes de plusieurs autres chevaux, des leaders, débusquaient de partout des petits groupes d'animaux qui s'étaient volontairement éloignés pour les ramener dans le giron du gros de la horde. Des groupes familiaux s'étaient regroupés pour une sorte de grande transhumance commune marchant de concert sous l’œil vigilant des étalons. Le cheminement du troupeau devrait être plus ou moins long jusqu’à leur pâturage en montagne, là ou l'herbe étaient certainement plus verte et plus tendre. Les taons et les mouches à chevaux, fourmillaient. Les queues fouaillaient. Les insectes devaient piquer atrocement.
Au bout du plateau, la rivière coulait dans un arroyo où le val s'était resserré, rien qu’un val, et l’herbe d’une saison écoulée y était encore haute, à peine froissée par le souffle de l’été. Le vent qui passait avait une odeur nouvelle. Les bêtes de tête se précipitaient pour boire. Bientôt ce fut la bousculade. Il fallait dégager les premiers pour permettre au reste du troupeau qui s'entassait dans l'étroit passage d'accès, piétinait, se serrait flanc contre flanc en hennissant, d'accéder au cours. Poussées par les suivantes, les premières bêtes renâclaient, refusant le contact de l’eau. La grande femelle aubère aux balzanes noires et aux crins couleurs de nuit qui s’était toujours trouvé en tête du troupeau fut la première à se ressaisir. Elle avança, de l’eau jusqu’au poitrail, puis stoppa net. L’eau n’était pas profonde. À peine arrivait-elle aux ventre des chevaux. Il n’y avait qu’un clapotement régulier, doux. Des canassons s'esquivaient à travers le gué de l'eau jusqu'au ventre, remontant déjà l'autre berge, tandis que d'autres bêtes prenaient leur place. Les chevaux, lèvres serrées, buvaient. Sous le poil luisant de sueur une petite boule remontait à chaque gorgée, le long de leur cou.
Ceux qui étaient passés, se rassemblaient en rond au centre du val au pied d'un falaise en arc de cercle. Le troupeau paissait tranquillement, agité de temps à autre par un hennissement isolé. Il formait une grande tache mouvante sous les rayures du soleil, un melting-pot rassemblant toutes les coloris de robes possibles, un melting-pot de taches aux tonalités rousses, jaunes, brunes, noires, grises, foncées, fauves, crèmes, bais, alezanes, pies, tachetées... plus paisible qu’un troupeau de moutons. Il n’y avait pas de chiens jappant, et les bergers étaient ces étalons à la silhouette fière et majestueuse. Ils arrivaient au pas après s'être désaltéré, dans le plus complet silence. Pas un cri, pas un hennissement, rien. Que le doux bourdonnement des sabots dans l'herbe. C’était un spectacle noble et beau, plus noble et plus beau que tout ce qui peut être. Au fur et à mesure, les bêtes s'arrêtaient, se couchaient, d'autres broutaient. Les petits tétaient leurs mères, avec des grands coups de museau, goulûment.
Le troupeau avait traversé. L'ombre des grands arbres se jouait sur la surface de l'eau, et diaprait le courant calme et redevenu silencieux. Au fond du pré, fier et droit, un vieil étalon bai, se tenait à la tête de sa harde, face au vent. Tous muscles tendus, crinière au vent et queue hérissées.
Il parcourut tous les alentours avec beaucoup d’attention, modifiant la mise au point au fur et à mesure que le champ s’élargissait. Sur sa gauche, il détecta un mouvement. Ajusta sa vision. Un petit groupe de mâles célibataires galopaient sur la pente en direction de la trouée, juste là où le rocher détaché faisait comme une brèche. Et il repéra Smoke, l’étalon piaffait doucement, tournant la tête vers ses juments à l'écart. Il s’était élancé, et la horde avait pris le galop, une trentaine de juments, pouliches, yearlings et poulains, le naseau humide, dans un grand nuage de poussière neuve. Sa luisante robe grise pommelée fumait.
Il y avait aussi ce cheval domestique, sellé, solitaire. Aucune trace de son cavalier. Un fugitif. Xander avait observé son manège. Chassé par trois fois. Deux fois par des étalons du grand troupeau, la première par le grand moreau pangaré, très agressif et la seconde par un rouan aux balzanes et crins noirs. Il avait tenté le coup de s’infiltrer dans le petit troupeau plus au nord, celui de Smoke, mais l'étalon à la robe pommelée couleur fumée l'avait brutalement expulsé. Tyree se demanda un instant s'il ne valait pas la peine qu'il tente de le récupérer. Quelqu'un devait bien le chercher quelque part.
Il repéra aussi à cinq cent yards en aval de la harde, la huitaine de loups qui patientaient. Le chef de la meute était assis sur son arrière-train près d’une touffe de sauge observant aussi le vieux mâle et les bêtes écartées du troupeau qu’il gardait. Deux louveteaux jouaient à se battre près de la rivière. Plusieurs des autres loups adultes somnolaient, aussi placides que des chiens de cour de ferme.
Aucune trace de Hanswurst, le tobiano de Bummer. Même pas au milieu du troupeau. Un poney sociable, docile et coopératif, qui n'avait qu'un seul défaut, une peur panique de tout ce qui rampait, ondulait ou se tortillait sur le sol. Il avait pris la tangente alors que Bummer le descellait, après avoir proprement déboîté la barre d'attache de son piquet, lorsque ce lézard au ventre bleu, ce lézard des palissades était sorti comme un diable de sous le trottoir du perron. La cavalière avait voltigé à trois yards sous sa selle, les quatre fers en l'air. Le pinto avait filé en sautant la clôture sous le nez de Llano en train de réparer. Droit vers le nord-ouest. Xander avait tracé jusqu'à la nuit. Celle-ci avait été désagréable, les moucherons pénibles. La chaleur était étouffante et avait à peine fléchi. Le corniaud avait tout de suite retrouvé la piste au petit matin, après le bivouac. Il filait en flèche avec une vélocité incroyable en poussant ces jappements sourds et saccadés des limiers sur la piste, dans la direction empruntée par le pinto.
Il laissa retomber ses jumelles. Xander promena un regard clair et négligent sur la crête du coteau, à sa droite. Quelques roches blêmes et plates, crevant le sol, désordonnées, couronnaient la crête molle avec, là aussi, deux ou trois pins droits épargnés par la foudre, la branche raide. Plus loin que les touffes d’herbe raide, plus loin que les troncs étendus et blancs. Un regard qui se serait à nouveau perdu dans l’immensité du ciel déteint, si un mouvement ne l’avait attiré, là, derrière deux roches plates reflétant le soleil comme des miroirs et envahis par la petite brousse frisante. Un mouvement. Xander vit le cavalier. Il l’aperçut par hasard. Son regard était justement tourné dans la bonne direction et, à cet instant, l’homme bougea. En silence, comme écrasé par la lourde chaleur, le sombrero noir gravissait un tertre de terre sèche, une sorte de vague dénivellation couverte par endroits de touffes d’herbe raide. Sur les pentes achevaient de sécher des squelettes d’arbres écroulés, blanchâtres. Xander laissa longuement passer sa langue sur sa lèvre supérieure, bousculant les poils de sa moustache. Il orienta ses jumelles dans cette direction. Toujours le même regard, il n’avait eu qu’un froissement des paupières. Il réajusta les jumelles, améliorant la qualité visuelle à l'aide de la molette. La silhouette menue était montée sur un canasson à la robe nuit, à la face toute blanche et aux grandes balzanes de même teinte et avançait résolument mais avec lenteur sur cette herbe invraisemblablement verte, vers le fuyard harnaché, immobile au mitan des herbes, des armoises et des graminées de la petite prairie.
Le chien s'était couché sur le tapis rocheux à ses côtés. Pattes-Molles s'était dressé et, posant ses pattes de devant sur l'émergence rocheuse, il frottait son nez contre Xander. Tyree le caressa en lui adressant quelques mots de tendresse, sans le regarder. L'animal qui refusait les caresses habituellement venait les quémander.
Xander, quant à lui, n’avait pas quitté la silhouette des yeux, observant la façon qu'avait Sombrero Noir de croiser les rênes, d'utiliser les aides, les mains légères et au contact, les bras décontractés, il était certain d'avoir déjà vu cette façon de monter, cette façon d'être en harmonie avec sa monture avec un corps relaxé et souple, le dos droit, cette façon douce et attentionnée d'accompagner les mouvements de l'animal sans le gêner dans une posture fiable et équilibrée, avec une assiette liante, des jambes adhérentes et relâchées.
L’homme eut un sourire amusé, très rapide. Il se redressa, ôta son chapeau, déboucha sa gourde et but une gorgée, faisant passer son poids d’une jambe sur l’autre. Puis il nettoya les verres des jumelles avant de les braquer à nouveau. Il sifflota un peu. Le bai, joueur, ne se laissait pas faire. C’était la troisième fois que le hongre agissait ainsi. Il stoppait, la tête levée, faisant face au cavalier. Sa crinière et sa queue volaient sous le vent. Par deux fois, Sombrero Noir avait cru qu’il pourrait enfin le rejoindre. Il avait poussé doucement son cheval, pas après pas. Les yards diminuaient lentement, séparant de moins en moins l’humain du cheval. À chaque fois, le sombrero y avait cru. Puis, au dernier moment, à l’instant de saisir les rênes, l’animal voltait brutalement et reprenait sa course, moqueur, semblable à un chien qui joue.
Xander redescendit vers l'appaloosa. Mais au moment d'enfourcher l'alezane capée de blanc, il eut la surprise de la voir de nouveau s'esquiver. Le même coup qu'elle lui avait fait la veille en tentant d'éviter le pansage et le matin même en refusant le sellage. Il l'examina indécis. La jument fouaillait de la queue. Depuis le matin, il sentait la femelle nerveuse, irritable. D'habitude, elle obéissait à la moindre impulsion, au claquement de langue, à la légère pression des mollets et la jument reprenait la piste au petit trot. Hors toute cette journée, elle avait manifesté une une réticence à aller de l’avant, eut des foulées réduites ou limitées, un engagement réduit des postérieurs et ne cessait de se camper et de vouloir uriner. Elle levait la queue... Il jura. C'était vraiment pas de chance, il aurait du compter les semaines...
Ils durent descendre du sommet de l'éminence par une piste de terre défoncée, la sente descendait sans trop de rudesse, serpent dans les halliers, serpent gris de cailloux et de terres mêlées, serpent au milieu des épines qui pointaient. et traverser une étendue plane couverte de sauge rabougrie par la sécheresse jusqu'à un boqueteau en bordure de la colline herbue. Xander s’arrêta à l’orée du bois. Cette fois Sombrero allait réussir. Le fugitif semblait hésiter, chercher un moyen de rendre le jeu plus palpitant encore. Xander frotta machinalement sa barbe drue, s'essuya les lèvres. Le léger mouvement alerta le grand hongre bai. Celui-ci leva la tête très étonné. Il demeura figé une seconde, regardant l'ombre silencieuse dans les halliers. Et durant toute cette longue seconde, la gamine crut pouvoir saisir les lanières de cuir. Puis, comme un jeune chevreau joueur, le cheval fouailla, fit volte-face et décampa rondement. Merde, C'est de ma faute, songea-t-il. Xander le regarda s'éloigner avec au fond de ses yeux pâles, une sorte de dépit non dissimulé. Il n'avait pas voulu cela. Il s’était pourtant arrêté à bonne distance pour ne pas effrayer le cheval.
La surprise tomba de tout son poids sur l'ancien ranger, à la seconde même où il vit que la mexicaine se retournait, dans cette seconde fulgurante où il s'aperçut que la señorita pointait ostensiblement le canon de son arme un peu trop droit vers son ventre. Il ne l'avait jamais vu armée jusqu'à maintenant. « - ¿Quién va allí? Qui va là ? » Le visage d'Isabella était quelque chose de totalement inexpressif. Mais pas son doigt, sur la gâchette.
« - Holà, Isabella, c'est parce que je vous ai fait danser que vous voulez m'abattre... » Xander abaissa le foulard qui masquait le bas de son faciès barbu. Il n'y avait pas le plus petit symptôme de peur sur son visage, ni dans le ton rauque de sa voix. Simplement, beaucoup d'ahurissement. Une sorte d'amusement incrédule aussi. Il sourit au visage mince et bronzé semblable au cuivre sous l'ombre du sombrero, aux cheveux noirs tirés sévèrement en arrière, aux deux yeux sombres qui s'assombrissaient et le foudroyaient, aux lèvres bien dessinées qui se serraient en un trait. « - Je suis désolé... » Il eut un vague hochement de tête vers la direction prise par le fuyard. « - Je crois que nous avons le même problème, chica. Je suis à la recherche du poney de Leo. Un pinto tobiano noir et blanc, crin blanc, queue mixée noire et blanche. Il a toujours son filet sur la tête. Je pense que sa longe doit traîner vers le sol. L'avez vous vu ? »
Une idée émergeait dans son esprit. Xander eut un nouveau sourire rapide et dit : « - Isa, ça vous dit qu'on se donne un coup de main pour rattraper nos fugitifs ? »
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En galère mais débrouillarde
Dim 10 Nov - 22:26
De longues secondes qui lui parurent une éternité, Isabella observa le cavalier solitaire qui venait à sa rencontre, perché sur une jument appaloosa alezane capée.
L’homme avançait seul. Une silhouette effacée dans la lumière crue du désert, avec pour seule compagnie un chapeau de feutre cabossé, ombrant à peine un visage buriné par le soleil. Les bords du chapeau, froissés et marqués par les années de chevauchées, se paraient de terre et de sueur incrustée. Des souvenirs figés des miles parcourus à l’Ouest et d’innombrables jours passés sous le ciel ardent. Un bandana fatigué, enroulé négligemment autour de son cou, formait une barrière dérisoire contre les rafales sèches qui soulevaient le sable chaud.
Sa chemise en coton avait dû porter des pigments, il y a longtemps. Maintenant passée au gris, elle se collait par endroits à la peau de l’inconnu. L’étoffe gardait avec indifférence les traces de la poussière et de la fatigue, marquée par un long voyage. Sur ses épaules et ses bras se tendaient des manches roulées et effilochées, témoins d’une lutte contre les éléments des sentiers escarpés. Ses jambes étaient protégées par de larges guêtres en cuir tanné, râpées et marquées de zébrures sombres laissées par quelques buissons épineux et d’autres obstacles invisibles au milieu des plaines arides.
Ce cavalier semblait fait de la même matière que la terre qu’il foulait, tant et si bien qu’elle ne le reconnut pas au premier coup d’œil. Le bras toujours tendu, au bout duquel le colt tremblait à peine, elle le scrutait, songeant qu’elle reconnaissait vaguement ce flegme dans la façon de tenir les rênes et de s’enfoncer dans la selle avec un bassin à la fois souple dans l’accompagnement et raide dans l’encadrement. Ce ne fut que lorsqu’elle tomba dans son regard d’un bleu clair comme le fond des lagons qu’elle écarquilla les yeux.
Juste après, il ouvrit la bouche. Elle reconnut immédiatement la voix. Une tonalité qui l’appelait par son prénom.
Les plaines californiennes ne devaient pas être assez grandes pour se passer de lui, nom de nom…
Le palpitant battant à tout rompre, Isabella reprit enfin son souffle, mi-soulagée, mi-dépitée. Elle s’empressa de jurer :
— Par tous les enfers, Xander ! ¡Qué carbón! Vous m’avez fait putain de peur !
Elle allait lui dire qu'elle avait failli tirer, mais non, vraiment, elle ne l’aurait jamais fait. Pourtant, la scène, tangible à une maladresse près, venait de se jouer dans son imagination et y avait laissé une sensation glaçante. Elle en frissonnait.
Tout de suite, elle le lâcha des yeux alors qu’il croyait utile de se découvrir la face pour observer dans quelle direction Thunderheart s’était barré. Un peu tremblante à l’idée qu’elle aurait pu laisser partir le coup et le blesser, elle remit la sécurité du colt et rangea l’arme à l’arrière de sa ceinture, contre ses reins. Elle reprit ses rênes pour toiser l’homme.
Depuis la Foire d’été, ils ne s’étaient pas recroisés. Il n’avait pas changé. Toujours ce sourire suffisant au coin des lèvres, à la fois amusé et incrédule de la retrouver, comme lorsqu’il l’avait trouvée dans le bureau de Goldstein. En revanche, il avait l’air sincèrement désolé d’avoir interrompu la capture qu’elle menait. Alors elle voulut lui accorder le bénéfice du doute.
Que foutait-il ici ? Pourquoi était-il si loin de Crimson Town ? L’avait-il suivie ?
L’option lui paraissait assez irréaliste. L’un et l’autre avaient d’autres chats à fouetter. S’il avait vraiment voulu la retrouver pour finir cette conversation qu’ils n’avaient pas terminée sur la piste de danse, il aurait fait comme les autres : il serait venu la retrouver à la sortie de la messe, au saloon ou à son retour du ranch des Beauchamp. Il ne l’aurait pas spécifiquement suivie jusque-là.
L’ancien diable rouge ne tarda d’ailleurs pas à se justifier sur ce qui l’amenait. À peu près la même chose qu’elle, à vrai dire : le poney de Leo, la mère de Dixie, avait pris la fuite et s’était mêlé au troupeau. Il s’agissait d’un pinto tobiano. Selon ses dires, il portait encore la bride sur la tête.
Quand il lui demanda si elle l’avait vu, Isabella fit « non » de la tête et se retourna pour scruter les chevaux qui défilaient toujours en contrebas.
Et il proposait d’unir leurs forces pour attraper les deux échappés. Isabella fronça les sourcils, assez mal à l’aise à l’idée de perdre un temps précieux pour trouver l’animal qu’il coursait. Le sien n’était pas loin. Elle aurait bien plus vite fait de mettre la main dessus et de le laisser à ses recherches.
Néanmoins, la Mexicaine n’avait rien d’une idiote : elle savait que la journée était bien avancée. Bientôt, la nuit tomberait. Elle n’avait pas très envie d’être totalement seule pour dresser un campement. Si Tyree acceptait de la raccompagner, elle avait tout intérêt à ne pas décliner cette main qu’il lui tendait.
— Oui, on peut essayer, accepta-t-elle sans longuement tergiverser. On fait d’abord le vôtre parce qu’on ne pourra pas le poursuivre avec un cheval en dextre. Ensuite le mien, si vous voulez.
Elle parlait comme son père. Quand il y avait à faire, son côté cartésien et très militaire ressortait plus franchement qu’à l’ordinaire.
En guidant Solace, elle monta la petite colline en plissant les yeux pour scruter le troupeau qui, inexorablement, avançait comme un torrent. Elle scrutait, plissant un peu les yeux sous son sombrero, toutes les têtes pour y voir briller une boucle, les montants sombres d’un filet, une muserole ou une sous-gorge qui se détacheraient sur le blanc d’une robe.
Patiente et concentrée, elle s’était accoudée au pommeau et jetait, de temps à autre, un œil au cheval bai qu’elle pourchassait, juste pour s’assurer qu’il ne s’était pas volatilisé.
— Avant que le soleil se couche, ça serait mieux… maugréa-t-elle pour elle-même, alors qu’elle ne distinguait pas encore l’animal pourchassé par l’ex-confédéré.
Et puis, vivement, comme un sauvage décochant une flèche, elle tendit un bras au bout duquel un doigt pointait distinctement dans une direction. En contrebas, sur l’herbe grasse, à l’exact opposé de leur direction, elle avait l’impression de distinguer un animal qui correspondait à la description. Un tobiano avec une longue queue qui raclait le sol et le ralentissait à chaque fois que, par mégarde, il marchait dessus, en ployant de la nuque pour se dégager et en dilatant ses naseaux comme un poulain agacé.
Elle attendit la confirmation du cavalier qui le connaissait pour s’élancer avec lui et le capturer proprement.
Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde
Xander Tyree
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Mustang Catcher
Sam 16 Nov - 20:30
Xander avait bien senti sa réticence dans le ton. La boiteuse n'avait pas manifesté un enthousiasme délirant à l'idée de l'aider à l'aider à récupérer le pinto. Isabella n'avait accepté l'aide proposée que du bout des dents et s'était empressée de prendre les choses en main. Il la comprenait aisément, elle aurait sans doute préférer capturer sans aide le bai fugitif et décamper avant la nuit. Sur la pouliche noire, Isabella gravissait la pente herbeuse de la colline l’œil fixé sur le troupeau. Celui-ci continuait de s'épandre dans l'herbage par petits groupes familiaux. On pouvait voir briller les croupes, voler les crinières quand un mouvement du cou les secouait joliment. Parfois, un hennissement sourd s’élevait au-dessus de la harde. Le troupeau allait s’arrêter sur ce plateau mince qui suivait le cours d'eau et tombait dedans à pic, sur quelques yards. De l'autre côté, en bas de ce plateau, la plaine coulait jusqu’aux collines. Du côté de l'ouest, au couchant, le plateau était bordé par une forêt de pins. Les étalons du troupeau avaient bien choisi leur halte pour la nuit, une belle meadow californienne, nichée classiquement dans le fond de la vallée où la très faible pente limitait les écoulements et permettait ainsi le maintien de l’humidité et d’une riche flore herbacée. Plus loin, le paysage très vallonné au delà des collines devenait plus aride...
Xander se releva sur ses étriers à son tour, cherchant du regard le pinto sans le trouver. Le grand hongre d'Isabella s'était arrêté à l’orée d'un petit bois, sous le couvert symbolique d’une éruption de pins-taureaux. Le ranger fixait l’animal arrêté, et il y avait de longs moments entre chaque battement de paupières. Il réfléchit très vite. Adopter la même attitude que les trois fois précédentes pour Isabella ne pouvait rien amener de positif. Indubitablement, le hongre poursuivrait son petit manège de jeune fou. Il laisserait venir sa poursuivante, bien tranquille, puis il lancerait un cri joyeux en voltant. Et c’est la que cela devenait sérieux. Droit devant, après un mile de course ou à peu-près, la vallée se coupait, arrêtée brutalement par une falaise abrupte qui tombait de trente ou quarante yards plus haut sur la grande plaine. Approximativement, le plissement avait la forme d’un demi-cercle. Hormis le chemin d'accès par la rivière, mais leur présence leur permettrait facilement d'intercepter le fuyard dès qu'il serait empêtré dans le courant et de détaler par là, il n'y avait que deux autres voies pour sortir. Il les avait repéré dans ses jumelles. Isabella ne savait probablement pas que l'un des seuls autres passages d’accès se trouvait justement vers la trouée au nord à la limite de la falaise. Si le bai s'y engageait en jouant, la mexicaine en aurait pour des heures à essayer de le rattraper en grimpant la masse énorme de la montagne, et ses pentes caillouteuses, à peine haute et pourtant gigantesque, trapue comme une bête. Elle ne l'aurait jamais avant la nuit. Le cheval ne pouvait pas filer vers le sud, la prairie était coupée par une ravine. Une ravine qui devait à l'estime avoir environ entre trois et dix yards yards de profondeur, bordée tout au fond, d'épineux et de cactus. Restait le second chemin, c'était la plaine coupée entre la forêt et les collines. Là était le danger. Là, dans ces broussailles qui noyaient le pied des coteaux, à proximité des berges, les loups étaient tapis, silencieux, obéissant au grand fauve au pelage noir. La masse du troupeau et l’agressivité des étalons allaient décourager lla pugnacité des loups. Seuls les animaux isolés seraient menacés. Pas seulement les animaux. Il n'allait certainement pas laisser la chicana seule avec une meute en chasse à proximité, même si ça ne lui faisait pas plaisir de le voir à ses côtés.
Il faisait chaud et la chemise moite lui collait aux creux des reins. Ses lèvres et sa langue étaient sèches, les mains poisseuses de sueur dans les gants, et le chapeau ressemblait fortement à une sacrée petite étuve posée sur la tête. Il poussa la jument encore une fois rétive sur la pente, rejoignant la mexicaine, courbée sur le pommeau de sa selle et qui scrutait attentivement le troupeau et la prairie. On entendait le bourdonnement des abeilles sauvages.
Poulette fit un grand écart, piaffant doucement, tournant la tête. Encore une fois, elle refusait d'aller de l'avant. Il se courba, penché sur l'encolure et caressa avec douceur sa jument entre les oreilles. « - Calme toi, chica ! » Il risqua un coup d’œil vers la cavalière. Des mèches de cheveux noirs dépassaient du sombrero, voletant dans la petite brise.
Finalement, il était assez content de s'être accouplé pour la circonstance avec la señorita, jolie personne brune, petite et malingre mais futée et pétillante et devenue bien plus hardie qu'elle ne l'avait été dans le bureau de l'usurier et autrefois dans le Gila. Hey, hardie, ouais, même pour la gifle. Il ne l'en aurait jamais cru capable et n'en revenait toujours pas. Il se frotta machinalement la joue à ce souvenir cuisant, essuyant machinalement la fine pellicule cireuse, couleur de cendre qui maculait sa joue, dans laquelle les gouttes de sueur avaient tracés leurs rigoles.
Bien sûr, il avait encore eu droit à la même soupe à la grimace qu'elle arborait à chaque fois qu'ils se croisaient. Il avait bien songé à aller lui rendre visite sur son lieu de travail chez les frenchies, rien que pour voir, et aussi pour lui remettre son argent mais y avait renoncé, plus par crainte que le trader ne le fasse espionner et ne finissent par tirer des conclusions hâtives pouvant la mettre en danger. Et après la Foire, et bien, au vu du regard de propriétaire de la blondasse, pas particulièrement amical, il avait préféré éviter de se risquer à portée des treize balles de la Yellow Boy. Pas par lâcheté mais pour ne pas mettre Isabella en difficulté. De toute façon il aurait pu la croiser n'importe quand et n'importe où à Crimson et sans grand risque. Ils ne s'étaient pas revu depuis un mois, depuis la Foire, et elle l'avait pourtant reçu comme s'il était la dernière personne sur terre qu'elle eut souhaité voir. Il n'avait pas pu bien voir les yeux de la Matamoros caché dans l'ombre du sombrero tandis qu'elle le toisait. Il l'énervait probablement. C'était pas gagné pour faire évoluer leur relation vers moins d'animosité. Pendant un moment, quand elle l'avait fusillé du regard, sans rien dire avant de soupirer en jurant et de ranger lentement au creux de ses reins le vieux Pocket 1849, oui pendant quelques courtes secondes, il s'était demandé si elle n'avait pas été tentée de faire feu même après l'avoir identifié. Quand à l'insulte, cabrón, il se contenta de la ranger soigneusement dans un coin de sa mémoire. C'était la seconde fois qu'il entendait ce mot saillir de la jolie bouche de la chica. Une fois, ça passait. Deux c'était déjà beaucoup, surtout quand ces deux fois étaient pour lui.
En arrière, un bruit léger lui indiqua que le chien venait de déboucher des broussailles. Il regarda par dessus son épaule, suivit du regard le bâtard se glissant silencieusement dans les herbes hautes, les dépasser au petit trot, yeux et oreilles fixés sur la vallée, puis se figer sur place dans un carré de sauge desséché, levant la tête pour humer l'air.
La colline basse où ils se trouvaient avait la forme d’un croissant très étendu, aux pointes tournées vers le sud-ouest, à quelques dizaines de yards environ de la rivière. La surface éclatante de la rivière scintillait comme de l’argent. Après le passage des chevaux, des franges d’écume bavaient le long des berges, dans les joncs et les souches emmêlés. Des oiseaux, quelque part, se démenaient tout ce qu’ils savaient pour attirer l’attention. Isabella tendit soudain le bras. Des mamelons roux s’étiraient nonchalamment vers cet endroit, l’air était parfaitement immobile, aussi transparent que l’eau claire de la rivière. Il vit distinctement une tâche noire et blanche. Isabella avait les yeux de la jeunesse.
Il fit avancer Poulette de quelques pas, stoppa au sommet au coté d'Isa, porta ses jumelles à ses yeux et vérifia. « - Sangre ! » dit-il. C'était bien Hanswurst. Le petit poney yaqui s'était arrêté. Un moment encore, reniflant le vent, le hongre noir et blanc resta tout droit, de marbre, comme une statue, tous muscles tendus, crinière et queue hérissées. Le cheval était anxieux, le signe le plus visible était sa tête levée en l’air, avec une tension visible dans les muscles du cou. A travers les jumelles, Xander distinguait les yeux grands ouverts, les narines évasées. Il semblait renifler, les oreilles oscillant d’avant en arrière, signe que le canasson était dans un état d’anxiété et de vigilance accru. Il essayait de localiser la source d’une odeur effrayante ou il était peut être submergé par trop de stimuli. Xander compris soudain pourquoi il ne l'avait pas repéré, le cheval s'était planqué dès qu'il avait détecté la présence des prédateurs dissimulés sous le vent. Et la brise soufflait vers lui. Il se demanda pourquoi il avait décidé de changer de place. Le tobiano alarmé tentait de déterminer s’il devait fuir, enquêter ou ignorer.
Les jumelles glissèrent le long de la berge à la recherche de la meute. Ils n'étaient plus à leur emplacement initial. Il fit courir ses jumelles observant le terrain mètre par mètre.
Le grand loup se dressa soudain sur ses pattes au milieu des oculaires. C’était une bête haute et efflanquée, au manteau noir dont les pattes semblaient mal proportionnées à son corps. Pris individuellement, chacun d'entre eux auraient pu ressembler à des animaux de compagnie plutôt qu’à des prédateurs, et pourtant ils se dressèrent tous dés que le signal fut donné par le meneur. Leur force létale ne devint évidente que lorsqu’ils se mirent en mouvement. Elle ne provenait ni de leurs muscles ni de leur agilité, elle résultait de l’intelligence collective qui donnait à la meute une détermination et une férocité implacable. Tous ensemble, ils devenaient une force mortelle, une flèche dirigée vers une unique cible. Le mâle dominant trottait vers la brèche. Il se mit à courir au bout de quelques mètres. La horde, les adultes et les jeunes âgés de un ou deux ans, se déployèrent derrière lui avec une précision et une coordination que Xander trouva presque militaire. Même les louveteaux semblaient connaître l’objectif recherché. Ils disparurent lentement derrière de maigres sapins. Dans moins d'un quart d’heure, ils seraient de l’autre côté et, ensuite...
Xander tendit les jumelles à Isabella Le seul problème, c'était qu'il ignorait encore quel animal était leur cible. Sa seule certitude, c'était qu'il s'agissait d'un animal isolé.
Il tira sa Sharp du scabbard. Xander arma à demi le chien, abaissa doucement le levier vers le bas pour ouvrir la culasse et enfonça une douille dans la chambre, ajoutant une amorce neuve. Puis il cala la carabine en travers de la selle, au dessus de ses cuisses, contre la corne du pommeau. Il croisa le coup d’œil étonné de la mexicaine. « - C'est pas pour tirer les chevaux, ne vous inquiétez pas ! » Il arma le chien du colt. « - Y a une meute de loups en aval à un demi miles environ ; six adultes, deux louvarts et deux louveteaux. » Puis il soupira : « - Et ce n'est pas non plus pour le plaisir d'abattre ces pauvres bêtes, si je peux l'éviter. C'est pas pure précaution ! »
La jument renâcla à plusieurs reprises, stressée ou agacée, les oreilles plaquées en arrière. Sa queue battait d’un côté et de l’autre, tout comme sa tête. Il sentait son malaise. Pas de pot qu'elle soit en chaleur. Elle continuait de manifester de la mauvaise volonté, frappant la terre en levant et en abaissant alternativement chacun des pieds de devant. Le cheval ronfla deux ou trois fois encore, puis il se calma. « - Adelante, querida ! » dit-il sans préciser à qui il s'adressait. Un claquement de langue, une légère pression des mollets lança la jument sur la pente au petit trot, Pattes-Molles le précédait, jetant parfois un regard intelligent sur lui et semblant avoir conscience du motif qui le faisait voyager avec une telle hâte. Il laissait à Isabella le choix de le suivre ou non...
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En galère mais débrouillarde
Sam 16 Nov - 23:52
Ce n’était pas la présence du ranger qui perturbait la boiteuse. La réticence et le manque d’entrain provenaient surtout du déclin de l’astre solaire, qui, au loin, semblait avoir dépassé largement les quatre heures de l’après-midi. L’idée de passer une nuit avec l’ex-sergent confédéré, un troupeau de chevaux, et l’immensité des plaines avait un air de déjà-vu, comme disaient les français, qui, étrangement, ne lui plaisait pas vraiment.
Depuis la gifle et la danse, Isabella avait repensé au sergent Tyree à plusieurs reprises. D’abord, parce qu’il avait recommencé à hanter quelques-uns de ses cauchemars. Ensuite, parce qu’elle lui avait promis de présenter ses excuses à la jeune Swan. Une promesse que la mexicaine avait tenue pas plus tard que le dimanche précédent. Mais l'ancien diable rouge, depuis qu’il avait acquis son domaine, était aussi devenu une figure presque incontournable dans le paysage de Crimson Town. Au saloon, elle avait entendu, de-ci de-là, quelques nouvelles à son sujet. La conversation qu’ils avaient eue sur la piste de danse de la Foire d'été lui avait laissé une impression d’inachevé. À plusieurs reprises, elle avait envisagé de passer voir ce qu’il faisait de ses affaires et si, d'une façon où d'une autre, elle pouvait l'aider. Mais elle s’était ravisée, consciente que ça aurait pu s'apparenter à une forme de voyeurisme. Elle en avait déjà eu un aperçu suffisant chez Goldstein : il avait une bande, avec lui, quelques ressources et un esprit suffisamment ingénieux et aiguisé pour tirer le meilleur de tout ce qui passait entre ses mains aguerries. Une réussite éclatante, gagnée à force d'usage d'armes à feu et grâce à quelques retournements de situation favorables. Ça aurait été retourner le couteau dans la plaie de se présenter et de noter ce que, lui, aujourd'hui avait alors que, à elle, il ne lui restait plus que le travail de ses main. Sans compter qu’il valait mieux, après le passage dans le bureau du prêteur sur gage, rester discrets pour sa propre sécurité. Elle n’avait finalement pas eu le temps et avait renoncé. Jusqu'à aujourd'hui, aucune autre occasion ne s’était représentée.
Elle avait essayé de passer à autre chose, absorbée par son travail au ranch des Beauchamps et, lorsqu’elle le pouvait, par d’autres petits boulots. Et pourtant, Dieu l’avait encore mis sur son chemin. À moins que ce ne soit l’œuvre du Malin…
D’un œil se voulant conciliant, Isabella observait la progression de Tyree derrière elle. Pendant qu'il regardait dans des jumelles, sa jument faisait des écarts, renâclait, manifestement contrariée. Elle n’eut pas besoin de la voir rétroverser le bassin et pisser pour comprendre : sa monture était en chaleur. Génial ! À côté d’une horde d’étalons sauvages, c’était comme se tartiner de miel et tenter de passer sous le nez d’un ours affamé ! Exactement ce qu'il leur fallait ! Quelle brillante idée de l’emmener…
Elle se retint de tout commentaire. Tyree était un homme de chevaux expérimenté, et il devait avoir une raison. Ce n'était pas à un vieux singe qu'on apprenait à faire la grimace. Elle acceptait la contrainte, tout comme elle n’aurait jamais osé relever une erreur de son père ou des officiers qui avaient défilé au relais où elle avait grandi. Le respect des aînés faisait partie de son éducation et, comme le reste, paraissait trop ancré pour s'en acquitter en trouvant des prétextes inappropriés.
Pendant que l’homme scrutait le troupeau à travers de petites jumelles, Isabella vit surgir un chien derrière le cavalier : un grand bâtard au poil ras et aux yeux doux. On dit souvent que les chiens ressemblent à leur maître, et elle ne fut pas surprise de voir le ranger s’enticher d’un animal pareil. Tous deux partageaient une même blondeur, une intelligence scintillante dans le regard, et une manière de surgir qui semait la peur. En effet, l’arrivée du chien fit sursauter Solace, qui se planta sur ses quatre membres blancs avant de faire un petit pas en avant, calmée par un claquement de langue de sa cavalière.
Tyree finit par lui confier la précieuse paire de jumelles. Elle les prit précautionneusement en fronçant les sourcils, à la fois inquiète et intriguée. À travers les lentilles, elle chercha le poney tobiano qu’elle avait remarqué : un licol sur le nez, correspondant bien à la description donnée. Mais ce n’était pas ce que Tyree voulait lui montrer. Le cliquetis d’une carabine qu’on arme la ramena à la réalité. Elle détourna son regard des lentilles pour le fixer, perplexe.
Pas pour les chevaux mais pour les loups, il avait précisé.
Intriguée, Isabella chercha à travers les loupes dans la direction indiquée. Elle se débattit pour faire la mise au point, mais finit par discerner des masses noires. Elle ne comptait pas autant de loup que son acolyte, signe que l'homme de l’Ouest les avaient repérés depuis un moment. Elle accusa la nouvelle avec un sobre hochement de tête.
Généralement, les meutes ne s’en prenaient qu’aux individus malades, isolées, les jeunes et les vieux. Que ce soit lui ou elle, ils avaient tous les deux des armes qui, à défaut de pouvoir les tuer sur la distance qui les séparait, auraient le mérite d’effrayer et de repousser les plus enhardis d’entre eux.
Délicatement, Isabella avisa Xander qu’elle avait vu en lui rendant ses jumelles. Elle ne critiqua pas son choix d’avoir sortie la Sharp pour l’armer. Ça faisait un problème de plus à gérer, mais elle avait grandi depuis le désert de Gila. Grâce au lot de problèmes et de gestion de crises qu’elle avait traversés, elle avait gagné en assurance, en calme et en maturité. Pour le moment, il n’y avait pas de quoi s’affoler. Ils pouvaient se concentrer sur l’essentiel : attraper les chevaux. Et, têtue, elle voulait s’en tenir à son plan : d’abord le tobiano de Leo, ensuite le bai qui avait mis John par terre. Dans l’ordre et méthodiquement, simplement, efficacement.
Alors, après avoir laissé passer un petit mouvement de réticence de la jolie apaloosa, elle suivit Xander au petit trot vers le troupeau, en gardant un œil sur Thunderheart. Pour le moment, le hongre, même isolé, se tenait du bon côté. Et puis, même avec une journée de chevauchée dans les pattes, l’animal était encore à le fleur de l’âge. L’équidé arriverait à semer les canidés. En tout cas, c’était ce qu’Isabella voulait penser.
Dans le troupeau, les dominants avaient poussé le reste des chevaux à s’écarter et la trainée de poussière avait doucement pris la tangente. Les animaux sauvage connaissaient ce manège. Ils avaient toujours subi les attaques des carnivores qui ne s’interrompaient qu’après un assaut fugace, parfois infructueux, et souvent périlleux.
Elle reporta donc son attention sur celui que son compagnon de mauvaise fortune traquait. Rapidement, après une analyse de la situation, et pour ne pas perdre de temps, elle proposa :
— J’peux partir devant. Votre jument m'a l’air un peu réticente.
Son idée était simple : approcher au galop, faire décrocher le poney, attraper la longe sous le licol et l’attacher solidement au pommeau de sa selle.
—Vous pensez que le chien pourra travailler sur l’extérieur pour éviter que votre fugitif ne vienne à décrocher ? demanda soudainement Isabella, qui n’avait pas envie de se faire avoir par un arrêt ou un décrochage brusque du tobiano.
Au hochement de tête du maître, elle comprit qu’elle pouvait compter sur l’aide canine. Elle n’allait pas s’en priver.
— Vous me suivez ? Vous faites le pick-up rider dans le cas où je me vautre ? demanda-t-elle avec une pointe d’ironie.
Elle lui sourit de ce sourire qu’il avait quêté lors de leur danse, avant que Charlotte Beauchamp ne débarque pour lui demander de quitter la fête. En se forçant un peu à étirer fugacement ses lippes sans pour autant dévoiler l’émail de ses dents, elle essaya de prendre cette expression qui voulait à la fois se débarrasser des craintes de son interlocuteur tout en sachant pertinemment qu’elle n’avait pas complètement mâtées les siennes.
La manœuvre qu’elle proposait paraissait un peu dangereuse mais elle ne connaissait pas cinquante façon de procéder. Plus vite ce serait fait, plus vite elle pourrait récupérer le cheval des Français et son équipement avant que les loups n’aient décidés d’en faire une bouchée.
D’abord au petit galop, elle poussa sa jeune jument entre les animaux sauvages. A part quelques ruades décochées par prévention et quelques oreilles couchées, Isabella parvint à se frayer un passage jusqu’à l’animal qu’elle convoitait. Derrière elle, elle entendait que Tyree suivait, ne tentant pas de trop s’approcher. Et puis, à mesure qu’elle s’avançait de sa cible, les foulées de galop bien contenue et maîtrisées commencèrent à s’allonger. Jusqu’à ce que le fuyard ne la repère.
Là, le poney tenta de décrocher. Comme il ne pouvait pas se frayer un chemin vers l’intérieure de la harde, il fit un écart. A sa hauteur, le chien, parfaitement opérationnel et guidé par les ordre de son maître, bloquait toute fuite vers le large. Et Isabella maintenait la pression en se décalant de plus en plus vers lui, jusqu’à ce que la petite jument noire à la face blanche ne se mette presque épaule contre épaule contre le poney. Debout sur son étrier, Isabella relança une dernière fois sa monture en avant en saisissant à pleine main une touffe de crin de la main gauche. Elle bascula tout son poids à droite en priant pour que la sangle qui retenait son moignon ne cède pas à ce moment précis. Et, elle tendit le bras pour attraper la longe qui pendait sous la muserole du licol.
Elle retint son souffle. A cette vitesse, rien ne devait être laissé à la chance alors, au moment où sa main se refermait sur la longe, l’estropiée posa son regard au loin. Elle coupa sa respiration pour gagner en stabilité. Et ses doigts se refermèrent… JET DE DES "Agilité" - REUSSITE (13)
… Sur la corde. Elle l’avait eue. Du premier coup et sans avoir à faire une pirouette inconsciente. Elle l’avait. Alors, d’un mouvement bien maîtrisé, elle enroula le morceau qu’elle avait dans sa main à son pommeau en donnant un sacré à-coups. Elle se rassit dans la selle, laissant sa jument se déhancher à cause du lien qui la reliait maintenant à celui que sa cavalière poursuivait.
Pour éviter l’accident, elle essaya de ne pas piler. Cela ne l’empêcha pas, pour autant, d'être copieusement ballotée.
C’était précisément à ce moment que l’aide aurait appréciée. Juste qu’on la rattrape pas la ceinture, par le bras ou pas la manche comme les hommes le faisaient lors des rodéos pour aider le cavalier principal à rester en selle, ou lui donner une opportunité de quitter le navire si les deux chevaux venaient à se croûter. En tirant de toute ses forces sur la longe pour faire levier, elle jeta un œil par-dessus l’épaule pour vérifier que Xander avait réussi à la suivre et qu'elle ne l'avait pas trop distancé.
Todos los hombres estamos hechos del mismo barro, pero no del mismo molde
Xander Tyree
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Mustang Catcher
Aujourd'hui à 23:26
En silence, comme écrasés par la lourde chaleur, les deux cavaliers descendirent le tertre de terre sèche. Une sorte de vague dénivellation couverte par endroits de touffes d’herbes raides et jaunies. Sur les pentes achevaient de sécher quelques squelettes d’arbres écroulés, blanchâtres comme les arêtes de poissons énormes. Des roches blêmes et plates, crevaient le sol, de façon désordonnées, couronnaient la crête molle avec deux ou trois pins droits épargnés par la foudre, la branche raide. Isabella chevauchait à quelques pas devant lui, le corniaud se maintenait à sa droite suivant fidèlement les premiers commandements transmis par Xander. Celui glissa la Sharp prête à servir dans son étui.
L'après-midi était bien avancé et le ciel bientôt pâlirait légèrement à l'est, dessinant les silhouettes noires des falaises qui les surplombaient. La sierra était là, au-dessus d'eux, solide et lourde. Patiemment, la cuvette où se trouvait la clairière étalait ses gradins de rose blême, semait équitablement ses éclaircies et ses pinèdes, ses petits bosquets, ses ronciers ou ses herbes folles.
Les deux cavaliers étaient encore assez loin des mustangs, mais ils pouvaient voir, très distinctement, de l’endroit où ils se trouvaient la beauté de leurs formes, la souplesse et la vigueur de leurs membres. Beaucoup étaient relativement petits, avec un dos court, des épaules prononcées, une forte musculature et une arrière-main massive. Quelques canassons broutaient paisiblement les herbes et les graminées plus ou moins courtes ; d’autres chevaux, plus jeunes, gambadaient, s’ébattaient, se pourchassaient, se cabraient, ruaient, hennissaient, s’élançaient les uns contre les autres comme dans un simulacre de combat, puis partaient au galop, livrant au vent leur crinière et leur longue queue. D'autres animaux prenaient un temps de repos, allongés sur le flanc ou couchés sur le ventre et le sternum, les membres repliés sous eux, encolure et tête en position de repos debout ou touchant la terre. Une centaine, peut-être plus, s'était groupés aux abords immédiats du cours d’eau qui brillait d’un éclat d’argent.
Pavillonnée de son pelage d'ébène, de sa face blanche et de ses balzanes couleur d'os, Jolly Roger, la yegua d'Isabella, fendait rapidement au petit galop les flots de robes colorées du troupeau, en symbiose parfaite avec le poids plume de la cavalière bien calé sur son dos, le bassin souple, avant d’accélérer progressivement. La foulée rasante de la pouliche s’allongea, dispersant les chevaux devant elle, les obligeant à s’écarter devant sa poussée, droit en direction des petites collines et.du pinto de Leo. Elle volait comme une flèche, ne prenant pas un temps d’arrêt, rapide, agile, athlétique, répondait surtout au moindre mouvement du bassin de la chica, se laissant librement guider et contrôler par la mexicaine gardant rênes longues, sans manifester de résistance apparente, complètement aux ordres.
Sans perdre une seconde, il suivit, talonna. Comme deux bolides, les juments crevèrent l'une à la suite de l'autre, la dernière haie du troupeau, s’élançant en un galop serré. Poulette connaissait parfaitement son affaire, même si elle tergiversait, mécontente, à rester à quelques yards de l’arrière train de la pouliche noire. Sa puissance lui donnait la sensation d'être monté sur un bloc de muscles. Bien proportionnée avec une tête expressive et bien définie, des yeux vifs et des oreilles mobiles, un cou musclé et bien attaché se fondant dans un poitrail profond et une épaule inclinée. Elle avait des mouvements énergiques et harmonieux. Elle était puissante, rapide, amicale et fiable, le pied d'une sûreté incroyable, une foulée ample et élastique. Comme tous les mustangs apaches, elle était parfaitement dressée, n’avait besoin ni de l’éperon ni de la bride. Très intelligente, elle voyait le but de sa poursuite, savait ce qu'il attendait d'elle, devinant la volonté du cavalier. La jument respirait avec une lenteur régulière. Il s’aperçut qu’il respirait au rythme du cheval comme si une partie du cheval était en lui en train de respirer, puis il sombra dans une collusion plus profonde pour laquelle il n’avait même pas de nom.
Il s'était contenté d'un soupçon de froncement des sourcils lorsqu' Isabella s’était mise à lui débiter des ordres. Sûr ! C'était bien des ordres. Son attitude à elle, à l’instant précédent, avait été toute en finesse inconditionnelle ; 'J’peux partir devant. Votre jument a l’air un peu réticente' - 'Vous pensez que le chien pourra travailler sur l’extérieur pour éviter que votre fugitif ne vienne à décrocher ?' - 'Vous me suivez ? Vous faites le pick-up rider dans le cas où je me vautre ?' - Elle avait décidé de prendre la main. Cette gamine qui devait avoir pas loin de la moitié de son âge se permettait de lui ordonner de suivre ses directives, d'une manière élégante, certes, présentée sous forme de suggestions, mais elle lui commandait tout de même sans en avoir l'air d'attendre ses prochaines instructions et de réaliser ce qu’elle attendait de lui. Xander avait sourit intérieurement. Fulminé un peu. Cela promettait d'être intéressant.
Maligne. Il y avait même eu le petit sarcasme sous-jacent en rapport avec le cycle de la jument. Depuis quand avait elle appris à singer cette intonation de voix autoritaire de vieux militaire chevronné. Depuis quand avait-elle acquis cette assurance et cet aplomb. Avant la baffe? Après ? Non. Bien avant cette claque mémorable. Il avait déjà ressenti que quelque chose était profondément différent en elle. La petite señorita avait bien évolué pendant ces quatre dernières années, elle s'était dotée de courage, de ténacité et d'initiative. Une jeune femme rude, pragmatique, efficace, opiniâtre et individualiste, ciselée par les épreuves, même si elle conservait encore une bonne dose de naturel méfiant. Il aimait bien cette nouvelle Isa.
Et puis, il y avait eu le sourire timide, avec un petit éclat malicieux qui pétillait au fond des yeux. Le premier petit sourire qui avait dessiné deux jolies fossettes au creux des joues. Ce sourire avait effacé tout le reste...
Elle devait tout de même le prendre pour un parfait crétin pour s'être pointé ici sur une bête en chaleur. Avait-il eu le choix ? Hey non Xander ! Bien sûr que non. C'était le seul cheval disponible. Il venait tout juste de régler la muserolle du hackamore au dessus des naseaux de son cheval, et ses doigts habiles vérifiait les sangles et les sacoches de sa selle lorsque l'incident s'était produit. Son premier geste avait été de porter secours à Leo, le second d'obéir à l'ordre... euh, enfin la prière, de lui ramener son fichu petit pinto trouillard. Ichih s'était absenté pour tenter de retrouver la piste de son porteur-de-peau, et l'andalou de Llano et la mule avait été emprunté par les aînés de la nourrice, missionnés pour aller chercher quelques planches à la scierie. Il avait enfourché sa monture d'un bond. Poulette n'avait manifesté un changement de comportement, et.des symptômes que la veille en fin de journée peu avant le bivouac. Sa jument si calme était devenue plus agitée...
Il avait vu Hanswurth commencer à rouler des yeux et à piétiner soulevant une poussière dorée en voyant la cavalière débouler. Il vit le moment où l’œil du poney se verrouilla sur Isa, et resta braqué dessus. Son encolure s’arqua un peu, le poil instantanément hérissé. Les yeux roulants du pinto avaient dû communiquer une nouvelle importune aux autres chevaux, Xander remarqua la ligne des crinières onduler, et certains chevaux commençaient à trottiner et à secouer la tête. Le tobiano fit un écart soudain, rétrograda, fit plusieurs écarts avant de décrocher en un enchaînement zigzagant foudroyant de dernière minute. Mouvement de peur à droite, écart vers la gauche, il détalait, courant avec la bouche ouverte et les yeux comme des œufs dans la tête, accélérant sur une trajectoire de fuite. Xander cria un ordre, et Pattes-Molles, bon chien de berger, ramena l'animal éperdu sur la ligne de l'amazone mexicaine. L'équidé et le chien se fréquentaient pourtant, habitués depuis longtemps l'un à l'autre et Xander réalisa que le pinto épouvanté ne reconnaissait plus personne. Au moment du premier écart, il avait distinctement vu les striures sur la hanche et les griffures sanglantes sur les jarrets. Ronces ou griffes ? Pattes-Molles se maintenait à sa hauteur de son galop souple et court, saccadé et sautillant, empêchant le pinto de changer de direction. Leur troupe se ruait à travers l’herbe haute, galopant en silence, sans un cri, la respiration des montures mécaniquement calée sur le mouvement de leurs membres. Dressée sur ses étriers, Isa était parvenu à rattraper le cheval apeuré de Leo. Le bronco détalait au galop droit devant lui, sa longue queue balayant la poussière. La mexicaine, une fée sur son cheval, aussi habile, peut-être même bien meilleure malgré son handicap, que Bummer qui pourtant avait appris à monter grâce à des Comanches, déplaçait peu à peu sa monture au flanc contre flanc avec le hongre. Il la vit soudain laisser glisser son poids vers la droite sur son pilon, le poing crocheté dans la crinière, pour aider son cheval à faire de nouveaux pas vers le flanc du poney éperdu, tout en courbant son corps bien droit, la main tendue vers la longe qui cinglait l'air comme un fouet. Folle. Elle prenait un risque insensé avec son infirmité à cette vitesse, si la prothèse lâchait... Son cœur manqua un battement. Il faillit lui hurler de laisser tomber pour faire cesser cette folie. Le poney ne valait pas le coup qu'elle risque sa peau. Et il ferma sa gueule, se retenant pour ne pas la déconcentrer, les yeux écarquillés. Extraordinaire cavalière. Folle à lier... Et la longe dans la main lorsqu'elle se laissa retomber sur sa selle, liant la courroie de chanvre à son pommeau, resserrant le nœud, tandis que sa monture et le pinto poursuivait sur leur erre. Le lien se tendit d'un coup. Sous la secousse, en quelques secondes, le bronco eut le temps de balancer une demi-douzaine de ruades et et de voltes faces, se cabrant, cherchant à se libérer du lien qui le maintenait prisonnier. Le tobiano bi-couleur s’élançait au galop dans la poussière, stoppait net sous la tension de la longe, repartait aussitôt, hébété, cherchant à entraîner la pouliche noire, qui brinquebalait sa cavalière. Ruades encore. Comme une ombre, Xander rattrapa le bronco et Isabella qui s’agrippait désespérément, ballottée en tous sens, susceptible d'être déséquilibrée vers l'avant, désarçonnée, éjectée ou traînée sur le sol. Buste tendu en avant, lorsqu'il fut arrivé à sa hauteur, Xander attendit quelques fractions de secondes que la course de leurs deux chevaux soit synchrone. Puis son premier geste fut de crocheter dans le ceinturon de la fille pour la redresser, lui fournissant la stabilité nécessaire pour éviter que tout ne se termine par un vol plané au-dessus de la tête du cheval.
Sa main libéra Isa. En quelques fractions de seconde. Il fixa un point, décidé à stopper son cheval, mis Poulette dans un petit galop souple et rythmé, bien cadencé jusqu'à ce que l'animal soit bien monté en puissance, prenant de la vitesse à chaque foulée grâce à l'engagement de plus en plus fort de l'arrière-main de sa jument, puis il relâcha très légèrement les rênes. « - Wôôoh » dit-il en s'enfonçant dans la selle. Relevant en même temps imperceptiblement les mains sans créer de tension. Semblant presque s'asseoir, Poulette rentra l'arrière-main sous elle, le dos rond, le port de tête naturel. Emmenée par son élan, elle glissait sur ses postérieurs, sans accrocher, traçant sur le sol deux lignes parfaitement parallèles dans un nuage de poussière, de graviers, d'herbes arrachées et de sable ocré, pendant que les antérieurs semblaient trotter. « -Wôôooh ! Yooh Chica ! J'sais que t'ai pas contente de m'avoir sur le dos aujourd'hui... » Lorsqu'elle fini sa glissade, la jument se rassembla et attendit l'ordre suivant. Xander sautait déjà à terre, la longe dans la main.
Isabella avait arrêté Jolly Roger presque à portée de main et elle se penchait en avant, les avant-bras croisés sur le pommeau de sa selle. Il jura sans savoir pourquoi. Peur ou colère, c’était le même silence, les mêmes battements au creux de la poitrine, les mêmes crispations au ventre. Il avait eu peur pour elle. Cette folle... Il n'osait pas la regarder. Il aurait pu lui hurler dessus encore une fois s'il l'avait juste regardé, tellement il avait eu peur. Peur d'avoir eu à ramasser son corps démantibulé. Folle et admirable à la fois... Une réussite difficile, périlleuse, nécessitant de la part de la mexicaine un savant dosage de force, de courage et de maîtrise technique. Elle était la meilleure. Elle était terriblement doué avec les chevaux. Elle l'avait soufflé. Littéralement soufflé...
Le petit cheval se tenait les jambes écartées, adossé à la corde, le mollet debout et se tordant au bout. Il tressaillait de plus belle, les oreilles pointées en arrière en signe d’agressivité. Il renâcla, souffla, émis un ronflement de peur, fouailla de la queue. Il ne fallait pas ignorer la frayeur du cheval. Il avança vers Hanswurst, sans lui faire face, légèrement de biais, se déplaçant un peu en crabe, le plus décontracté et impassible possible. Évitant de le regarder tout de suite dans les yeux pour éviter que le poney ne ressentissent le regard comme une agression. Le tobiano le regardait à la dérobée, le jaugeait. Xander était certain que le pinto l'avait reconnu. Il fixa son regard sur l’épaule gauche, caressa du regard tout le corps de l'animal, relevant au passage les anomalies, les bardanes et les épines dans le poil noir et blanc, les écorchures sur la hanche gauche et les jarrets. Et l'épine acérée comme une dague plantée dans le grasset. L'arrière train avait du entrer brutalement en contact avec des cactées au cours de sa fugue. Il tenta un contact du regard, cherchant à accrocher l’œil. Si ça devait marcher, le pinto allait croiser son regard, et au mieux tourner la tête vers lui. Hanswurst tourna la tête, intéressé, les oreilles en avant, dans une attitude attentive vis-à-vis de l'homme. Xander retira son gant, tendit la main doucement. Posa sa main sur l'épaule, dans un contact doux et franc, paume calleuse bien à plat, exerçant une légère pression, puis sans jamais perdre le contact, il fit remonter sa dextre progressivement caressant l’encolure, puis la joue, puis, lentement, le chanfrein et les naseaux. La main de Xander revint ensuite à l’épaule puis partit vers l’arrière-main, longeant la courbe musclée du dos, évitant soigneusement le flanc et le ventre... Alors, le bronco s’apaisa. Il passa son bras autour de l'encolure du cheval et le tint, et il le sentit trembler, et il le sentit s'appuyer contre lui, et il pouvait sentir dans la poitrine du cheval encore de la peur et du désespoir. « - Petit pinto,» murmura-il. « - Mon pauvre Hanswurst... » Le cheval se retourna et posa sa longue face osseuse sur son épaule. « - Qu'est-ce qui t'es arrivé... pobrecito ? Dis-moi... » Xander fit tourner l'animal vers la lumière. Il cherchait du sang dans la bouche mais il n'en vit aucun.
Il se retourna. Juste, son cœur cognait encore un peu. Et le regard de Xander était clair, droit, admiratif, et il était sur Isa. Il souriait franchement. « - Merci Isa, merci. Vous avez été superbe. Folle et superbe... »
Xander eut l’œil attiré par l’envol soudain d’une bande de corbeaux. Noirs et silencieux, ils filèrent droit vers l’est, en vol plongeant, disparaissant bientôt dans un des sous-bois lointains sur les pentes de la sierra. Il continuait de caresser le poney. Ses yeux vifs balayèrent les alentours d'un mouvement circulaire. D’un seul coup, le val s’était ouvert loin à leur gauche, comme une large poche, une cuvette molle semée de petits buissons rabougris. C’était un couloir large de plus de deux cents yards qui se déroulait en lacets tranquilles, poussant son chemin entre les pentes boisées et rocheuses de la montagne, s'évasait au niveau du gué de la rivière. À droite comme à gauche, le regard portait plus loin que ne l’eût fait une balle, ce qui créait une relative impression de sécurité. Une impression seulement. Xander surveillait l’orée du petit bois de pin, par où pouvait déboucher les loups. C'était un endroit dangereux. La plaine qui s'étalait vers le sud avait bien plus d’un mille d’étendue et était environnée de forêts. De la vaste clairière où paissait le troupeau en bordure du val jusqu'au milieu des prairies, une longue surface tranchait par ses gris sur les autres teintes de la terre. Le genêt et l’ortie y poussaient à foison. Mille cinq cents yards plus loin, le val se refermait à nouveau, grimpant vers les hauteurs, reprenant sa largeur initiale pour zigzaguer entre des tertres. La majorité des chevaux sauvages continuaient à paître et à s’ébattre sans se douter qu’ils étaient emprisonnés dans une ceinture et gardés à vue par des prédateurs déterminés. S’ils en avaient eu le moindre soupçon, ils se seraient depuis longtemps échappé, en dépit de toutes les précautions des fauves. Le cheval sauvage était de tous les animaux qui vivent en liberté le plus prompt à s’effrayer. Qu'un événement affole les mustangs, un coup de feu par exemple ou une attaque de fauve, et l'ensemble du troupeau pouvait partir en stampede. En un éclair, il imagina les naseaux sombres des chevaux paniqués, les plus rapides devançant pêle-mêle leurs compagnons dans leur affolement, leurs poitrails les renverser, et les sabots déments qui déchiraient le gazon, les sabots de deux cent cinquante canassons qui les piétinaient, lui, la fille et le corniaud. Il fallait bouger.
Un étalon à la robe cuivrée s'était approché. Un moment encore, reniflant le vent, l'étalon était resté tout droit. Il savait que ses juments étaient nerveuses derrière lui. Les chevaux étaient très inquiets, mais ils ne bougeaient pas, piétinant pour indiquer une irritation. Habituellement, il s’agissait d’une chose mineure, comme une mouche ennuyeuse mais là, ils sentaient autre chose. Tout en étant les plus timides des habitants de la prairie et en tremblant habituellement de tous leurs membres à l’approche d’un ennemi connu, ces chevaux semblaient intrigué, avoir dépouillé toute leur crainte ou plutôt le sentiment de la peur était dominé par celui de la curiosité. Ceux là n'étaient pas habitués au contact avec l'homme, pas habitués à leur odeur inconnue.
Xander regarda vers la rivière. La seule manifestation de vie qu’il détecta sur la rive opposée fut un troupeau de quatre chevaux qui se reposaient à l’ombre de ce qui semblait être de petits chênes. Sur leur côté de berge, il vit de petits groupes de juments protégeant leurs poulains, s’élancer ensemble, chacune de leur côté, le bruit de leurs sabots crevant le silence de la prairie, ainsi que le brusque envol d’une couvée de perdreaux. Devant eux, les troncs espacés ne gênaient en rien les regards. Tyree vit, les croupes et les échines frémissantes, les crinières secouées par la peur. Hey ! Une quarantaine de chevaux, là, sous le bois, piétinaient les fougères et les bruyères. Xander comprit soudain que les loups avaient choisi leur proie, et remontaient le long de la rivière. Et le bai joueur était à l'opposé. C'était leur chance. Un court instant, il demeura les yeux braqués sur la ligne sombre du bois de pins, Levant les yeux, il regarda la fille sous le sombrero noir devant lui, presque souriant, presque soulagé. Il tendit un bras vers le cours d'eau : « - Les loups sont là-bas. » puis dans le même mouvement, une autre direction « - Votre bai est parti par là... ». Il humecta rapidement ses lèvres sèches. « - Partez devant ; Je vous rejoint avec le pinto... » Son regard se posa sur le molosse, assis sur son arrière train à quelques pas. « - Va avec elle, le chien ! » Lui et le corniaud échangèrent un bref coup d’œil d'intelligence. « - Il s'appelle Pattes-Molles. C'est du français, cela veut dire Piernas Blandas en espagnol. Il vous obéira. »